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[Chorégies d’Orange 2023] Ballet de la Scala de Milan, de Rudolf Noureev à William Forsythe

Depuis 2018, la danse est de retour aux Chorégies d’Orange. Après le Béjart Ballet Lausanne, les Ballets de Monte-Carlo et le Ballet du Capitole en 2022 avec Giselle, c’était au tour du Ballet du Teatro alla Scala de Milan de danser au pied du mur de scène du célèbre Théâtre antique. Durant l’édition précédente, le festival avait eu l’occasion de recevoir pour la première fois l’Orchestre et le Chœur de la Scala de Milan pour un grand concert dirigé par Riccardo Chailly. D’où l’idée de programmer cette année une soirée composée d’extraits de ballets dansés par la compagnie dirigée depuis 2020 par Manuel Legris. Après Verdi Suite, première pièce créée par l’ancienne Étoile de l’Opéra de Paris pour le Ballet, suivie de Blake Works I de William Forsythe, l’acte II du Lac des cygnes de Rudolf Noureev d’après Marius Petipa a clos ce programme équilibré, qui a permis de mettre en valeur les belles qualités de cette compagnie italienne. 

Le Lac des cygnes (acte II) de Rudolf Noureev – Ballet de la Scala de Milan

Le Ballet de la Scala de Milan a proposé, pour sa première venue aux Chorégies d’Orange, une représentation en trois ballets, tous axés sur le langage classique. Création en forme d’hommage à la musique italienne, Verdi suite de Manuel Legris est la première pièce qu’il a écrite pour la compagnie, juste après son arrivée en tant que directeur, en 2020. La programmer pour ouvrir la soirée, alors que ce festival lyrique entretient avec les opéras de Verdi un si long compagnonnage, prend tout son sens. Mais difficile de comprendre pourquoi je peine à rentrer dedans. La faute à la lumière du jour encore présente en cette soirée estivale qui ôte un peu de solennité ? À un manque d’aspérités dans la succession des tableaux ? Tout semble un peu lisse malgré les envolées musicales et les qualités techniques des interprètes comme un peu perdus dans cette large ouverture de scène.

Manuel Legris a pourtant réglé une pièce enjouée, qui met assurément en valeur ses danseuses et danseurs. Toutes et tous exécutent l’ensemble avec beaucoup de panache, mais peut-être manque-t-il ce petit supplément d’âme qui pourrait élever cette pièce vers autre chose qu’une démonstration de style. Pour débuter un programme, cela donne cependant le ton. Oui, le Ballet de la Scala regorge de talents que l’on repère aisément au bout de quelques minutes. Verdi suite est ainsi une magnifique vitrine, mais peut-être pas suffisamment roborative pour mettre tout le monde dans sa poche.

Blake Works I de William Forsythe – Ballet de la Scala de Milan

Un précipité pour permettre à la troupe de changer de costumes. Et les revoilà parés des tuniques et académiques gris-bleutés du ballet Blake Works I de William Forsythe. La musique de James Blake me procure à chaque fois la même réaction : séduisante au début, parce que furieusement entraînante, puis rapidement un peu trop mièvre pour maintenir l’attention. Elle est pourtant une des pièces maîtresses de ce ballet. Au lieu de se concentrer sur elle, mieux vaut observer comment le chorégraphe en joue, comment il accorde le mouvement, sait utiliser les silences pour laisser les ensembles respirer. Ce qui fait plaisir à voir, c’est la décontraction maîtrisée avec laquelle les interprètes s’emparent de la matière chorégraphique, à la fois totalement libérés, mais aussi très soucieux de se plier à la précision extrême imposée par le maestro. Pour l’avoir vu dansée par le Ballet de l’Opéra de Paris, lors de sa reprise en 2019, j’y avais déjà perçu cette jubilation à laisser exploser cette virtuosité sans donner l’impression du moindre effort. Après l’académisme de la première pièce, cette deuxième proposition s’apparente à un coup de mistral qui décoiffe le théâtre antique.

Les sept pièces de ce puzzle d’une vingtaine de minutes savamment bien construit offrent une succession de tableaux à la fois hommage à la danse académique et irrévérencieux pied de nez. L’ombre de George Balanchine plane. Les jeux de bras et les portés se font toujours plus audacieux et expressifs. Hanches et épaules décalées, déséquilibres, arabesques étirées à l’extrême, rapidité d’exécution,  le style Forsythe est là, explosif, séduisant, sans jamais être racoleur. Sans pour autant rivaliser avec d’autres pièces antérieures, ce Blake Works I est d’une classe extrême, tout simplement. 

Blake Works I de William Forsythe – Ballet de la Scala de Milan

Il est toujours un peu étonnant, et décevant tout à la fois, d’être dans un lieu à l’acoustique aussi exceptionnelle et de devoir se contenter d’une bande enregistrée. C’est la loi de ces programmes pluriels. Il faudra en prendre notre parti, même si la musique a été enregistrée par l’orchestre du Teatro alla Scala. Après l’entracte, le mur du théâtre qui sert de décor naturel s’est paré de reflets rougeoyants au relief crépusculaire qui conviennent parfaitement à l’atmosphère du ballet Le Lac des cygnes (acte II), dans la version de Rudolf Noureev si chère à Manuel Legris. Nicoletta Manni et Timofej Andrijashenko forment le couple phare. Tous deux se connaissent bien et le partenariat est intelligent et lumineux. Si lui reste toutefois un peu en retrait, elle, de son côté, dans le rôle du cygne blanc, déploie le travail de bras et de bas de jambe que nécessite le rôle. Elle insuffle beaucoup d’intensité à son personnage et s’acquitte de toutes les difficultés avec brio.

Dans cet acte où les danseuses doivent dessiner des ensembles harmonieux et précis, le corps de ballet est au rendez-vous. Splendidement alignés, entourant avec beaucoup de bienveillance Odette, les cygnes produisent des unissons de belle facture. L’osmose est quasi parfaite et nous voici embarqués dans ce monde irréel. La magie de ce ballet fait le reste. Les variations de ce deuxième acte sont toutes exécutées dans le respect du style Noureev, avec beaucoup de sensibilité. Un pur moment de grâce qui clôt cette belle soirée en majesté. La danse a définitivement toute sa place – comme l’atteste l’enthousiasme du public sous le charme – au Théâtre antique d’Orange.

Le Lac des cygnes (acte II) de Rudolf Noureev – Ballet de la Scala de Milan

Soirée du Ballet de La Scala aux Chorégies d’Orange.

Verdi suite de Manuel Legris. Blake Works I de William Forsythe. Le Lac des cygnes (acte II) de Rudolf Noureev par le Ballet du Teatro alla Scala de Milan. Avec Martina Arduino, Nicoletta Manni, Alice Mariani, Marco Agostino, Timofej Andrijashenko, Claudio Coviello, Nicola Del Freo (primi ballerini), Gaia Andreanò, Caterina Bianchi, Agnese Di Clemente, Linda Giubelli, Maria Celeste Losa, Alessandra Vassallo, Domenico Di Cristo, Christian Fagetti, Federico Fresi, Mattia Semperboni, Navrin Turbull (solisti), Frank Aduca, Alessia Auriemma, Stefania Ballone, Daniela Cavalleri, Emanuele Cazzato, Edward Cor Chiara Ferrara, Licia Ferrigato, Chiara Fiandra, Antonella Lungo, Denise Gazzo, Marta Gerani, Greta Paola Giovenzana, Darius Gramada, Giordana Granata, Andreas Lochmann, Valerio Lunadei, Anton Giulia Lunardi, Francesco Mascia, Letizia Masini, Asia Matteazzi, Benedetta Montefiore, Sena Alessandro Paoloni, Saïd Ramos Ponce, Andrea Risso, Giorgia Sacher, Serena Sarnataro, Madoka Sasal, Giulia Schembri, Sabrina Solcia, Gioacchino Starace, Eva Stokic, Martina Valentini, Rinaldo Venuti (corpo di ballo).

Samedi 15 juillet 2023 au Théâtre antique. 

Le Lac des cygnes de Rudolf Noureev d’après Marius Petipa à voir à la Scala de Milan du 15 au 27 septembre

 




 

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