Bilan 2023 de la danse – Le Top 5 de la rédaction
Comme de coutume, la rédaction de DALP se plie à un bilan de l’année Danse écoulée. Avec pour chaque membre de la rédaction, un Top 5 (pas forcément par ordre de préférence) des moments forts de ces douze mois passés. Cela peut être un spectacle, un festival, un film, un moment hors du temps… En tout cas cinq moments de danse un peu particuliers, qui d’une façon ou d’une autre, nous ont touchés. Et vous, que retenez-vous de cette année de Danse ?
Le Top 5 d’Amélie Bertrand
1 – La Belle au bois dormant de Frederick Ashton d’après Marius Petipa par le Royal Ballet de Londres, avec Marianela Núñez et Vadim Muntagirov
Puis dans le désordre
2 – Le Gala des 50 ans du Prix de Lausanne
3 – La Biennale de la Danse de Lyon
4 – Le Hessisches Staatsballett au festival Le Temps d’aimer
5 – The Statement de Crystal Pite par le Ballet BC et Black Lights de Mathilde Monnier
Ce fut ma Plume d’or de la saison passée, et toujours en tête au moment de faire le bilan de cette année Danse 2023. La Belle au bois dormant de Marianela Núñez fut un moment absolument prodigieux. Comme son personnage, elle est touchée par la grâce et tous les dons, si au-dessus de tout le monde, sans jamais se départir d’un charme jamais affecté. C’est le miracle d’un grand rôle, interprété par une Étoile à la maturité de ses 40 ans et qui n’a cessé de le travailler durant toute sa carrière. Il serait toutefois réducteur de ne ramener cette représentation qu’à son interprète principal. Car l’ensemble de la distribution, d’un Prince Vadim Muntagirov au dernier des figurants, mais aussi tout le travail de reconstruction et de transmission, était au même niveau d’excellence. Une soirée hors du temps.
En 2023, il y a eu les soirées Souvenirs. Le Prix de Lausanne a ainsi mis les petits plats dans les grands pour fêter son 50e anniversaire, avec un Gala absolument magistral. Trois heures de danse sans aucun temps mort, avec des artistes tous plus fabuleux les uns que les autres, pour une programmation d’une grande intelligence, où chaque extrait faisait penser, d’une façon ou d’une autre, à l’histoire de ce Prix par comme les autres. Quelques semaines plus tard, le gala Hommage à Patrick Dupond de l’Opéra de Paris faisait bien chiche. Mais tout de même, il y a eu au cours de cette soirée de grain de folie Patrick Dupond. Et le sentiment, enfin, du renouveau de cette compagnie.
Il y eut ensuite les festivals de rentrée. Le Temps d’aimer la danse ne cesse de séduire année après année, par là encore l’intelligence de sa programmation, sa façon de remplir les salles, ses temps de réflexion – cette année, un passionnant forum sur la santé du danseur/de la danseuse. Et une belle découverte venue d’Allemagne : le Hessisches Staatsballett, à la programmation à la fois attendue et pointue, et à interprètes percutants. Une compagnie que l’on a envie de suivre. Tout comme le Ballet BC découvert en début d’année, venu cette fois du Canada, mené par le français Medhi Walerski. Dans sa soirée en trois actes, la compagnie a marqué le coup avec The Statement de Crystal Pite, une pièce virtuose de danse-théâtre créée en 2016, semblant résumer à elle seule l’origine du chaos de notre monde. À peine 20 minutes de danse, et une vraie claque. Ue claque aussi pour Black Lights de Mathilde Monnier, vue à Montpellier Danse, création si importante sur les violences sexistes et sexuelles systémiques dont sont victimes les femmes – d’autant plus capitale que le monde de la danse n’a pas encore fait son MeToo. Une pièce dure, terriblement salvatrice aussi, qui provoque ce miracle de redonner une énergie folle malgré un propos terrifiant. Ne la manquez pas en tournée en 2024.
Ce fut enfin la Biennale de la Danse de Lyon. Un événement en soi – une quarantaine de pièces dont beaucoup de créations, un retour à la normale pour ce festival après la crise sanitaire – qui mérite de s’y arrêter même si le bilan laissa un drôle de goût. J’y ai pu en voir dix pièces, ce qui est à la fois beaucoup et peu pour une véritable conclusion. Il y eu de la performance, de l’énergie, une volonté de rassembler. Et très souvent, un choix d’inclure le public, d’une manière ou d’une autre, dans la pièce. Mais le fond, l’écriture chorégraphique, la réflexion sur comment le corps se met en mouvement dans l’espace, laissa comme un goût de trop peu. Comme si l’événement, le participatif, la volonté de faire bouger le public et le faire se lever de son siège en rythme, comptait plus que le propos. La pièce la plus construite vint finalement du cirque, avec Foreshadow d’Alexander Vantournhout. Me confortant dans l’idée qu’en ce moment en France, les bonnes surprises viennent plus de la scène circassienne que de celle de la danse contemporaine. À suivre en 2024 !
Le Top 5 de Jean-Frédéric Saumont
Sans ordre de préférence
1 – The Dante Project de Wayne McGregor par le Ballet de l’Opéra de Paris
2 – Angelin Preljocaj, création et répertoire
3 – Any attempt… et Futur Proche de Jan Martens
4 – Hugo Layer dans Les Saisons de Thierry Malandain
5 – Le Festival de Flamenco de Nîmes
Quel exercice périlleux quand il faut, dans la multitude de spectacles, choisir les propositions et les interprètes qui nous ont le plus marqués. La mémoire est souvent défaillante ou sélective. Si l’on tente de faire surgir les souvenirs des douze mois écoulés affleurent malgré tout quelques lignes de force que l’on tentera d’énumérer, en se gardant bien d’une quelconque hiérarchie. Assurément Wayne McGregor ne peut être absent de ce palmarès. Il a offert au Ballet de l’Opéra de Paris la pièce la plus ambitieuse et passionnante de ces dernières années avec The Dante Project, ballet en trois actes sur la partition originale de Thomas Ades, plongeant dans les arcanes de La Divine Comédie. Le chorégraphe britannique a conçu une œuvre narrative, complexe, parfois obscure mais qui renouvelle brillamment le genre du grand ballet narratif classique, mêlant avec savoir-faire le vocabulaire académique et un geste profondément contemporain.
Le temps qui passe n’affecte pas la verve créatrice d’Angelin Preljocaj. Il s’est fixé un challenge en associant dans un même programme deux pièces phares de son répertoire, Noces (1989) et Annonciation (1995), à une création Torpeur. Cette dernière est une pièce virtuose, à la fois frénétique par ses envolées et ses tourbillons, et profondément apaisée, presque zen dans son final construit sur une ronde au sol d’une beauté fracassante. Et l’on constate que le vocabulaire et le style d’Angelin Preljocaj n’ont jamais cessé de s‘enrichir et de se nourrir de tout son corpus. Angelin Preljocaj s’annonce déjà en 2024 avec une nouvelle création Requiem(s) au printemps, et dès cette rentrée on peut le voir faire répéter au Ballet Junior une autre de ses œuvres clés de son répertoire, Paysage après la répétition.
Dans ce panthéon subjectif, il convient de placer Jan Martens venu au printemps dernier avec ses deux pièces Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones (2021) et Futur Proche (2022). Elles avaient été présentées à Avignon. Les voir consécutivement à La Villette fut une expérience unique. Le chorégraphe belge affrontait pour la première fois un vaste ensemble. Il y démontre sa richesse conceptuelle, développant une écriture politique mais qui jamais n’abdique l’esthétique du propos et nous appelle à une résistance joyeuse. Jan Martens est un chorégraphe important et nécessaire dont on guette les rendez-vous.
Le plus difficile est de distinguer les danseuses et les danseurs. Mais comment ne pas mentionner Hugo Layer, qui a émerveillé une fois de plus la dernière création de Thierry Malandain Les Saisons. Le chorégraphe prend soin de lui dédier un solo comme il l’avait fait dans La Pastorale. Le danseur, pilier de la compagnie, brûle la scène, alliant à la fois une technique sans bavure, des lignes magnifiques et une musicalité infaillible sans laquelle on ne saurait danser les pièces de Thierry Malandain. Il n’y a pas de hiérarchie dans la compagnie et c’est très bien ainsi, mais une fois sur scène, Hugo Layer captive, resplendit et fait resplendir autour de lui.
Les saisons sont émaillées de festivals qui tous offrent matière à découvertes et enchantements. Mais puisque l’année commence, on ne saurait trop louer les bienfaits du Festival de Flamenco de Nîmes, rendez-vous majeur pour cet art. Au cœur de l’hiver et du soleil frileux, Nîmes voit se succéder les grands noms de la musique et de la danse flamencas. Et les découvertes qui montrent que cet art ancré dans une tradition puissante est en perpétuelle évolution faisant émerger des personnalités nouvelles. C’est un festival précieux.
Le Top 5 de Claudine Colozzi
– Dancing Pina de Florian Heinzen-Ziob
– Necesito pièce pour Grenade de Dominique Bagouet par le CNSMDP
– Black lights de Mathilde Monnier
– Leïla Ka, Nawal Aït Benalla, Rébecca Chaillon…
– Le film Houria de Mounia Meddour
« Ça a commencé par une danse, donc il fallait finir par une danse« . Ces mots me reviennent en mémoire alors que je jette un regard sur 2023 pour en faire le bilan. En avril, Stéphane Voirin, le compagnon d’Agnès Lassalle, cette professeure mortellement poignardée par un élève, choisissait d’esquisser quelques pas de danse devant le cercueil de sa compagne. Sa silhouette mince à la Fred Astaire, cette façon délicate d’étreindre le vide m’ont frappée en plein cœur. Une magnifique manière de dire au-revoir à l’être aimé. Que vient faire ce souvenir dans une rétrospective d’une année chorégraphique ? Il m’évoque que c’est sans doute aussi cela l’essence de la danse. Instaurer un dialogue avec les êtres chers disparus (en février, l’Opéra de Paris a enfin rendu l’hommage qu’il méritait à Patrick Dupond), jeter des passerelles invisibles vers celles et ceux que nous avons admirés.
Dans l’art chorégraphique, cela passe notamment par la transmission. Cette année, il en a été beaucoup question dans le documentaire Dancing Pina de Florian Heinzen-Ziob, sorti en avril, comme dans la reprise de Necesito pièce pour Grenade de Dominique Bagouet par les danseurs de l’Ensemble Chorégraphique du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP). Des passages de témoin émouvants et réussis. De cette année encore trop marquée par les violences faites aux femmes, je veux garder le souvenir de spectacles qui se font caisses de résonnance de ce mal endémique. Je salue le courage de Black lights de Mathilde Monnier, une pièce majeure créée au festival Montpellier Danse en juin. D’autres chorégraphes comme Leïla Ka ou Nawal Aït Benalla, ou des performeuses comme Rébecca Chaillon questionnent la représentation du corps des femmes et l’assignation à des rôles spécifiques. Des danses d’émancipation qui irriguent les plateaux d’une saine révolte.
En 2023, le cinéma s’est fait aussi l’écho du pouvoir de la danse comme outil de reconstruction. Deuxième film de la réalisatrice franco-algérienne Mounia Meddour, Houria suit une jeune ballerine (l’actrice Lyna Khoudri, très investie dans ce rôle de danseuse aphasique), à Alger qui, à la suite d’une agression, voit ses rêves de carrière s’envoler. Que reste-t-il à Houria quand tout s’écroule autour d’elle, sinon ses sœurs de combat unies par la danse ? À l’heure où, de l’Iran à l’Afghanistan, les droits des femmes sont encore régulièrement bafoués, cette quête de liberté grâce à la danse délivre un puissant message d’espoir pour 2024. « We will dance again« , s’est fait tatouer Mia Schem, jeune Franco-Israélienne de 21 ans, ex-otage du Hamas quelques jours après avoir été libérée. Danser sur un volcan. Danser sur des braises. Danser pour un monde meilleur.