[Prix de Lausanne 2024] Rencontre avec le candidat français Léo Weber
Comme chaque année sur Danses avec la plume, nous vous proposons des interviews des candidats et candidates françaises participant au Prix de Lausanne. Cinq ont été sélectionnés pour cette édition 2024. Et l’on démarre avec Léo Weber (211), 16 ans, élève en DNSP3 au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Il nous raconte ses premiers instants à Lausanne, sa préparation, ses ambitions.
Comment se sont passés pour vous les premiers moments au Prix de Lausanne ? (ndlr : l’entretien a lieu le lundi 29 janvier).
Je suis très reconnaissant d’être ici, à Lausanne. C’est une expérience inoubliable, tout danseur rêve d’y participer. La première journée, le dimanche, s’est bien passée. C’était un peu une mise en pratique, on voyait comment cela allait se passer, l’ambiance générale. Pour le premier cours de danse avec Julio Bocca, on a appris tous les exercices que l’on utilisera les jours suivants. Lundi matin, nous avons eu notre premier cours de danse devant le jury et cela s’est très bien passé, j’ai vraiment bien senti le cours, j’étais très content d’être là. Puis nous avons eu notre premier passage en scène, un peu par un, de la variation classique. Là encore, cela s’est bien passé. La scène met en confiance, le sol est clair, je me sens un peu comme si j’étais en cours.
Comment est le cours de Julio Bocca par rapport à votre quotidien avec Gil Isoart au CNSMDP ?
À la barre, les exercices étaient assez proches de ce que je faisais avec Laurent Novis au Conservatoire l’année dernière. Tout est très dans les épaulements, carré, clair dans les placements. Je n’ai donc pas été dérouté. Le milieu était différent de ce que je fais avec Gil Isoart cette année, qui nous fait faire des choses très dansantes. À Lausanne, il y a beaucoup d’arrêts, de positions, de choses claires, c’est moins dansé. mais ça allait. C’est un challenge, il faut toujours y montrer que nous sommes là pour danser, pas juste pour faire. On est heureux d’être là, on n’a pas besoin de stresser. J’ai essayé de mettre le même plaisir dans ces exercices que dans mes cours normaux.
Et avoir le jury en face de soi pendant un cours de danse, cela change les choses ?
Cela ne m’a pas énormément perturbé alors que je suis quelqu’un d’assez perturbable. Ils sont là pour juger… mais leur regard n’est pas là pour juger dans un sens négatif. Ils nous observaient, nous regardaient, je voyais leur bienveillance dans leur regard.
Comment sentez-vous votre groupe ? Vous êtes le 211, le 2010 est un autre élève du CNSMDP Sébastien Urban Vidal. Vous passez donc tout le cours à côté.
J’ai un peu regardé les autres. Mais quand je danse, je me concentre sur ce que je fais. Mon groupe est bon. Dans l’ensemble, ils sont très souriants lors de leur passage en scène, mais moins pendant le cours. Sébastien, c’est très rassurant de l’avoir à mes côtés. On est amis dans la vraie vie, on est dans la même classe au lycée, on se retrouve le soir à l’internat. Cela fait du bien d’être avec quelqu’un que l’on connaît. Je ne suis pas dans la compétition, je pars du fait que l’on est dans un concours pour danser, par pour écraser les autres. En ayant ce soutien, on se sent moins seul et épaulé. Je suis très heureux de faire ce concours avec lui, j’aurais été plus stressé sans cela, me connaissant. Il est peut-être plus instinctif que moi, qui prévois toujours plein de possibilités.
Qu’est-ce qui vous a motivé pour tenter le Prix de Lausanne ?
Cet été, j’ai fait le stage d‘été des pré-sélections à Lausanne. Cela s’est très bien passé. Même si je n’ai pas été sélectionné pour le Prix, les membres du jury m’ont conseillé de me présenter. Ils ont apprécié ce que je faisais et que j’étais assez bon en contemporain. J’ai donc fait ma vidéo en septembre. Nous sommes 5 dans ma classe, nous nous sommes tous présentés. J’ai été le seul à être pris, avec Sébastien Urban Vidal qui est en DNSP2.
Comment avez-vous choisi vos variations ?,
En classique, j’ai pris La Fille mal gardée. Et en contemporain, Tout va bien d’Elena Dombrowski. J’avais dansé la variation de Colas pour mon examen l’année dernière, c’est une variation que j’ai toujours aimé danser. Il a fallu la retravailler, ce n’est pas la même version. Mais elle m’a toujours plue : elle a un côté très pétillant, Colas n’est pas un prince noble, l’émotion peut plus ressortir. Pour la variation contemporaine, je l’avais travaillé lors du stage d’été et j’ai toujours été fan de cette création. Elle regroupait beaucoup de choses. L’idée de ce solo est de parler de la fin du monde dû au dérèglement climatique, et que l’on fonce dans le mur parce que tout est calibré. En tant que jeune personne, cela m’a intéressé de parler de ça artistiquement parlant. Cette variation est très dans les épaulements, très cadrée, parce que cela part du cadre de la politique. Mais il y a toujours des moments où on relâche. On passe ainsi par ces deux états, l’un où tout est très placé, l’autre bien plus aérien, dans le sens du moment, plus relâché. C’est captivant, j’aime avoir ces ambivalences dans le corps, jouer avec ça.
Et comment avez-vous mené le travail ?
On avait le projet Lucinda Childs X 100 en début d’année, on a donc commencé assez tard. J’avais commencé de mon côté avant, ce n’est pas un concours qu’il faut prendre à la légère. Nous avions des cours spécifiques avec Sébastien pour travailler cette variation, avec Gil Isoart, aussi avec notre directrice Murielle Maffre. Nous avons eu le soutien de la fondation Lazard Frères Gestion, pour les costumes, l‘hébergement, le voyage ou les cours. Pour Colas, le travail était de bien tenir mon centre, d’être dans le sol. Ce sont des choses qui ont pu mettre du temps à se mettre en place. Il faut avoir un placement très marqué : tout est sur les accents, on ne peut pas se permettre d’être approximatif. La musique est très claire, et son déchiffrage a été essentiel, c’est un travail qui m’a beaucoup aidé. Dès que les comptes étaient en place, je sentais que c’était plus clair dans mon corps, les éléments techniques paraissaient plus simples.
Pour la variation contemporaine, j’ai un peu travaillé avec Raphaëlle Delaunay, notre professeure de danse contemporaine, beaucoup avec Gil Isoart, beaucoup seul. Le coaching avec ma directrice Muriel Maffre, sur les quinze derniers jours, a été très important. Elle est arrivée en septembre, je l’avais donc peu vue avant de travailler avec elle. J’ai énormément aimé son regard extérieur, sa critique toujours très constructive. En me disant parfois un mot, je comprenais beaucoup de choses. Cela m’a vraiment clarifié sur les derniers moments, c’était très enrichissant.
On le sait, la formation au CNSMDP manque d’expérience scénique, et c’est ce qui peut faire la différence à Lausanne. Comment vous êtes vous préparé ?
Quand j’étais petit, j’ai fait des concours, cela a toujours été naturel pour moi. L’année dernière, aux portes ouvertes, nous avons passé une variation seul en scène. C’était important pour la suite. Et lors de notre préparation, nous avons travaillé les derniers jours sur scène. Cela m’a beaucoup aidé pour savoir me repérer dans les coulisses, prendre l’espace.
Le CNSMDP est maintenant représenté tous les ans, ou presque au Prix de Lausanne. Avez-vous échangé avec ceux et celles qui ont déjà cette expérience ?
J’ai beaucoup parlé avec Pier Abadie et Shani Obadia de la réalité du Prix de Lausanne. C’est un moment avec de grands enjeux, je voulais être prêt. Cela m’a poussé à continuer le coaching mental. J’en faisais avant et je l’ai accentué ça, pour que je sois vraiment prêt pour cette semaine. Une des clés, et Gil Isoart m’en parle aussi, c’est la visualisation : écouter la musique et se voir faire la variation, de l’intérieur, de l’extérieur. Cela aide à être beaucoup plus sûr de soi. Les mots que l’on emploie aussi, sur nous-mêmes, et qui ne sont pas bénéfiques. Je me suis rendu compte que, pendant le cours de dimanche, je me faisais des réflexions qui montraient que je n’étais pas toujours dans le moment présent. Je pouvais penser aux écoles partenaires, par exemple. En relisant mes notes lundi matin, j’ai réalisé ça. Au cours suivant, j’étais vraiment dans le moment présent, j’étais maître de mon corps dans chaque mouvement. Et c’est cela qui m’a mis en confiance.
Quel est votre but au Prix de Lausanne ?
Mon premier objectif est de profiter de cette semaine, de prendre cette expérience et de la vivre à fond. De danser. C’était mon fil conducteur pendant toute cette préparation. Je suis bien parti dans cette dynamique pour l’instant. Bien évidemment, je vise la finale. On ne sait pas ce qui va se passer, mais je vais tout mettre en œuvre pour le faire. C’est un moment unique dans notre vie, j’ai vraiment envie d’avoir cette chance de remonter une deuxième fois sur cette scène.
J’ai 16 ans, en dernière année au CNSMDP et en première au lycée. Ma terminale, je ne sais pas où je vais la passer. Je pense à une Junior compagnie et passer mon bac par le CNED. J’aimerais beaucoup entrer à la Royal ballet school. j’aime leur méthode, leurs élèves, tout leur processus pour créer et façonner un danseur. J’aime beaucoup aussi l’École de Danse de l’Opéra de Paris, et cela ouvre des portes pour le Ballet. Elle m’a toujours fait envie, je l’ai tentée trois fois étant petit, j’ai toujours été recalé au deuxième tour, pour des problèmes de taille. Si à nouveau je ne suis pas pris à cause de ma taille, ça ne sera pas une défaite. Je ne peux pas changer, je fais 1,70 mètre. J’aimerais vraiment y rentrer, à voir ce qui est possible.
Et pour votre carrière, quels sont vos rêves ?
L’Opéra de Paris bien sûr. J’aime aussi vraiment le San Francisco Ballet. En termes de réalisme par rapport à mon physique, je trouverai plus facilement ma place aux USA, j’ai parlé avec ma directrice de ça. J’aimerais beaucoup un jour danser La Belle au bois dormant, le rôle du Prince désiré, Le Lac des cygnes que j’aime énormément. J’aime beaucoup le néo-classique aussi, William Forsythe est un chorégraphe incroyable, on l’a abordé plusieurs fois durant ma formation. Jiří Kylián me touche beaucoup également. J’aimerais beaucoup être amené à travailler leurs pièces.
Quel est votre parcours dans la danse ?
Quand j’étais petit, j’ai toujours aimé danser, bouger sur la musique. J’ai commencé par du modern jazz, de mes 5 à mes 10 ans. À 9 ans et 1/2, j’ai vu mon premier ballet, La Belle au bois dormant en vidéo. J’avais des étoiles plein les yeux ! Ce monde me faisait rêver, et il me fait toujours rêver. J’ai voulu en faire. Une amie de ma mère, qui est professeure à Oslo, a regardé mes capacités et m’a encouragé, même si c’est un monde semé d’embûches et de travail. Elle m’a envoyé chez Monique Arabian, à l’Académie Chaptal. J’y suis resté trois ans. J’en garde un très bon souvenir, même si c’était dur pour un petit garçon de 9 ans. Elle n’avait pas la langue de sa poche ! Mais je la remercie : cela m’a servi pour la suite, je n’ai pas peur des critiques. Elle m’a donné une force mentale dont je ne me séparerai jamais et dont je la remercie. Quand l‘école a fermé, je suis parti chez Stanlowa, en sport-études, pendant trois ans. Puis j’ai tenté le CNSMDP et j’y suis rentré en 3e au collège, directement en DNSP1 (deuxième année d’étude).
Enfin, quels sont les danseurs et danseuses que vous admirez ?
J’aime énormément Hugo Marchand à l’Opéra de Paris. Il est présent dans tout ce qu’il fait, il est pétillant. J’aime comment il amène la danse avec sa force et sa puissance, tout en arrivant à y amener de la douceur. J’aime aussi beaucoup Paul Marque qui a une technique impressionnante et met beaucoup de joie dans ce qu’il fait. Au Royal ballet, j’aime beaucoup Matthew Ball, j’ai toujours été impressionnée par son travail. Les femmes aussi m’inspirent, comme Marianela Núñez qui a une dimension artistique incroyable. Elle m’impressionne beaucoup dans sa manière d’être et de transmettre des émotions.
Novas
Merci pour ce portrait plein de vie et d’envie de danser.
Est-ce qu’un élargissement des interviews aux cantidat·e·s francophones avec Nadia Corboud est prévu?
Jacqueline F
Quelle maturité et intelligence dans les propos de ce jeune homme. Je lui souhaite le meilleur pour ce concours et pour la suite de sa carrière.