[Suresnes Cités Danse 2024] Vivantes de Mickaël Le Mer
Mickaël Le Mer a noué un long compagnonnage avec le festival Suresnes Cités Danse et son ancien directeur Olivier Meyer que Carolyn Occelli a choisi de poursuivre. Après Les yeux fermés, sa précédente création, inspirée par l’œuvre du peintre Pierre Soulages, présentée durant l’édition 2022, le chorégraphe revient avec Vivantes, une pièce pour huit danseuses qui a toute sa place dans une manifestation ayant toujours valorisé les interprètes féminines. Cet octuor s’empare de l’espace avec beaucoup de fougue et d’engagement. S’affranchissant des codes du hip-hop sans les renier totalement, elles interprètent une partition d’une grande sensibilité, envoûtante et pleine de sens. Vivantes, ces huit danseuses le sont assurément, vibrantes d’une énergie magnétique et d’un flot d’émotions contenues.
Artiste associé aux Gémeaux-scène nationale de Sceaux, Mickaël Le Mer a eu l’idée de Vivantes à la suite d’une discussion avec Séverine Bouisset, sa directrice. Le projet d’une pièce avec une distribution exclusivement féminine a fait son chemin. Au plateau, huit interprètes se retrouvent et unissent leur façon d’être au monde. Nous les découvrons d’abord de dos. Vêtues de tenues noires qui ne laissent que les bras et les cous à découvert, soulignés par la lumière, elles déploient une gestuelle d’abord minimaliste. Un bras se tend, un main s’enroule derrière une nuque, une épaule se déroule d’avant en arrière. Elles demeurent sur place. Puis, tel un essaim, elles se déplacent en groupe, faisant corps les unes avec les autres. L’envie qu’elles se retournent, qu’elles laissent exploser cette énergie contenue se fait jour. Patience, cela arrive…
Le mouvement s’amplifie. Elles conquièrent progressivement davantage d’espace. Elles osent se dissocier du groupe sans jamais s’en extraire totalement. Le collectif avant tout. La danse est précise, habilement répétitive, laissant chacune en proie à une implacable mécanique. Les lumières se font changeantes et accompagnent les corps dans des histoires différentes. Cette armée d’ombres en noir s’affirme différemment au fil de la pièce, s’impose sans brutalité mais avec persévérance. Jamais en force, plutôt avec une constance sans faille. Et quand la gestuelle se teinte de danse hip-hop, chacune inscrit le mouvement dans l’espace en glissant sur le sol, avec une légèreté extrême, avec un engagement plein de nuances.
Mais le cœur du réacteur de Vivantes, c’est sans conteste le passage où les huit interprètes jouent à cache-cache avec un rideau constitué de fines cordelettes placé en fond de scène. Happées, entravées, dissimulées, elles disparaissent et réapparaissent entre les fibres de textile. On les devine derrière cet écran qui les soustrait à nos regards. Riche de symboles, ce rideau les emprisonne puis les libère. L’un des plus beaux moments de cette pièce.
Pour conclure, le chorégraphe choisit de replacer ses interprètes dans une frontalité vis-vis du public qu’elles avaient esquivée ou effleurée, par pudeur ou fuite, durant quasiment toute la pièce. Une radicalité qui nécessite de puiser au plus profond de ses ressources. Chacune à sa manière relève ce défi. Difficile de fixer son regard sur l’une plutôt qu’une autre, elles ont tant à nous raconter. Le mieux est de passer de l’une à l’autre pour tenter de percer leur mystère. Car si elles se retrouvent face à nous, elles sont surtout face à elles-mêmes. L’évidence saisit. C’est beau de les voir se dévoiler, nous en dire plus peut-être durant ces quelques minutes qu’elles ne l’ont fait durant tout le reste de la pièce. Lors des saluts, l’une d’entre elles ne peut retenir ses larmes. L’émotion contenue ne demandait qu’à sortir. Vivantes, tellement vivantes.
Vivantes de Mickaël Le Mer avec Jeanne Azoulay, Juliette Bolzer, Fanny Bouddavong, Alizée Brule, Clara Duflo, Lise Dusuel, Charlotte Garbin, Agnès Sales Martin. Dimanche 28 janvier 2024 au Théâtre Jean Vilar dans le cadre de Suresnes Cités Danse.
À voir en tournée le 16 mars au théâtre de Fontainebleau.
Le festival Suresnes Cités Danse continue jusqu’au 8 février.