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Les (vrais) adieux à la scène d’Alice Renavand – De la joie et des larmes

Presque dix ans après sa nomination dans Le Parc d’Angelin Preljocaj, la Danseuse Étoile Alice Renavand a fait ses adieux à la scène du Ballet de l’Opéra de Paris dans le Boléro de Maurice Béjart, lors de l’ultime représentation de ce programme consacré au chorégraphe. Des seconds adieux, événement inédit dans l’histoire de la compagnie, en raison de la blessure au genou qui l’avait foudroyée au début de l’acte II de Giselle le 13 juillet 2022. À quelque chose malheur est bon, ne pouvait-on s’empêcher de penser à l’idée de la découvrir avec cette prise de rôle inattendue dans ce ballet iconique. Après L’Oiseau de feu dansé avec beaucoup de panache par Francesco Mura et ses partenaires, et Le chant du compagnon errant revivifié par le duo Guillaume Diop et Marc Moreau, Alice Renavand a livré une version vibrante et toute personnelle de cette « épreuve du feu » chorégraphique. Au-delà de la quarantaine de danseurs présents sur scène, c’est tout le public de l’Opéra Bastille qui a semblé faire corps autour de la fameuse table rouge pour accompagner l’Étoile dans ce moment suspendu. L’ovation qui a suivi a prouvé la force du lien tissé entre le public et cette danseuse si attachante.

Alice Renavand – Adieux à la scène

Si le point d’orgue de cette dernière représentation était le Boléro, avec les adieux de Alice Renavand, les deux œuvres qui composaient le reste du programme Maurice Béjart par le Ballet de l’Opéra de Paris méritent qu’on s’y arrête. D’abord pour faire taire celles et ceux qui ont levé les yeux au ciel à l’évocation du chorégraphe. Ces deux pièces ne sont peut-être pas dansées comme il y a cinquante ans et alors ? Touchent-elles ? Nous racontent-elles une histoire à laquelle on a envie d’adhérer ? La réponse est oui.

Il n’est pas simple de mettre ses pas dans ceux de danseurs illustres qui ont marqué un rôle. En cela celui de l’Oiseau de feu n’est pas sans prise de risques pour celui qui accepte de s’y frotter en gardant en tête Michaël Denard. En espérant que cet immense interprète parle encore aux jeunes de la compagnie. L’Oiseau de feu de Francesco Mura a du panache, à défaut de vibrer de l’élan révolutionnaire initial qui traverse le ballet. Il lui manque peut-être un peu d’autorité, mais cette fragilité n’est pas inopportune pour cet Icare idéaliste. Le reste de la compagnie s’en tire aussi plutôt bien et donne un nouveau souffle à cette œuvre qu’on aurait pu penser datée. La très belle surprise vient du Chant du compagnon errant dansé par Guillaume Diop et Marc Moreau. Une bonne idée que ce compagnonnage. La différence d’âge entre les deux danseurs, récemment nommés Étoiles, se révèle un atout et rend l’interprétation plus lisible de ce pas de deux découpé en quatre séquences. Guillaume Diop se glisse avec beaucoup de sensibilité dans l’académique bleu du jeune homme tandis que Marc Moreau prend les traits du destin en académique bordeaux. Mais peut-être ces deux hommes ne sont-ils que les deux visages d’un même individu à des âges différents ? Les deux Danseurs Étoiles donnent une nouvelle jeunesse à cette pièce d’une profonde humanité. Ils habitent la scène de l’Opéra Bastille malgré le dépouillement extrême de ce pas de deux. Il y a beaucoup d’intelligence dans ce travail. Guillaume Diop, dont on connait déjà la sensibilité, explose littéralement. Quel potentiel !

Le Chant du compagnon errant de Maurice Béjart – Guillaume Diop et Marc Moreau

Un deuxième entracte et dès que le noir envahit la salle, le silence devient l’écrin pour accueillir cet instant précieux que constitue ce Boléro. Trois jours plus tôt, Alice Renavand est déjà montée sur scène pour une première représentation. Mais celle-ci, en ce dimanche après-midi de mai où Paris revêt ses habits d’été, a une saveur toute particulière. Ces seize minutes que dure l’œuvre vont passer à toute vitesse, elle le sait bien. À peine le temps d’en prendre possession que c’est déjà fini. Comme une allégorie d’une vie de danseuse… Alors, en goûter chaque parcelle, ne pas se précipiter, le prendre comme un cadeau de la vie qu’elle se fait et qu’elle fait au public.

Les premières notes du Boléro se font entendre. D’abord une main et un poignet cassé qui s’extraient de la nuit comme une invitation. Petit à petit, le corps de la danseuse apparaît, seule sur la table ronde, entourée d’hommes immobiles. Elle enchaîne les mouvements avec calme. Son visage est un livre ouvert. Au fur et à mesure du crescendo de la musique, elle s’installe dans le rythme. Les danseurs qui encerclent la table respirent à l’unisson et s’harmonisent. Elle ne les lâche pas du regard, portée par leur énergie. Aucune violence, aucune rage, pas de revanche à prendre sur l’adversité. Elle déroule les pas comme un long écheveau de soie. Soudain, un sourire illumine ses traits. Elle savoure. Rien ne peut la foudroyer en cet instant. On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. C’est aussi le message de ce Boléro dansé par tant de personnalités qui s’en sont emparées de bien différentes façons. Lorsqu’Alice Renavand s’effondre sur la table, pendant que les danseurs l’entourent de leurs mains tendues, la salle se lève dans un même élan. C’est l’effet Boléro, mais là on perçoit quelque chose de différent. Comme une sorte de ferveur. 

Alice Renavand – Boléro de Maurice Béjart

Lors des saluts, la danseuse apparait si juvénile au milieu de ses gardes du corps qui ont veillé sur cette danse d’adieux et de renaissance. Ce Boléro est un bain de jouvence, un nouvel élan pour écrire un autre chapitre de sa vie d’artiste qui en a connus déjà tant. Mais là il n’est pas encore l’heure d’y penser. Quand le rideau se lève de nouveau, elle apparait seule sur la table, et laisse tomber sur elle cette pluie de confettis dorés dont elle avait été privée. Puis, elle descend, saisit deux roses blanches jetées sur scène et s’avance. De sa bouche, les mercis s’envolent vers le public. Elle ferme les yeux pour profiter. Dans ce costume « seconde peau », elle apparait dans toute sa simplicité. une image se superpose, celle de sa nomination dans Le Parc, cheveux détachés, jambes et pieds nus sous une liquette blanche. Déjà tellement émouvante.

En coulisses, les ami.e.s et les personnalités sont présent.e.s comme le veut le rituel. Le premier à entrer sur scène est José Martinez, suivi par Alexander Neef, Brigitte Lefèvre, Simon Valastro, Alessio Carbone, Amandine Albisson… Son compagnon Alexandre Gasse s’avance avec leur fils. À Hannah O’Neill, elle offre l’une des étoiles dorées qui se mêlent à leurs chevelures. Le passage de témoin d’une Étoile à une autre. Puis, elle embrasse un à un les danseurs qui l’ont accompagnée comme pour leur dire merci.

Alice Renavand – Adieux à la scène

Mais le moment le plus touchant est sans conteste quand Mathieu Ganio fait son apparition. La danseuse se jette dans ses bras, comme pour rejouer – et conjurer – ce moment où son partenaire l’avait portée blessée à l’issue de ce Giselle inachevé. Les larmes se mêlent aux rires. Voici de vrais beaux adieux, ceux auxquels elle avait droit. Dans la liste des interprètes du Boléro, il faudra désormais rajouter le nom d’Alice Renavand.

 

Les adieux d’Alice Renavand – Programme Maurice Béjart par le Ballet de l’Opéra de Paris. L’Oiseau de feu avec Francesco Mura (L’oiseau de feu), Yvon Demol (L’oiseau Phénix) ; Le chant du compagnon errant avec Guillaume Diop, Marc Moreau et Sean Michael Plumb (baryton) ; Boléro avec Alice Renavand et Florimond Lorieux, Florent Melac, Fabien Révillon, Adrien Bodet, Adrien Couvez, Julien Cozette, Leo de Busserolles, Yvon Demol, Grégory Dominiak, Milo Avêque, Jean-Baptiste Chavignier, Cyril Chokroun, Corentin de Naeyer, Enzo Saugar, Nicolas Doaré, Manuel Giovani, François Leblanc et Vincent Vivet. Dimanche 28 mai 2023 à l’Opéra Bastille. 

 



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