[ Les Nuits de Fourvière 2023] Unstill Life – Benjamin Millepied et Alexandre Tharaud
Après Philippe Decouflé, le festival Les Nuits de Fourvière continue de dérouler son programme Danse, avec un spectacle bien différent du concert dansé rock : le duo intimiste Unstill Life entre le danseur-chorégraphe Benjamin Millepied et le pianiste Alexandre Tharaud. Sur les partitions de Rameau, Bach ou Beethoven, les deux artistes livrent un spectacle sur, pêle-mêle, la danse, la musique, le cinéma, l’amitié, le rapport à la scène et les souvenirs. Avec comme l’ombre de Jerome Robbins dans cette constante liberté du mouvement. Une création sans artifices, faite avec beaucoup d’élan et de cœur, sur la simple et grande joie de danser.
On ne peut passer à côté de Benjamin Millepied en cette fin de saison : le lancement de son Paris Dance Project, mélange d’incubateur de jeunes chorégraphes et d’outils de médiatisation, la sortie en France de son premier film Carmen, et son nouveau spectacle, Unstill Life. Un projet pas des moindres, créé aux Nuits de Fourvière. Voilà 12 ans que le danseur n’est plus remonté en scène. Et pour son retour – ou un dernier round – il choisit un long duo d’une heure, entre lui et le pianiste Alexandre Tharaud, au milieu de l’immense Grand Théâtre antique de Lyon. L’on pourrait s’attendre à un certain conformisme dans cette forme finalement conventionnelle : le danseur d’un côté, le piano de l’autre. Il n’en est rien. Au contraire, une profonde sincérité très simple illumine l’ensemble du spectacle, reposant sur le lien entre danse et musique. Benjamin Millepied a été un grand Danseur Étoile du New York City Ballet. Son fondateur, George Balanchine, avait ces mots qui pourraient résumer le spectacle : « Voyez la musique, écoutez la danse« .
Tout démarre sur la Suite en La de Rameau. Un port de bras, un dégagé et tout va très vite. Je suis surprise d’emblée par le langage académique assumé de la danse. Pourquoi, finalement ? Après sa carrière de danseur classique, Benjamin Millepied a chorégraphié pour de multiples compagnies de ballets, puis pour son LA Dance Project où les artistes ont des parcours plus divers. Mais l’on vient tous de quelque part. Et le danseur semble comme faire un retour aux sources dans sa technique pour démarrer le spectacle. Technique- et c’est anecdotique car la virtuosité n’est en rien le propos du spectacle – dont il a encore une formidable maîtrise après 12 ans sans monter en scène. Au-delà du langage qui trouve son propre chemin, l’on devine aussi comme l’ombre de Jerome Robbins. Cela peut être dans un port de bras, dans un saut en retiré parallèle. Cela peut être aussi dans le jeu avec Alexandre Tharaud, quand ce dernier ne semble jamais terminer son Impromptus de Schubert et que le danseur lui demande grâce ou fait mine de laisser tomber. Ce n’est en rien gênant, car l’artiste, assumant là encore son héritage, y met sa propre manière de faire. Surtout, cette ombre Robbins apparaît dans ce sentiment constant que la danse se crée dans l’instant. Même quand le danseur se saisit d’un lange plus contemporain, il y a toujours cette sensation que tout naît d’une improvisation permanente, un jaillissement aussi naturel qu’instinctif découlant de la musique.
Et puis la forme – l’un au milieu de la scène, l’autre à gauche derrière son piano – évolue vite, notamment par l’utilisation de la vidéo. Le cinéma est le nouveau terrain de jeu de Benjamin Millepied, l’on sent dans ce spectacle l’envie de tester et de bidouiller. Cela apporte une nouvelle dimension quand il joue sur la lumière et l’effet de profondeur. Cela en devient parfois un peu factice aussi, même si ne cassant par l’unité du spectacle pour autant. Ainsi quand une vidéo diffuse un petit court-métrage muet des deux artistes en plein Paris, ce sont plutôt leurs voix que l’on entend, racontant leurs premiers souvenirs de musique et de création. Tous deux avaient une mère professeure de danse, tous deux ont grandi à côté du studio. Benjamin Millepied utilise aussi un système déjà mis au point sur son dernier Roméo et Juliette : les artistes filmés en direct sur scène par une petite caméra, retransmettant l’image sur l’écran du fond de scène. L’on aime ainsi cette drôle de danse des mains d’Alexandre Tharaud, tandis qu’un vinyle diffuse Bach (crépitement inclus). Mais c’est finalement quand le pianiste devient danseur qu’il surprend le plus. Commence alors un drôle de pas de deux, le danseur guidant le pianiste. Ce dernier semble osciller entre beaucoup d’humour et l’émerveillement de réaliser son rêve d’enfant, celui d’être danseur. Avec une grâce étonnante.
Le duo se termine sur l’immense dernière Sonate de Beethoven, œuvre complexe et testamentaire. Benjamin Millepied tourne autour d’Alexandre Tharaud caméra à la main, et l’on aurait presque envie de lui dire de lâcher son appareil, tant la musique n’a pas besoin d’image. Ce que le danseur finit par faire pour s’emparer une dernière fois de la scène. Pour une danse large, vibrante et irrésistible, allant même chercher le clin d’oeil aux comédies musicales quand la musique prend des accents sonnant jazzy aujourd’hui. Le danseur s’arrête en plein mouvement, lâche ses chaussettes pour des baskets, court dans le public, remonte les gradins et disparaît, caméra à ses trousses. L’on s’attend à une danse dans les immenses ruines romaines, en haut des escaliers et vaste terrain de jeu. Mais le danseur revient vite, cavale en sens inverse, saute sur scène et bondit sur les dernières mesures de Beethoven. Un grand élan exutoire de fatigue et de bonheur de danser.
Festival Les Nuits de Fourvière. Unstill Life de Benjamin Millepied et Alexandre Tharaud – Musique : Suite en La de Rameau, Gnossiennes n5 et 3 de Satie, Partita n2 de Bach (enregistrement par Glenn Gould), Impromptus 3 et 2 de Schubert, Sonate pour piano n32 de Beethoven. À voir en tournée les 24 et 24 juin au Festival de Spoleto (Italie), le 2 juillet au Festival de Carcassonne, du 6 au 8 ,juillet au Théâtre des Champs-Élysées de Paris dans le cadre de la saison TranscenDanses.
Les Nuits de Fourvière continuent jusqu’au 28 juillet : María Pagés les 10 et 11 juillet, Mehdi Kerkouche le 23 juillet…