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[Festival de Marseille 2023] G.R.O.O.V.E. de Bintou Dembélé

Avant le Festival d’Avignon dont elle a fait l’ouverture le 5 juillet, Bintou Dembélé a présenté G.R.O.O.V.E., une performance déambulatoire de près de trois heures à La Friche La Belle de Mai dans le cadre du Festival de Marseille. Conduite par une vingtaine de danseurs et danseuses ainsi qu’un musicien et une chanteuse, cette invitation au partage se décline à travers cinq stations à la tonalité différente. Prolongement de l’opéra-ballet Les Indes galantes de Jean-Philippe Rameau commandé par l’Opéra de Paris et joué sur la scène de l’Opéra Bastille en 2019, G.R.O.O.V.E. est un spectacle à multiples facettes, qui loue aussi bien l’acte de résister que le pouvoir d’agir. Entre cri du corps et revendication contestataire, cette exploration des « danses de résistance » se déploie avec une énergie, une fougue voire une rage qui vont crescendo pour se terminer en un moment de communion autour de la danse sur le plateau transformé en dancefloor. Un pur kiff qui éclaire à lui tout seul le concept de groove revendiqué par la chorégraphe Bintou Dembélé.

G.R.O.O.V.E. de Bintou Dembélé

Il est toujours enthousiasmant en tant que spectatrice de se dire qu’on ne va pas vivre la même expérience que son voisin ou sa voisine. Avec la déambulation à laquelle Bintou Dembélé nous convie au Festival de Marseille, le rapport au plateau se trouve bousculé. Séparés en plusieurs groupes (deux à la Friche La Belle de Mai à Marseille, mais ce fut trois à l’Opéra de Lille où la chorégraphe a créé le spectacle en mars), les spectateurs et spectatrices entreprennent un voyage différent qui se termine malgré tout dans le même lieu où il a démarré. La soirée débute par la projection de trois courts-métrages autour des danses de rue à travers le monde. Teru Kuthu réalisé par Féroz Sahoulamide, que l’on retrouve comme interprète au fil de la soirée, évoque notamment le dappan koothu, une danse de rue indienne millénaire, présentée comme « la danse des laissés-pour-compte » du sud de l’Inde. Une introduction intrigante qui donne le ton de cette déambulation qui se veut exploration des danses lestées d’une charge contestataire.

Après une présentation des artistes qui vont nous accompagner, par la chorégraphe elle-même, le voyage commence. Nos pas sont guidés par celles et ceux qui nous précèdent. La traversée des espaces de cette « ville dans la ville » que constitue l’ancienne manufacture des tabacs permet de se mettre en condition. Car, c’est bien connu que dans les voyages ce n’est pas la destination qui compte mais le chemin parcouru. La première étape a des airs de veillée funèbre. Des hommes et des femmes, un néon entre les mains, comme les cierges qui brûlent dans les églises, veillent un homme qu’on traine à terre jusqu’à sa pendaison au-dessus d’un brasier constitué par les mêmes tubes lumineux. Le moment est empreint d’une grande solennité, alors que les chants s’élèvent et que plus loin, dans Marseille, la colère gronde en réaction au décès d’un jeune homme, Nahel, tué par un policier deux jours avant à Nanterre.

Dans sa note d’intention, Bintou Dembélé a écrit : « Dans le groove, il y a l’idée de convocation, c’est une façon de communiquer, de communier. On opère un mouvement en soi, qui peu à peu résonne avec les autres pour devenir un mouvement collectif. Depuis toujours, au-delà de la question raciale, il y a dans mon travail cette idée que nous sommes tous acteurs et actrices de ce qui se passe dans la société, et que nous avons tous un pouvoir d’agir. » Les mots de la chorégraphe prennent à ce moment-là tout leur sens. Et en prolongement toute la pièce elle-même… Alors, libre à chacun.e de plonger dans ce grand mouvement collectif.

G.R.O.O.V.E. de Bintou Dembélé

À travers les stations, trop courtes par rapport aux temps de déplacement (les futurs lieux d’accueil de la performance donneront peut-être un autre tempo à la déambulation), se dessine un propos politique sur l’acte d’investir l’espace public en dansant. Soudain, devant la Tour, lieu emblématique du bâtiment, les notes baroques remixées des Indes Galantes se mettent à résonner, et avec elles renaît la danse puissante découverte dans le travail précédent de Bintou Dembélé pour l’Opéra de Paris. On touche enfin à ce qu’on attendait et la frustration laissée par la trop brève séquence chorégraphique est vite assouvie par la conclusion qui s’annonce.

Retour dans le Grand plateau de la friche la Belle de Mai. La reprise du tableau de l’opéra-ballet par la totalité des danseuses et danseurs fait figure de feu d’artifice. L’énergie qui circule à ce moment-là sur le plateau est difficilement quantifiable et qualifiable. On assiste à une célébration puissante du pouvoir émancipateur de la danse. La chorégraphe travaille autour de la notion de danse « marronne ». Autrement dit la conquête d’un espace de liberté face aux contraintes imposées par un système. Ce final, mélange de différentes danses dont le krump et le voguing, en est une parfaite illustration. À la fin, pas de saluts, progressivement, le public est invité à se mêler aux danseurs et danseuses pour un grand moment de défoulement. L’envie de partager, de se mêler, de faire corps, de se couler dans le mouvement apparaît comme irrépressible. Chacun.e se jette sur le dancefloor avec frénésie malgré la chaleur écrasante du lieu. Un moment de communion dansante qui rassérène et donne envie de faire société autrement.

G.R.O.O.V.E. de Bintou Dembélé

G.R.O.O.V.E. de Bintou Dembélé. Avec Wilfried Blé « Wolf », Bintou Dembélé, Marion Gallet, Cintia Golitin, Adrien Goulinet, Mohammed Medelsi « Med », Alexandre Moreau « Cyborg », Salomon Mpondo-Dicka « Bidjé », Féroz Sahoulamide, Marie Ndutiye, Juliana Roumbedakis, Guillaume Chan Ton, Moïse Kitoko, Célia Kaméni (voix) et le Cré Scène13 avec Sara Ben Herri, Wilfried Ohouchou, David Fleury, Viola Luise Barner, Eryckson Roberto de Paula, Clotilde Penet, Kemuel Felipe Ribeiro Querendo Raulo, Ophélie Lopes Da Costa, Kalani Richardeau, Mohamed Ali Cherif aka Dlegz. Jeudi 29 juin 2013 à La Friche La Belle de Mai.

À voir en tournée jusqu’au 10 juillet 2023 à l’Opéra Grand Avignon dans le cadre du Festival d’Avignon. Du 5 au 7 octobre 2023 au Centre Pompidou à Paris, du 12 au 14 octobre 2023 à Anthéa à Antibes en collaboration avec le théâtre national de Nice…

Le Festival de Marseille se termine le 9 juillet.

 



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