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Sur France 5 le 1er mars puis en replay – Hommage à Patrick Dupond – Ballet de l’Opéra de Paris

La soirée est retransmise sur France 5 le vendredi 1er mars à 21h05, et à voir en replay jusqu’au 8 mars

 

Presque deux ans après sa mort, le Ballet de l’Opéra de Paris a rendu hommage à Patrick Dupond, immense Danseur Étoile, enfant de la Maison qu’il a ensuite dirigée, avant une séparation houleuse et douloureuse. Le programme – bien construit par l’ancienne Directrice de la Danse Aurélie Dupont, il faut le dire – fut un vrai moment de retrouvailles entre la troupe et son public. Les soirées hommages, ouvertes à tous et toutes, ont été rares ces huit dernières années. Et l’on voit combien ces moments sont précieux, avec notamment le Défilé enfin de retour. La soirée montrait bien aussi la compagnie telle qu’elle est aujourd’hui, avec ses hauts et ses bas. En manque de solistes masculins et d’un côté, brouillonne parfois. Et puis capable aussi d’un vrai feu d’artifice, chez ses solistes comme le corps de ballet, avec Études de Harald Lander qui a mis des étoiles plein les yeux pour terminer la soirée. Du panache, du brio, et l’amour de la danse comme du partage : la douce folie de Patrick Dupond était bien au Palais Garnier ce soir-là.

Études de Harald Lander – Jérémy-Loup Quer et Héloïse Bourdon

Les soirées hommages à l’Opéra de Paris, et réussies, cela ne s’était pas vu depuis bien longtemps. En 2013, le Gala Noureev pour les 20 ans de sa mort était tristoune, moins pire cependant que la catastrophe du gala Hommage à Yvette Chauviré de 2017. Aucune autre soirée ne fut proposée sur ces quinze dernières années. Mais pour Patrick Dupond, il y a exception. Peut-être parce que le souvenir de ce formidable danseur est si vivace dans l’esprit de toutes les générations, qu’elles soient derrière le rideau ou dans la salle. Peut-être parce que ce frisson qui parcourait tout le monde dès qu’il mettait un pied sur un plancher de danse est encore dans toutes les mémoires. Tant pis pour l’attente – deux ans après sa mort, ce gala aurait dû tout de même voir le jour la saison dernière. Tant pis pour le programme que l’on aurait aimé un peu plus long. L’ensemble se tenait bien et tout faisait sens. Et pour cette fausse première – la deuxième représentation sur trois, mais la première ouverte à l’ensemble du public – il régnait au Palais Garnier un parfum d’excitation qu’il n’avait pas connu depuis longtemps. Si les Étoiles manquaient sur scène (la programmation est chargée entre une longue soirée George Balanchine et une tournée en Corée du Su -d), tout ce qui compte de passionné-e-s de danse, balletomanes, d’habitué-e-s et de Bunheads, qu’importe la façon dont vous les appelez, s’étaient donné rendez-vous sous la coupole de Chagall. Pour se souvenir de qui était Patrick Dupond. Pour ne pas oublier l’enfant terrible de la Maison, qui fut au septième ciel comme au 36e dessous, Étoile fulgurante devenue Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom.

Et c’est Patrick Dupond qui nous accueille au lever du rideau. En fond de scène, un immense portrait de lui. Le regard, la main, l’étincelle. Tout y était. Mais qu’il était beau. C’est par un film que commence la soirée. 5 minutes réalisées par Vincent Cordier, uniquement la voix du danseur et de magnifiques images d’archives. Là encore, tout y est : sa passion dévorante de la danse et du spectacle, son amour du public, son côté jusqu’au-boutiste, sa générosité. On le retrouve à 20 ans, à 30 ans. Aux côtés de Noëlla Pontois, Monique Loudières, Sylvie Guillem. Dans Le Chant du compagnon errant avec Rudolf Noureev, un moment de danse du XXe siècle. « Mais quels sauts« , souffle une voisine de derrière. Tout est dit, tout est là, y compris l’émotion et quelques larmes par tant de souvenirs. Le précipité entre ce film et le Défilé fut le plus intense et le plus silencieux de l’histoire des précipités.

Vaslaw de John Neumeier – Alexandr Trusch

Partie indispensable de chaque Gala, le Défilé du Ballet de l’Opéra de Paris avait cependant une saveur particulière : cela faisait plusieurs années qu’il n’avait pas été donné devant le « grand » public, réservé la plupart du temps depuis l’ère Benjamin Millepied au Gala AROP (des galas indispensables pour l’important travail de mécénat, mais pourquoi priver le public de la danse du Défilé ?). Il fut joyeux d’un côté de la salle, radieux ou fermé sur le plateau selon les lignes – encore la terreur d’avoir un pied qui dépasse ? Chaque ligne fut en tout cas chaleureusement applaudie, comme de tradition devant un public de passioné-e-s. Les anciens et anciennes, Dorothée Gilbert, Mathieu Ganio et Myriam Ould-Braham, raflèrent l’applaudimètre. Tout comme la ligne de Premières danseuses Hannah O’Neill/Héloïse Bourdon, recevant une plus forte ovation que certaines Étoiles forçant un peu trop les applaudissements. Le Défilé, moment de retrouvailles, instant un peu cruel aussi.

La première partie du spectacle montrait la compagnie un petit peu dans ses failles. Vaslaw de John Neumeier, qui n’avait pas été repris depuis 25 ans, illustre quelque part le problème de répertoire de la compagnie, qui se joue depuis une quinzaine d’années. À force de danser de tout, certaines œuvres passent à la trappe. Et difficile d’y reglisser ses chaussons. Ce Vaslaw semblait bien frais, bien juste, ni dans les corps ni dans les têtes pour être pleinement interprété. Il n’y avait d’ailleurs personnes de l’institution ce soir-là, parmi les 65 danseurs de la troupe, pour reprendre ce qui fut l’un des rôles emblématiques de Patrick Dupond, créés pour lui. Un peu dans l’urgence, l’Étoile du Ballet de Hambourg Alexandr Trusch (dont le nom de la compagnie ne fut même pas indiqué dans le programme) fut invité pour danser le rôle-titre. Ce fut un plaisir de découvrir ce magnifique danseur, qui pour le coup maîtrisait la partition, tout comme les inspirations de John Neumeier, sur le bout des doigts. Mais il semblait vraiment parachuté au milieu de la troupe, la cohésion eut du mal à se faire.

Vaslaw de John Neumeier – Guillaume Diop et Alexandr Trusch

Vaslaw, c’est pour Vaslav Nijinski, dont John Neumeier est un immense admirateur. La carrière de ce danseur fut une puissante source d’admiration pour le chorégraphe. Monté pour Patrick Dupond, ce ballet se veut être une réminiscence de ce qu’a pu être cet artiste hors-normes. Alexandr Trusch semble être Nijinsky au seuil de sa vie, se remémorant ses rôles – un geste d’une main, une inclinaison de tête, les références sont subtiles mais vivaces. Il n’est parfois que simple spectateur de trois couples, semblant danser différentes périodes de sa vie. Ce qui semble être comme un souvenir de sa jeunesse surgit soudain, pour un solo où la folie est bien plus explicite. Guillaume Diop s’y lance avec la puissance et l’explosion qu’on lui connaît. Sa danse absolument superbe souffle, ses gestes emplissent l’espace d’une énergie rare. Mais son sur-jeu permanent passe difficilement à côté de la désarmante sincérité d’Alexandr Trusch. Même si cela peut aussi se voir comme l’emblème de la jeunesse, un talent fou encore brut, qui peut quelque part évoquer Patrick Dupond dans ses premières années. Comme ce que représente Guillaume Diop : l’espoir d’un grand danseur.

Le Chant du compagnon errant de Maurice Béjart fut tout aussi important dans la carrière de Patrick Dupond. Il fut l’un des grands interprètes du chorégraphe. Ce long duo de 20 minutes sur la musique de Mahler fut ici dansé par Mathieu Ganio et Audric Bezard. C’est un duo entre deux solitudes, entre deux âmes, dont l’une se révèle au fur et à mesure être la Mort. Il y eut des moments absolument sublimes, comme ce final où la Mort semble doucement mais sûrement emmener l’homme errant. Il y eut des moments où le fil s’est perdu, et l’on ne sait si cela est à imputer aux interprètes qui découvraient ce ballet qu’à l’œuvre en elle-même, montrant des faiblesses plus de 50 ans après sa création. Vaslaw et Le Chant du compagnon errant avaient absolument leur place dans un gala hommage à Patrick Dupond. Et ce fut beau. Mais l’enchaînement des deux a rendu l’atmosphère pour le moins plombante. Avec comme l’envie d’un bon Corsaire, d’un bon Grand pas de Don Quichotte bien envoyé, pour retrouver un peu de fête. Mais où sont les paillettes plein les yeux, le goût du spectacle ? Patrick Dupond, c’était aussi l’immense bonheur de danser et de le partager, la virtuosité généreuse, un rapport puissant avec le public. Où était cet esprit un peu frondeur, cet air de dire « Et vous allez voir ce que vous allez voir ! » ?

Le Chant du compagnon errant de Maurice Béjart – Audric Bezard et Mathieu Ganio 

Et il fut dans Études de Harald Lander qui conclut le spectacle. Où l’on ne s’attendait pas forcément à le trouver. La distribution du soir réunissait trois beaux solistes : Héloïse Bourdon, Marc Moreau et Jérémy-Loup Quer. Des personnalités accomplies, mais qui n’ont plus l’explosivité de leurs 20 ans pour eux, qui laissent voir quelques micro-failles pour elle qu’elle n’avait pas forcément il y a quelques années. Études, si l’on devait l’expliquer de façon simpliste, c’est une sorte de démonstration d’un cours de danse : l’on démarre avec un grand plié, des exercices à la barre, des ports de bras, puis le milieu : pirouettes, sauts, grands sauts de plus en plus compliquées pour aboutir à un final qui en met plein les yeux. Études demande une pleine virtuosité pour aller au-delà de la simple démonstration. Parce que la subtilité et toute la saveur de cette pièce, c’est qu’elle est justement bien plus qu’une démonstration. C’est un ballet plein d’humour et de panache, où l’on s’amuse, où l’on se plaît à briller, où l’on ne se prend pas forcément au sérieux, où l’on se moque aussi gentiment du public qui pense parfois un peu trop à compter les fouettés.

Le trio de ce soir n’avait donc pas forcément la pleine mesure de cette virtuosité, cette absolue maîtrise du geste qui permet de dominer d’une façon absolument magiquement sereine ce marathon de technique. Comment l’être aussi, quand il s’agit d’une prise de rôle pour ces messieurs, d’un retour pour elle dans un ballet qu’elle n’avait pas dansé depuis sept ans ? Là encore, le manque de continuité dans le répertoire se fait sentir, tout comme le manque d’Étoiles disponibles ou osant se lancer dans cette débauche de virtuosité où la moindre hésitation se voit. Mais à défaut, ces trois artistes avaient bien plus : ils avaient tout compris à l’esprit du ballet. Avec peut-être aussi la maturité de ne pas chercher à prouver quelque chose à la coulisse, mais juste à se faire plaisir, profiter du moment, partager ces instants avec le public.

Études de Harald Lander – Héloïse Bourdon, Jérémy-Loup Quer et Marc Moreau

Il fallait ainsi voir Héloïse Bourdon entrer en scène comme une star. Et s’emparer de ce personnage de Prima Ballerina avec joie, panache et musicalité. Elle fut celle qui donne le ton, celle qui fait vivre l’esprit romantique dans l’incarnation de la Sylphide, celle qui ne manque pas d’humour en jouant sa danseuse Diva dans les bras de ses deux partenaires, celle qui brille de mille feux dans cette terrible variation de l’Étoile. Elle avait du style, elle avait du chien et elle a tout emporté sur son passage. Jérémy-Loup Quer fut un partenaire de grande classe et pas avare de petites batteries. Marc Moreauqui n’était pas encore Étoile – s’est crânement lancé dans le solo de la Mazurka, avec classe et sens du style. Et ce fameux petit air « Et vous allez voir ce que vous allez voir ! » en claquant des doigts lors de son entrée en scène. Ensemble, ils ont été généreux, débordant de tempérament et de joie de danser. Prendre du plaisir à danser du pur classique et le montrer ? Incroyable mais vrai, cela peut encore exister à l’Opéra de Paris. Et ce fut savoureux.

Forcément, le corps de ballet s’est mis au diapason. Concernant les ensembles masculins, beaucoup semblaient encore des bébés-danseurs à peine sortis de Nanterre au vu de leur sens des alignements approximatifs. Mais leur enthousiasme à se lancer dans cette grande technique n’a laissé que des sourires. Les ensembles féminins laissaient plus la part à des Sujets plus expérimentés. Avec Études, le mot « corps de ballet » semble presque inapproprié, tant chacune est misr en avant. Le passage des pirouettes, où elles se lancent une à une dans des girations de plus en plus dures, est à l’image de cette certaine mise en danger, où tout se voit. Il y a eu des visages fermés par le stress. Il y eut aussi des personnalités resplendissantes et graines de solistes : la formidable Camille Bon tout simplement éblouissante, Nine Seropian pleine de peps et d’humour, l’altière Éléonore Guérineau qui d’un coup d’oeil met en ligne son corps de ballet, la luminosité de la toute jeune Hortense Millet-Maurin, l’aplomb de Clara Mousseigne.

Études de Harald Lander – Héloïse Bourdon

Ce fut elle d’ailleurs qui fut chargée du grand plié d’ouverture. Un grand plié en cinquième au milieu, cela fait partie des apprentissages de base. Mais un grand plié en cinquième au milieu, seule en scène, au lever du rideau, avec pointes et tutus et sur un plateau en pente, cela devient une virtuosité redoutable. Fait sans trembler et crânement, et accueillis par un « Bravi ! » sonore d’un fond de loge, comme si la danseuse venait de réaliser 32 fouettés. Un « Bravi ! » sincère tout comme rempli d’humour, qui donna aussi le ton du public. Car Études, c’est aussi un jeu entre scène et salle, où le quatrième mur n’existe presque plus. La virtuosité monte en graine saluée de plus en plus fort par le public, dont les réactions font presque partie du spectacle et du climax de ce ballet, qui explose avec un final réjouissant comme on les aime.

À noter que, à l’occasion de ce gala, l’Opéra de Paris a édité un joli livre sur Patrick Dupond et ses années à l’Opéra de Paris. Un ouvrage hagiographique bien sûr, avec un voile pudique jeté sur les conflits entre l’institution et le danseur. Mais l’ensemble est un bel ouvrage, rempli de magnifiques photos d’archives et de témoignages émouvants de John Neumeier, Marie-Claude Pietragalla, Isabelle Guérin et beaucoup d’autres. Ainsi qu’un texte de José Martinez, Directeur de la Danse : « Il faut savoir additionner la rigueur et une pointe de folie pour aller plus loin […]. Il ne faut pas s’endormir. Il faut que cette folie soit là et soit réelle. C’est cela que Patrick incarnait« .

Études de Harald Lander – Ballet de l’Opéra de Paris

 

Hommage à Patrick Dupond par le Ballet de l’Opéra de Paris. Film hommage à Patrick Dupond réalisé par Vincent Cordier ; Défilé du Ballet réglé par Serge Lifar et Albert Aveline ; Vaslaw de John Neumeier, avec Alexandr Trusch (artiste invité, Principal du Ballet de Hambourg), Guillaume Diop (variation), Roxane Stojanov et Florent Melac (premier pas de deux), Hohyun Kang et Andrea Sarri (deuxième pas de deux), Hannah O’Neill et Daniel Stokes (troisième pas de deux), Naïs Duboscq et Arthus Raveau (quatrième pas de deux), et David Fray (piano) ; Le Chant du compagnon errant de Maurice Béjart avec Mathieu Ganio et Audric Bezard, et Sean Michael Plumb (Baryton) ; Études de Harald Lander, avec Héloïse Bourdin, Marc Moreau et Jérémy-Loup Quer. Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction musicale Mikhail Agrest. Mercredi 22 février 2023 au Palais Garnier.




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