Rencontre avec Tiago Guedes, directeur de la Biennale de la danse et de la Maison de la danse de Lyon
C’est avec lui que démarre la saison 2023-2024 : Tiago Guedes. Directeur de la Maison de la Danse de Lyon et de la Biennale de la Danse de Lyon depuis un an, il présente enfin ses premières programmations. La Biennale de la Danse, l’un des plus gros festivals de danse d’Europe, propose ainsi pas moins de 21 créations du 9 au 30 septembre. Et de multiples nouveautés sont lancées pour la saison de la Maison de la Danse. Au risque parfois de perdre un peu le public ? Tiago Guedes défend son projet riche de surprises, avide d’ouvrir grand les portes de cette institution et de cette Biennale à tous les publics.
La Biennale de la danse, la première sous votre direction, démarre le 9 septembre. Dans quel état d’esprit êtes-vous avant ce grand lancement ?
La Biennale de la Danse, c’est un événement plus grand que soi. C’est un énorme moment, avec 48 spectacles, 21 créations, plus de 800 programmateurs et programmatrices. C’est la première Biennale complète depuis 2018, le retour du Défilé dans la rue. Et nous avons instauré les Immersion Fagor pour danser, voir des expos… Tout cela annonce une Biennale exceptionnelle, même si elle est une Biennale de transition, programmée à 50 % par moi-même et à 50 % par ma prédécesseure Dominique Hervieu. Je porte cette Biennale avec une équipe magnifique, mais quand elle commencera, il faudra la vivre, se laisser porter par les spectacles. Puis en octobre démarrera la saison de la Maison de la Danse avec Carcass, le spectacle magnifique de Marco da Silva Ferreira.
Cette Biennale propose 21 créations, la saison de la Maison de la Danse beaucoup d’artistes qui n’étaient encore jamais venus. Y a-t-il la pression de manquer le public ?
21 créations, ce sont 21 spectacles que l’on ne connaît pas, où on ne sait pas comment cela va se passer. Il y aura d’excellentes surprises, d’autres qui le seront moins. Mais il faut continuer à rester un endroit de découvertes, que ce soit avec de nouveaux artistes qu’avec des créateurs et créatrices reconnues. C’est le risque de la création. Et c’est le rôle des institutions de prendre ces risques. L’histoire de la Maison de la Danse s’est toujours composée de nouveaux artistes. Nous mettons en place pas mal de choses cette année. Comment les publics vont-ils réagir ? Nous nous adapterons par la suite. Mais je leur fais confiance.
Vous êtes arrivés à la direction de ces deux institutions il y a un an. Ce qui est finalement peu pour construire une Biennale et une saison. Comment avez-vous procédé ?
Normalement, une saison se prépare sur 18 mois, une Biennale sur 2 ans ½. Là, j’ai eu quelques mois, ce fut très court. C’est pour cela que j’appelle cette Biennale une Biennale de transition, et la saison à venir à la Maison de la Danse ma saison Zéro. Les neuf artistes associé-e-s, qui faisaient partie du projet depuis le début, m’ont guidé : François Chaignaud, Marco da Silva Ferreira, Vincent Dupont, le Collectif ÈS, Jan Martens, Phia Ménard, Dorothée Munyaneza, Nach et Lia Rodrigues. J’avais déjà des connexions artistiques avec eux, j’en avais beaucoup programmés au Teatro Municipal do Porto, que je dirigeais avant de venir à Lyon. Cela nous a aidé à avoir des piliers, défendus aussi bien à la Biennale que pendant la saison. Ils sont là pour trois ans.
Ce rapprochement entre la Biennale de la Danse et la Maison de la Danse est au cœur de votre projet. Comment avez-vous mis en place ces différents liens ?
Ces artistes associés, à la fois à la Biennale de la Danse, à la Maison de la Danse et aux futurs Ateliers de la Danse, permettent de proposer au public des parcours artistiques. Par exemple, Phia Ménard crée à la Biennale de la Danse son spectacle ART. 13 et propose une œuvre de répertoire pendant la saison de la Maison. François Chaignaud fera l’inverse, en programmant aussi une carte blanche – ce que j’appelle les Cosmologies – où il présentera quelques artistes qu’il a envie de faire découvrir. Jan Martens va transmettre une de ses œuvres au Jeune Ballet du CNSMD de Lyon. C’est intéressant de donner au public la possibilité de suivre un parcours artistique au-delà des grands spectacles. Il y a aussi le projet commun “A toi” courant sur deux Biennale, pour initier quelques jeunes de 14-15 ans à la programmation et leur faire découvrir les métiers d’un théâtre. Ils programmeront un spectacle à l’affiche de la Biennale 2025. Mon projet propose toutes ces connexions, il se projette aussi dans l’avenir avec les Ateliers de la Danse, qui devraient ouvrir en 2026. Ce bâtiment géré par la Maison de la Danse sera au service de toute la communauté chorégraphique de la métropole : un espace de travail de qualité pour créer, un plus grand plateau que celui de la Maison de la Danse, aussi un lieu pour les pratiques professionnelles et amatrices.
Cette saison 2023-2024 de la Maison de la Danse qui démarre, votre saison Zéro, est-elle plutôt à votre image ou à celle de l’institution ?
J’ai vécu une très riche saison 2022-2023. C’était une chance : j’ai pu vraiment la défendre comme directeur alors que je ne l’avais pas programmée. Cette nouvelle saison qui arrive, ma saison Zéro, je trouve qu’elle fait bien le croisement entre ce que je suis et ce qu’est la Maison de la Danse. Elle rend hommage à l’institution et se projette dans le futur. On y retrouve les grands noms de la danse, les fondamentaux de la Maison. Et j’y ouvre aussi d’autres portes. Elle présente d’autres projets, elle communique autrement, la programmation est plus thématisée avec les parcours Histoire(S) de la Danse et les Cosmologies, les premières parties, les cabarets. Elle me ressemble en tant que directeur, elle est ce que pour moi une institution doit défendre et proposer à son public pluriel.
Néanmoins, si on parle d’équilibre, on note l’absence de technique classique dans votre programmation, ce qui n’était pas le cas sous la précédente direction…
Je suis d’accord. Ce genre de spectacle se prévoit plus d’un an à l’avance, on a tout simplement pas eu le temps. Il y aura une plus grande diversité des techniques dans ma saison 2024-2025. Au Teatro Municipal do Porto, j’avais au moins deux spectacles par an de technique classique, notamment avec le Ballet national du Portugal. Cela a toujours été un marqueur de mes programmations.
Avant de venir à Lyon, quel regard portiez-vous alors sur la Maison de la Danse et la Biennale ?
Je connaissais bien ce lieu. Le Théâtre municipal de Porto que je dirigeais faisait partie du pôle européen de création, il était partenaire de la Biennale, j’y proposais parfois des artistes portugais. Je connaissais le projet et un peu les équipes. Pour moi, la Maison de la danse est une grande institution, très militante par rapport à la danse et à sa diversité. Elle défend la danse, qui est au cœur de son projet. Et il y a peu de théâtres comme cela en France et en Europe : le Sadler’s Wells à Londres, le Théâtre National de la Danse Chaillot à Paris… C’est unique au monde.
Et comment s’est passée votre rencontre avec le public de la Maison de la Danse ?
La Maison de la Danse a quelque chose de génial et d’unique : alors que les abonnements existent de moins en moins, elle garde sa base d’abonné-e-s, autour de 8.500. Il faut absolument garder et nourrir cette base en proposant une programmation diversifiée, lui montrer des artistes et compagnies qu’elle aime et connaît, mais aussi lui faire découvrir d’autres artistes. Et cela a toujours été l’histoire de la Maison de la Danse, entre habitudes et découvertes. Le public est très diversifié… mais il peut l’être encore plus.
De quelle façon ?
En ouvrant la porte à d’autres disciplines où le corps est au centre. Comme les trois soirées Cabaret programmées tout au long de la saison, dans le restaurant de la Maison de la Danse, qui est aussi un vrai plateau de théâtre très peu exploité. Et puis en mettant en avant de nombreux jeunes artistes, à travers les « premières parties » par exemple, où de jeunes talents présentent leur travail dans le studio Jorge Donn à 19h, avant le spectacle d’une grosse compagnie à 20h30 sur le grand plateau… En espérant que les premiers se retrouvent un jour sur la grande scène ! On ouvre ainsi la porte à d’autres artistes et d’autres publics. Il y a aussi une réorganisation des espaces publics.
Cette réorganisation est l’un des marqueurs de votre première saison, avec cette idée que la Maison de la Danse est ouverte toute la journée, et pas seulement pour le spectacle du soir. Qu’avez-vous aménagé ?
On a imaginé un plancher de danse dans le hall. D’abord pour répondre aux besoins de compagnies : il y a encore trop d’artistes qui répètent sur le béton de la Confluence. Le mercredi soir sera un créneau d’open-training pour les pros, devant le public. Et le lundi soir, ce plancher sera réservé pour les pratiques amatrices, avec un cours de danse, pour tous les niveaux, donné par des artistes qui seront en spectacles ou des danseuses et danseurs lyonnais. Ce sont des choses en préfiguration des Ateliers de la danse. Et puis le bar sera ouvert après chaque spectacle, on va installer des tables de coworking pour travailler et faire des réunions. J’aime cette idée d’aller à la Maison de la Danse pour plein de raisons : voir un spectacle, aller au restaurant, pratiquer la danse, découvrir un jeune artiste… C’est cela qui fait une institution.
Il y a eu la crise du Covid il y a trois ans, aujourd’hui la crise de l’inflation. Dirige-t-on un théâtre de la même façon en 2023 qu’en 2019 ?
Non, beaucoup de choses ont changé. Déjà dans les habitudes du public. Même à la Maison de la Danse qui a une forte proportion d’abonné-e-s, l’on achète de plus en plus à la dernière minute. Financièrement, avec l’inflation, même si les subventions restent stables, les coûts augmentent. Alors il faut se diversifier, repenser les usages. À cela se rajoute la question écologique qui a été amplifiée après le Covid. Et cela peut devenir quelque chose de positif. Par exemple, sur la construction d’une tournée, on ne fait plus venir une compagnie pour une seule date. Cette notion d’exclusivité, d’être la seule institution a présenté un spectacle, n’est plus possible aujourd’hui. Ce temps est passé. Cela oblige à jouer sur son réseau, à monter des tournées ensemble avec d’autres théâtres, ce qui donne plus de visibilité à un spectacle. On est dans le temps de la fédération, aussi bien pour des raisons économiques qu’écologiques.
Enfin, vous êtes lyonnais depuis un an. En tant qu’habitant, quel regard portez-vous sur votre nouvelle ville ?
Lyon est une grande ville, où il y a tout, tout en restant à échelle humaine. On ne se sent pas dans une énorme métropole et j’aime bien ça. J’habite sur les quais du Rhône dans le 3e, pas loin du 7e, de la Guillotière, des quartiers chinois, japonais, arabes, africains… Je m’y sens bien. Et c’est une ville en belle tension créative, à la fois par les institutions et des courants plus underground. Il y a beaucoup de collectifs de musiques, de performance, de cabaret… C’est très fort. C’est passionnant en tant qu’habitant et j’aime m’amuser à me balader entre tout ça. Il y a tellement de choses à faire et d’artistes à découvrir !
Hudry
Dommage que la presse ne parle que des grands noms de la danse, la Biennale a programmé des jeunes compagnies, (j’ai notamment vu la compagnie Diptyq au theatre de Caluire avec une salle pleine et enthousiaste !) qui mériteraient aussi et surtout qu’on en parle…