Le Het Nationale Ballet (le Ballet National Hollandais) reprend pour cet automne sa version de Giselle, dans la rédaction de Rachel Beaujean et Ricardo Bustamante créée en 2009. Les deux nouvelles stars de la compagnie, Olga Smirnova et Jacopo Tissi, tous deux transfuges du Bolchoï, faisaient leurs débuts dans cette production qui sera diffusée au cinéma à travers le monde par Pathé Live le 21 janvier prochain. Entourée par un corps de ballet féminin très impliqué et des solistes solides, Olga Smirnova irradie la scène entre un premier acte tout en délicatesse et nuances et un acte blanc mémorable, scandé par un travail des bras exceptionnel. 

Giselle de Rachel Beaujean et Ricardo Bustamante par le Het Nationale Ballet – Olga Smirnova et Jacopo Tissi

Quintessence du ballet romantique, Giselle est absolument indémodable. La version que propose le Het Nationale Ballet, signée Rachel Beaujean et Ricardo Bustamante, bien que récente, a déjà beaucoup voyagé. Les publics espagnols, colombiens et chinois ont pu ainsi la découvrir. Et la compagnie néerlandaise ne s’en lasse pas depuis 2009. Cette rédaction a tout pour séduire : elle reprend le schéma chorégraphique arrêté par Marius Petipa, Jean Coralli et Jules Perrot en y ajoutant quelques danses de caractère au premier acte et en réécrivant le pas de deux des paysans pour en faire un pas de quatre. Le reste est intact. La scénographie de Toer van Schayk est splendide, là encore inspirée par la version d’origine mais dans des tons plus tamisés, qui confèrent aux tableaux du premier acte un superbe clair-obscur magnifié par les lumières de James F. Ingalls. Le Het Nationale Ballet a aussi la chance assez rare d’être dotée d’un orchestre qui lui est dédié et sous la baguette d’Ermanno Florio, qui livre une interprétation remarquable de la partition d’Adolphe Adam. Enfin cette reprise pour cet automne 2023 était marquée par un événement : la prise de rôle dans cette production d’Olga Smirnova et Jacopo Tissi. Ils ont maintes fois dansé Giselle à Moscou. Mais c’était la première fois à Amsterdam. 

Tout semble ainsi se présenter au mieux pour une soirée qui va se révéler de très grande qualité. On ne présente plus Olga Smirnova, l’une des plus grandes danseuses classiques d’aujourd’hui. Elle allie une technique exceptionnelle à des qualités d’interprète qui lui permettent d’aborder avec confiance les grands rôles dramatiques. Il émane d’Olga Smirnova un curieux mixte d’extrême fragilité et de totale détermination. Ce mélange opère à merveille dans le premier acte de Giselle, où l’Étoile joue à la fois la paysanne fragile et malade, et la jeune fille prête à jouer sa vie pour l’amour. Elle dispose de tout l’arsenal nécessaire pour exprimer son personnage : un travail de pointes tout en finesse où se devine l’héritage de l’Académie Vaganova, une capacité d’accélération phénoménale, un large registre d’épaulements. Toutes ces qualités font fureur au second acte. Mais ce sont avant tout ses bras qui fascinent. Seules les danseuses russes maîtrisent à ce point le travail du haut du corps. Olga Smirnova peut raconter l’histoire et exprimer l’humeur de son personnage par les inflexions multiples et constantes de ses bras. On pourrait se contenter de les regarder pour comprendre sa Giselle. Et cela ne l’empêche guère d’être précise dans ses sauts et de réaliser des manèges à toute allure sans faute.

Giselle de Rachel Beaujean et Ricardo Bustamante par le Het Nationale Ballet – Olga Smirnova et Jacopo Tissi

Son partenariat avec Jacopo Tissi est déjà historique. Le danseur italien est l’un des très rares étrangers à avoir franchi les portes du Bolchoï. Il y fut nommé Principal en 2021 avant de quitter Moscou lui aussi en février 2022, lorsque l’invasion de l’Ukraine s’est confirmée. Après quelques mois entre autres à la Scala de Milan, Il a suivi en cette rentrée Olga Smirnova à Amsterdam où ils découvrent ensemble le répertoire de leur nouvelle compagnie. Jacopo Tissi un danseur aux lignes exceptionnelles, noble pour reprendre une terminologie contestable mais signifiante. Le danseur n’a aucun mal à se glisser dans les rôles de prince, de Jean de Brienne, Siegfried à Albrecht. Il s’impose physiquement grâce à une technique irréprochable, bien qu’il soit trop souvent emprunté dans son jeu dramatique. Mais l’excellence du partenariat pallie le risque de dépeindre un personnage trop fade. Et si son interprétation du premier acte a un goût de trop peu, Jacopo Tissi est impérial dans l’acte blanc, dévidant tout son arsenal technique.

Le couple star est entouré ce soir-là par d’excellents solistes. Giorgi Potskhishvili est un Hilarion très physique, terrien comme il convient au rôle et remarquable dans le second acte par son ampleur de sauts. Floortje Eimers fait pour sa part une entrée époustouflante en Myrtha, avec une diagonale de pure folie, traversant la scène à très grande vitesse. Elle dirige cet acte des Willis avec assurance. Le corps de ballet féminin, déterminant dans Giselle, accompagne parfaitement ce quatuor avec un croisement en arabesques très propre.

Giselle de Rachel Beaujean et Ricardo Bustamante par le Het Nationale Ballet

Pas moins de sept caméras avaient été installées dans la grande salle de l’Opéra d’Amsterdam pour immortaliser cette représentation, qui sera retransmise au cinéma le 21 janvier, par Pathé Live. Le diffuseur qui organisait la retransmission mondiale dans les salles de cinéma des saisons du Bolchoï a mis fin à ce contrat avec la guerre en Ukraine. C’est évidemment irremplaçable. Mais à tout le moins, cette Giselle du Het Nationale Ballet porté Olga Smirnova est à ne pas manquer. 

Giselle de Rachel Beaujean et Ricardo Bustamante, d’après Marius Petipa, Jean Coralli et Jules Perrot, par le Het Nationale Ballet. Avec Olga Smirnova (Giselle), Jacopo Tissi (Albrecht), Giorgi Potskhishvili (Hilarion) et Floortje Eimers (Myrtha). Mardi 26 octobre 2023 au Het National Opera and Ballet Amsterdam. À voir jusqu’au 5 novembre, puis en tournée à La Haye (9 novembre), Maastricht (11 novembre), Utrecht (14 novembre), Eindhoven (15 novembre), Zwolle (18 novembre), Rotterdam(19 novembre).  À voir au cinéma un peu partout dans le monde le 21 janvier et le 1er février 2024 avec Pathé Live. Rediffusion du 5 au 11 juin au cinéma.