Ballet de l’Opéra de Paris – Marion Motin / Xie Xin / Crystal Pite
Le Ballet de l’Opéra de Paris fait sa rentrée avec un programme exclusivement féminin. À la locomotive Crystal Pite, l’ancienne Directrice de la Danse Aurélie Dupont, qui a conçu ce programme, a attaché deux nouvelles venues : Marion Motin pour The Last Call et Xie Xin pour Horizon. Trois pièces de groupe qui ont en commun des scénographies somptueuses et mettent en valeur l’excellence de la troupe. Mais Marion Motin rate le coche avec un ballet trop pauvre chorégraphiquement alors que Xie Xin parvient à développer son esthétique très épurée. Le final est en feu d’artifice avec la reprise de The Seasons’ Canon, pièce magistrale dont s’empare une nouvelle génération.
Quoi de mieux pour célébrer une belle journée d’équinoxe d’automne que de se rendre au Palais Garnier, dont la façade a été luxueusement habillée par JR qui y dessine une immense caverne ? Le Ballet de l’Opéra de Paris y fait sa rentrée avec une soirée mixte contemporaine. Une première en matinée pour ce programme qui avait déjà été représenté lors du Gala d’ouverture quelques jours plus tôt. Un événement mondain importé des États-Unis il y a neuf ans par l’éphémère Directeur de la Danse Benjamin Millepied. Mais outre-Atlantique, même au New York City Ballet, ces galas ne sont pas ou peu surtaxés et accessibles au public. Celui du Ballet de l’Opéra est géré par l’Arop – Association pour le Rayonnement de l’Opéra de Paris – qui ne met en vente aux non-membres qu’une petite poignée de billets à des tarifs prohibitifs.
Et cette saison encore, le gala préempte le Défilé cher à de nombreux balletomanes. Pire, c’est à l’issue de ce Défilé du Gala de rentrée qu’eurent lieu les Adieux d’Émilie Cozette qu’on avait espérée l’an dernier dans Signes de Carolyn Carlson. Un bouquet de fleurs offert par José Martinez, une modeste pluie d’étoiles et l’affaire est pliée. On se souviendra que cette danseuse sauva à une époque pas si lointaine une série entière du Lac des Cygnes quand les autres Étoiles étaient hors-jeu. Enfin, ce gala déclenche une débauche de posts des danseuses et des danseurs sur les réseaux sociaux quand pourtant la plupart des Étoiles ne dansent pas lors de cette soirée inaugurale, qui est l’affaire du corps de Ballet. On les retrouve d’ailleurs le lendemain s’affichant sous des cieux plus ensoleillés pour cachetonner. Rien de tout cela ne contribue à faire du ballet un spectacle accessible à tous. On reste sensible évidemment au glamour… si tant est qu’il soit partagé pour tous.
Cette matinée marquait donc la vraie rentrée de la compagnie parisienne et les retrouvailles avec le public. L’affiche est réjouissante : trois femmes chorégraphes, c’est assez rare pour être souligné. Et pas moins de deux créations alors que trop souvent des chorégraphes sont venus à l’Opéra de Paris pour recycler des pièces qu’ils ou qu’elles avaient créées pour leurs compagnies. Marion Motin et Xie Xin ont joué le jeu d’une vraie rencontre avec la troupe et d’un partage de leurs esthétiques. La première danse avec les stars. Venue du hip hop, elle a travaillé avec Madonna, Stromae ou Angèle, chorégraphié le défilé de Jean-Paul Gaultier. Et la liste n’est pas exhaustive. The Last Call (pourquoi l’anglais au fait ?) « parle avec brutalité de la mort. De la manière dont tout à coup, on disparaît dans une autre dimension: où vont ces gens qui subitement ne sont plus là ?« , s’interroge Marion Motin dans le programme. La chorégraphe se place ainsi à la lisière de la danse théâtre en concevant une pièce qui, sans être littéralement narrative, ambitionne de raconter une histoire.
Avant même le lever de rideau, la musique composée par Micka Luna donne la pulsation comme celle d’un cœur qui bat. Sur le plateau plongé dans le noir, une cabine téléphonique comme il n’en existe plus. Un danseur appelé Le Vivant décroche après quelques sonneries. On ne sait rien de ce qu’il entend mais cette brève conversation le met à terre au ralenti, étirant le fil du combiné qui se dévide telle une pelote, comme le dernier lien qui l’unirait à cette voix de l’autre côté du téléphone. Alexandre Boccara livre un bref solo impeccable, s’étirant, roulant au sol dans un mouvement de désespoir. Las ! Ce prélude prometteur n’ouvre pas le champ des possibles. Et Marion Motin se contente d’un vocabulaire bien pauvre. Les quinze danseuses et danseurs, habillés de tenues latex flashy, sont contenus dans une série de déhanchements et de moulinets dans des ensembles qui évoquent les shows télévisuels des années 1970. Axel Ibot, tout de noir vêtu, incarne La Mort. Il impose un charisme naturel sans avoir besoin de faire grand-chose. On ne voit que lui ! La scénographie signée Camille Dugas qui ne lésine pas sur les effets stroboscopiques est la partie la plus réussie de The Last Call. Elle parvient à évoquer ce climat mortifère et cette ambiance crépusculaire annoncés.
De Xie Xin, on connaît From IN vu à Paris L’été en 2019 qui m’avait tant séduit. Voilà une danse qui cherche en permanence l’élégance et les belles lignes, un art de composer des ensembles complexes sans abdiquer la fluidité. La chorégraphe chinoise a trouvé le ton juste avec les neuf danseuses et danseurs qu’elle a choisis. Comme elle le dit elle-même dans le programme, son style chorégraphique est « très lisse, doux, liquide« . Horizon s’inscrit à merveille dans cette définition, cherchant constamment des lignes pures. La scénographie d’Hu Yanjun illustre magnifiquement des cascades infinies dans un univers de brume. Comme un désir d’intemporalité incarné dans le style de Xie Xin, sans à-coups ni arrêts. Duos, solos et ensembles se succèdent dans cette recherche permanente d’harmonie et de communion avec la nature. Les costumes vaporeux dessinés par Li Kun accentuent cette atmosphère ouatée. Un casting sans faute dont on distingue Takeru Coste qui interprète un superbe solo, le corps qui se tord comme naturellement, tel un élastique.
L’entracte n’est pas de trop avant de revoir The Seasons’ Canon de Crystal Pite. Sept ans après sa création, la pièce n’a rien perdu de sa puissance originelle. Avec plus de cinquante danseuses et danseurs, on sort de la vision chambriste de la première partie pour une oeuvre plus ambitieuse et dans une variété de tempos offerte par la partition des Quatre Saisons de Vivaldi, recomposée par Max Richter. Ensembles organiques, courses insensées, duos pyrotechniques : Crystal Pite manie toute la palette à sa disposition. De ses années avec William Forsythe, elle a appris l’art de la géométrie dans l’espace, l’utilisation du langage académique pour sa puissance et sa beauté, exigeant de la troupe de prendre constamment des risques. Une nouvelle génération s’est déjà emparée de The Seasons’ Canon avec brio. Il y eut quelques placements approximatifs qui disparaitront à mesure que la série avancera. On perçoit aux saluts le plaisir d’interpréter cette pièce majeure du répertoire. Mentions spéciales pour Laure-Adélaïde Boucaud qui endosse sans trembler le rôle créé pour Marie-Agnès Gillot, quand Jack Gasztowtt reprend avec panache le solo de François Alu, pour ce qui est la plus belle réussite de ces dix dernières années à l’Opéra de Paris.
The Last Call de Marion Motin avec Axel Ibot (La Mort), Alexandre Boccara (Le Vivant) et Caroline Osmont, Ida Viikinkoski, Adèle Belem, Ysée Brétignière, Lucie Devignes, Lisa Gaillard-Bortolotti, Yann Chailloux, Nathan Bisson, Cyril Chokroun, Samuel Bray, Corentin de Naeyer, Jérémy Devilder, Osiris Onambele Ngeno et Enzo Saugar.
Horizon de Xie Xin avec Victoire Anquetil, Nine Seropian, Marion Gautier de Charnacé, Yvon Demol, Chun-Wing Lam, Maxime Thomas, Takeru Coste, Loup Marcault-Derouad et Antonin Monié.
The Seasons’ Canon de Crystal Pite avec Pablo Legasa, Francesco Mura, Jérémy-Loup Quer, Silvia Saint-Martin, Jack Gasztowtt, Laure-Adélaïde Boucaud et le corps de Ballet.
Samedi 23 septembre 2023 au Palais Garnier. À voir jusqu’au 12 octobre.
Viallard
J’ai également été surprise des adieux à la scène d’Émilie Cozette lors de cette soirée. Ce n’est pas très correct de la part de la compagnie. On ne l’a quasiment pas vu danser ces dernières années, est-ce qu’elle était blessée ?
Louis
Je tiens à vous exprimer ma gratitude pour vos articles, que je lis toujours avec un grand intérêt. Néanmoins, sur celui-ci, je tiens à exprimer des points de vue divergents sur plusieurs aspects.
Tout d’abord, j’ai réellement apprécié « The Last Call », une pièce qui se concentre principalement sur des mouvements ancrés au sol. Je trouve que cette approche est un choix chorégraphique audacieux et innovant, notamment pour des danseurs ayant une formation classique. Cela apporte une dimension captivante à la performance.
Même si les billets pour le Gala sont vendus à des tarifs élevés, il est important de noter que le mécénat contribue à combler une partie du déficit, ce qui permet d’offrir d’autres initiatives accessibles au public.Les pays anglo-saxon l’on bien compris, en France on part du principe que l’argent publique est une mane sans fin. De plus, je trouve que l’institution fait d’énormes efforts pour rendre la danse plus accessible au plus grand nombre.
Concernant les galas à New York. Vous mentionnez que les places ne sont pas ou peu surtaxées, mais si l’on regarde les prix, ils varient de 750 USD pour un billet individuel à 200 000 USD pour une table de 10 personnes. En comparaison, on peut trouver des billets à environ 100 USD pour les places situées dans les niveaux supérieurs. Ainsi, il semble que les galas à New York soient également caractérisés par des prix considérables, ce qui remet en question l’idée qu’ils sont accessibles à un large public.
D’autre part, pour préciser sur les étoiles. D’après le programme de l’opéra il était 4 a danser le soir du Gala.
En fin de compte, la critique artistique est subjective, et il est naturel d’avoir des opinions divergentes sur une performance. Cependant, il est important de discuter ouvertement de ces opinions pour enrichir le débat sur le monde de la danse.
Falgueyrac
Bonjour,
Il est impossible de trouver des places pour aller voir de la danse . Tout est complet dès l´ouverture. Il faudrait multiplier le nombre de dates par an mouns 2 . C´est très décevant