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Edouard Hue – Shiver / All I Need

Ancien danseur de Hofesh Shechter, Edouard Hue est aujourd’hui chorégraphe et construit au fil de ses créations une esthétique qui donne envie de le suivre. L’on a pu découvrir ce chorégraphe français installé en Suisse au Théâtre La Scala de Paris avec deux pièces. Shiver tout d’abord, un duo où il partage la scène avec la danseuse Yurié Tsugawa, sa compagne, comme un dialogue entre pas de deux et solos fondés sur la fluidité extrême des corps. Puis All I Need où l’on retrouve ce vocabulaire, une pièce pour neuf danseuses et danseurs explorant les énergies centrifuges du groupe dans un ensemble ambitieux et haletant. L’oeuvre introduit aussi de la drôlerie via un propos politique, qui apparaît parfois décalé mais admirablement mis en scène. 

All I Need d’Edouard Hue

On connaissait  Edouard Hue le danseur depuis plusieurs années, repéré chez  Olivier Dubois et Damien Jalet. Plus tard, il a rejoint la compagnie de Hofesh Shechter, superstar de la danse contemporaine. C’est incontestablement un lieu exceptionnel, non seulement pour découvrir une autre manière de bouger et de penser le mouvement, mais aussi une école fabuleuse quand on veut s’essayer à la chorégraphie. Fort de ces multiples expériences, Edouard Hue a donc quitté la compagnie pour voler de ses propres ailes et fonder sa troupe. En 2014, il crée la Beaver Dam Company basée à Annecy et à Genève, revendiquant une « virtuosité sensible, un mouvement pur, sec, concis qui se meut en une dynamique fluide et agile tout en faisant transparaître une émotion palpable« . Profession de foi alléchante et ambitieuse.

En prélude à ces spectacles parisiens, c’est à la Ménagerie de verre que l’on retrouve Edouard Hue pour assister presque clandestinement à son cours atelier. Soit une semaine, à raison de deux heures par jour, ouverte à toutes et tous, professionnels ou amateurs, qui peuvent dans ce lieu unique se frotter à différents styles et méthodes. La classe d’Edouard Hue fait le plein d’autant que cet atelier est concomitant de la présentation de ses spectacles à la Scala. Professeur la journée, danseur et chorégraphe le soir, Edouard Hue, 32 ans, ne semble accuser aucun signe de fatigue et dirige sa classe avec humour et bienveillance, passant avec aisance de l’anglais au français pour des élèves venus des quatre coins du monde. Voilà une introduction idéale au style du chorégraphe franco-suisse : un échauffement ancré au sol où chaque partie du corps s’enfonce et épouse le tapis dans une série de roulements sur soi. Et puis cette injonction à s’ériger sans à-coup, à la force invisible de sa ceinture abdominale. C’est déjà en soi un spectacle fascinant.

Curieusement, la Beaver Dam Company a assez peu tourné en France. Brigitte Lefèvre, l’ancienne Directrice de la Danse de l’Opéra de Paris, qui sait comme personne repérer les nouveaux talents, avait convié Edouard Hue en 2021 au Festival de Danse de Cannes, co-produisant la création d’une nouvelle pièce. Ce fut All I Need, élaborée pour neuf interprètes. Le public familier des spectacles de Hofesh Shechter y décèlera une filiation dans l’art de composer un ensemble sur le plateau, de la faire bouger comme un corps unique organique pour mieux le faire éclater et faire naître l’individu à partir du collectif. Le mouvement est tout d’abord compact, resserré avant de s’élargir. Les sons électroniques de Jonathan Soucasse accompagnent et soutiennent les gestes syncopés de cette communauté débarquée sur scène en sous-vêtements. Le chorégraphe qui se réfère volontiers au jeu de go – cet art mystérieux et cérébral – découpe peu à peu les personnalités qui émergent du groupe.

All I Need d’Edouard Hue

Edouard Hue ne rechigne pas à changer de cap et de couleur, passant d’une atmosphère quasi martiale, où les pieds des interprètes marquent le pas cadencé, à des duos et des trios assagis, nimbés de douceur. Puis survient une séquence en décalage assumé, transformant All I Need en pamphlet politique drôlissime. L’un des danseurs prononce ad libitum un slogan emprunté au sinistre registre de Donald Trump. Le comique de répétition provoque le rire dans la salle et l’exaspération sur scène où l’on assiste à une forme d’apocalypse. Il y a comme une volonté de rupture chez Edouard Hue, un refus de s’enfermer dans un format policé. Malgré l’humour noir indéniable de cette trop longue séquence, elle peine parfois à s’articuler avec le récit. Péché de jeunesse où la chorégraphe a voulu trop dire, trop vite. Mais All I Need reste une pièce de grande qualité chorégraphique, dopée d’énergie et servie par des interprètes épatants.

Pour compléter ce programme, Edouard Hue reprenait le duo Shiver avec sa compagne Yurié Tsugawa. Tout en tremblements, en fluidité, jouant sur l’hyperélasticité de leurs deux corps, transe alternant accélérations, arrêts et changements perpétuels de direction, le duo se fait parfois pas de deux dans un sobre rectangle de lumière. Il y a là aussi un désir de virtuosité assumée chez Edouard Hue. Ce spectacle a maintenant rencontré son public et installe le chorégraphe dans le paysage. On le retrouvera grimpant l’Everest de L’Oiseau de Feu pour le Ballet de l’Opéra d’Avignon. Edouard Hue rêve grand et ne cache pas son désir de se confronter un jour aux grands ballets narratifs citant Roméo et Juliette ou Giselle avec des étoiles dans les yeux. On ne peut qu’être pour !

All I Need d’Edouard Hue

Shiver d’Edouard Hue, avec Edouard Hue et Yurié Tsugawa ; All I Need de Edouard Hue, avec Louise Bille, Alfredo Gottardi, Eli Hooker, Jaewon Jung, Lou Landré, Neal Maxwell, Rafaël Sauzet, Angélique Spiliopoulos et Yurié Tsugawa. Dimanche 22 janvier 2022 au Théâtre La Scala de Paris. À voir en tournée avec la Beaver Dam Company. Création de L’Oiseau de Feu pour le Ballet de l’Opéra d’Avignon les 6 et 7 avril 2023 à l’Opéra d’Avignon. 

 



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