À l’École de Danse de l’Opéra de Paris – Dans les coulisses de la création « Ma Mère l’Oye » de Martin Chaix
Pour son spectacle annuel, l’École de Danse de l’Opéra de Paris propose cette année, avec les reprises de Concerto en ré de Claude Bessy et l’acte III de Raymonda de Rudolf Noureev, une création : Ma Mère l’Oye de Martin Chaix. Monter un ballet de toutes pièces n’est pas courant pour les élèves de Nanterre. Comment, à leur niveau et leur âge, s’adapter à un nouveau langage, se lancer dans une œuvre sans aucune référence ? Et comment, en tant que chorégraphe, réagir face à de jeunes interprètes qui n’ont pas l’habitude de cet exercice ? Une dizaine de jours avant la première de Ma Mère l’Oye, DALP est allé à Nanterre rencontrer Martin Chaix nous racontant ce joli projet. Et deux élèves participant à cette création, Indira et Marcel, nous parlant de ce travail si stimulant : être au cœur de la création d’une œuvre.
12h30. L’École de Danse de l’Opéra de Paris est comme une fourmilière. Les élèves ont rangé les cahiers pour enfiler leurs tenues de danse et leurs survêtements rouges, chaque division éparpillée dans les étages, chacun-e sur son tapis de yoga s’échauffant avant le cours de danse. Le spectacle annuel des élèves au Palais Garnier commence dans une dizaine de jours (du 15 au 18 avril). Au programme : la reprise de l’acte III de Raymonda de Rudolf Noureev d’après Marius Petipa et Concerto en ré de Claude Bessy. Et une création : Ma Mère l’Oye de Martin Chaix.
Une création pour les élèves, c’est plutôt rare. Depuis qu’Élisabeth Platel a pris la direction de l’École, il y en a eu deux : Scaramouche de José Martinez (2005) et D’Ores et Déjà de Béatrice Massin et Nicolas Paul (2013). Comme ses prédécesseurs, Martin Chaix est un ancien élève de l’École de Danse. Après quelques années dans le Ballet au début des années 2000, où il se lance dans la chorégraphie, il est parti danser en Allemagne. Revenir à Nanterre, même après une carrière passée à l’étranger, reste toujours un peu particulier. « Dès que je rentre dans cette école, des souvenirs, des odeurs, des impressions que je pensais disparues ressurgissent. J’y ai passé 6 ans, de 12 à 18 ans. C’est là où j’ai appris la danse, où j’ai découvert tout ce que l’on découvre à cet âge si particulier », raconte-t-il. 25 ans après, il y a des choses immuables, comme les divisions ou la révérence. Et d’autres qui ont évolué, comme « un rapport plus simple et plus sain entre les élèves et les adultes« . Avec des apprentis artistes qui « osent aussi parler, poser des questions et s’affirmer« . Ou de prendre quelques initiatiatives. Comme ces deux jeunes danseuses, devant à un moment entrer en scène quelques secondes pour prendre un accessoire. « Je n’avais pas eu le temps de fixer les choses. Quand nous nous sommes revus, elles m’ont expliqué qu’elles s’étaient arrangées entre elles et qu’elles prendraient l’accessoire à tour de rôle. C’est une toute petite chose, mais assez caractéristique et symbolique de ce changement de mentalité« .
Créée en 1912, la partition du ballet Ma mère l’Oye de Maurice Ravel s’inspire des contes de Charles Perrault, Madame Leprince de Beaumont et Madame d’Aulnoy. Martin Chaix a gardé cette structure en saynètes et cet univers féérique profondément lié à l’enfance en y ajoutant son regard. « Je ne voulais pas raconter les contes, mais en prendre juste un petit extrait et aller tout de suite vers l’essentiel. Et je me suis amusé, j’ai joué sur l’absurdité des situations« . Sa Belle au bois dormant, ainsi, arrive en scène au moment de son réveil. « Ce personnage est toujours montré comme une princesse magnifique au réveil« , raconte Indira, 16 ans, élève de deuxième division qui interprète ce personnage. « Mais Martin Chaix veut voir la vraie Belle au bois dormant : celle qui vient d’ouvrir les yeux après 100 ans de sommeil… et qui a donc du mal à se réveiller !« . Pour les élèves, il s’agit donc d’un plein travail d’interprétation, sans version précédente vers laquelle s’inspirer. « Il faut se mettre dans la peau du personnage avec les instructions que Martin Chaix nous donne« , raconte Marcel, élève de 15 ans en troisième division qui danse le Petit Poucet. « J’ai travaillé avec mon camarade de la deuxième distribution, nous avons mis nos idées en commun. J’ai à un moment une marche toute simple dans laquelle je dois montrer une grande fatigue, un vrai déroutement. Il faut que je dise beaucoup avec des pas simples. Et parfois, les plus petites choses sont les plus difficiles« . « Ils ne peuvent pas s’inspirer de quelqu’un« , enchaîne Martin Chaix. « C’est donc très déroutant, même pour moi. On avance tous dans la même direction : vers l’inconnu. Ils ne sont pas dans leur zone de confort. Mais pour moi, la zone de confort, c’est ennuyeux. Même pour des élèves… surtout pour des élèves« .
« La zone de confort, c’est ennuyeux. Même pour des élèves… surtout pour des élèves« .
L’aventure de Ma Mère l’Oye a démarré en mai 2022, avec une première rencontre entre Martin Chaix et les élèves de l’École autour de quelques répétitions. Le chorégraphe est ensuite revenu en octobre, avant de fixer ses distributions en février. « Cela s’est fait sur le long terme« , explique-t-il. « Certaines personnalités m’intéressaient, elles collaient à ce que j’imaginais du rôle. Mais j’ai attendu les Démonstrations, sur les conseils d’Élisabeth Platel. Parce que l’on évolue tellement à cet âge-là !« . Pour les élèves choisis, certains de première division, mais beaucoup de seconde ou de troisième division, commence alors le travail de création. Qui est aussi bien celui d’avoir un chorégraphe en face de soi créant sur mesure qu’une façon de danser particulière à apprivoiser. La danse de Martin Chaix mêle la danse académique – Ma Mère l’Oye est sur pointes – à une relation au sol plus contemporaine, qui peut être « déstabilisante, parfois même pour des professionnels« . Sans oublier un peu d’école française, l’ADN du chorégraphe, distillée dans cette création. Le chorégraphe la définit comme « une école basée sur l’attention au détail et la retenue, la retenue d’un petit grain de folie qui pourrait exploser à tout moment, quelque chose de presque transgressif« .
Un petit mix à intégrer pour les élèves. « Il faut toujours être dans le sol« , explique Indira. « J’ai eu des difficultés au début pour travailler les pointes de cette façon-là. Les mouvements ont une qualité particulière, Martin Chaix nous expliquait beaucoup de choses sur ce point. Il aime bien voir les contractions, les épaulements« . Un travail qui demande aussi une vigilance accrue, de la part d’un chorégraphe demandant de la réactivité dans le studio. « Il faut avoir une très bonne mémoire« , continue Marcel. « Martin Chaix créait la chorégraphie sur le moment. Puis on se retrouvait quelques semaines plus tard, il changeait des choses. Il faut se rappeler de tout, de tout ce qui change. Il faut apporter une grande attention au détail. Au début, c’est difficile de s’approprier les choses« . Mais il y a le plaisir de voir une danse se créer sur soi. « Il changeait des pas par rapport à nos qualités et nos besoins. Il a mis en valeur mes qualités dans la chorégraphie. Et puis c’est sa danse, sa façon de danser. Personne ne danse comme lui« .
Et du côté du chorégraphe, peut-on être frustré d’être face à des élèves, qui forcément sont moins réactifs que des professionnel-le-s ? « Il faut rentrer dans des explications pour leur donner des clés qui leur permettent de développer eux-mêmes leur propre approche« , explique Martin Chaix. Mais il ne parle cependant pas de frustration. « Le résultat est toujours la conséquence d’une rencontre et d’un chemin que l’interprète fait vers le chorégraphe et que le chorégraphe fait vers l’interprète. Je me satisfais du cheminement« , explique celui qui a accepté depuis longtemps que « le résultat ne sera jamais exactement celui que je voulais« , que ce soit avec des élèves ou des professionnels. « C’est ce qui fait toute la beauté de ce métier. Je travaille avec des êtres humains, je ne peux pas tout contrôler. L’humanité se trouve sans ces imperfections et c’est ça qui est magnifique. J’ai même été surpris, parfois, du résultat par rapport à mes attentes initiales, par rapport à ces élèves qui sont en phase d’apprentissage et qui ont aussi besoin de temps« .
L’on pourrait penser l’exercice au final compliqué pour les élèves. « En studio, cela va tout seul« , sourit la directrice de l’École Élisabeth Platel. Et à quelques jours de la première, Indira comme Marcel font d’ailleurs part de leur excitation plutôt que de leur stress. Avant même les représentations sur scène, ils sont conscients de la richesse de ce travail : « On a appris et exploré quelque chose de nouveau, on est sorti de nos habitudes, on a eu une autre vision de la danse« , explique Indira. Pour Martin Chaix, c’est aussi le plaisir des créations propres aux écoles de danse : celui de voir l’évolution des élèves durant le processus, aussi bien en tant qu’artiste qu’en tant que personne. « Certains sont rapides dans la compréhension du ballet, d’autres moins. Mais l’important reste ce cheminement et cette découverte. D’autant qu’ils sont à l’âge, et c’est assez touchant, où ils découvrent aussi leur propre personnalité. Cette évolution vers l’âge adulte et la maturité, ce cheminement psychologique et émotionnel, est très particulière« .
« Ce ballet, il leur appartient »
Après les spectacles d’avril, Ma Mère l’Oye sera repris en novembre prochain lors d’une soirée Ravel avec l’Académie lyrique (qui interprétera L’Enfant et les Sortilèges). Un travail de reprise rapide qui permettra aux élèves de pleinement s’approprier les rôles. Et ce ballet qui restera à eux. « Cette création, c’est leur travail et c’est ça aussi qui est beau”, termine Martin Chaix. « Ce ballet, il leur appartient« , conclut Élisabeth Platel.
Spectacle de l’École de Danse de l’Opéra de Paris : Ma Mère L’Oye de Martin Chaix, Concerto en ré de Claude Bessy, acte III de Raymonda de Rudolf Noureev. Du 15 au 18 avril au Palais Garnier.
Reprise de Ma Mère L’Oye de Martin Chaix lors de la soirée Ravel, du 21 novembre au 14 décembre 2023 au Palais Garnier.