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Ballet Preljocaj Junior – Paysage après la bataille d’Angelin Preljocaj

Le Pavillon Noir d’Aix-en-Provence a organisé du 16 au 23 mars les Rencontres des Ballets Juniors européens : dix jours de spectacles, masterclass et tables rondes afin d’échanger sur les problématiques auxquelles sont confrontés aujourd’hui les jeunes danseuses et danseurs. Le tout inauguré par Ballet Preljocaj Junior, qui présentait Paysage après la bataille, reprise d’une pièce majeure d’Angelin Preljocaj créée au Festival d’Avignon en 1997. Ces jeunes interprètes partagent une excellence technique qui a irradié l’œuvre conique du répertoire du chorégraphe, qui en a imaginé une version resserrée sans rien perdre de sa puissance esthétique.

 

Paysage après la bataille d’Angelin Preljocaj – Ballet Preljocaj Junior

 

C’est dans la continuité des Rencontres des Écoles Nationales Supérieures de danse, initiées par Didier Deschamps lors du dernier Festival de Danse de Cannes en novembre 2023, que s’inscrivaient ces Rencontres des Ballets Juniors européens. Il a fallu pousser les murs du Pavillon Noir d’Aix-en-Provence pour accueillir près d’une centaine de danseurs et danseuses venus des Pays Bas (Codarts), d’Allemagne (Jeune Ballet), d’Italie (La Scala), de Lyon (CNSMD), de Paris (CNSMD) de Cannes (Jeune Ballet Rosella Hightower) et de Genève (Ballet Junior), qui ont interprété une grande variété de chorégraphes d’hier et d’aujourd’hui. À la clef, une question lancinante : comment parvenir à s’insérer dans le monde professionnel de la danse dans une conjoncture qui reste compliquée ? En dépit du nombre de compagnies existantes, la précarité demeure la règle pour la plupart des danseuses et danseurs professionnels. Et le désengagement des pouvoirs publics ne simplifie pas la donne.

Ces Rencontres ont pourtant montré la profusion des talents en France et au-delà. La promotion 2024 du Ballet Preljocaj Junior est composée de douze danseuses et danseurs sélectionnées sur audition et venus de différentes écoles européennes. Ils poursuivent par ailleurs des études au sein du Pôle National Supérieur de Danse Rosella Hightower, partenaire du Ballet Preljocaj. À Aix-en-Provence, ils reprennent des pièces du répertoire et participent à des événements qui sont l’occasion de proposer des performances. Cette année, Angelin Preljocaj avait choisi de revenir sur une de ses pièces majeures : Paysage après la bataille. Elle date de 1997 – les interprètes du Ballet Preljocaj Junior n’étaient même pas nés ! – et elle avait produit une forte impression lors de sa présentation devant le redoutable mur de la Cour d’honneur du Palais des Papes.

Pour le Ballet Preljocaj Junior, Angelin Preljocaj a imaginé une version réduite mais qui ne perd rien de sa force. La pièce est construite en séquences, le chorégraphe a éliminé certaines d’entre elles, « parfois à regret« , confie-t-il. Mais ce Paysage après la bataille redux conserve une cohérence du récit et une vitalité de tous les instants. La feuille de salle reproduit la note d’intention de 1997, ces « joutes imaginaires entre deux personnages antinomiques du monde de l’art… l’écrivain Joseph Conrad qui exalte les pulsions les plus sombres de l’être humain et le Marcel Duchamp qui a totalement bouleversé notre perception des arts plastiques« .

 

Paysage après la bataille d’Angelin Preljocaj – Ballet Preljocaj Junior

 

Comme il l’a fait plus récemment avec Gilles Deleuze, Angelin Preljocaj aime nourrir sa création de réflexions sur l’art et sa philosophie, non pas pour produire une danse conceptuelle mais davantage pour impulser le geste, trouver du sens. Paysage après la bataille confronte ainsi deux visions divergentes de l’art pour bâtir une danse qui fait cohabiter « l’instinct et l’intelligence« . 27 ans après sa création, sa puissance est intacte. Rétrospectivement, on y décèle des thèmes dont on ne parlait pas à cette époque, comme la violence faite aux femmes dans la scène d’exposition où des couples enlacés dansent dans ce qu’on imagine être une boîte de nuit et qui s’achève pour certaines femmes par des coups. Cette séquence résonne à grands cris dans le monde d’aujourd’hui.

« L’art d’une époque n’est pas le goût de l’époque« , nous dit Marcel Duchamp. Et cet axiome qu’affectionne Angelin Preljocaj est une formidable grille de lecture des œuvres d’art et du spectacle vivant. Reprendre Paysage après la bataille, c’est réaliser une leçon de choses à la lumière de Marcel Duchamp. À l’évidence, la pièce est datée au sens propre du terme : écrite en 1997. Cet environnement n’a pas pour autant vieilli mais le public d’aujourd’hui n’est pas celui d’il y a 30 ans. La force d’une pièce, c’est précisément de parvenir à dépasser l’effet de mode. La chorégraphie d’Angelin Preljocaj est à ce titre irréprochable : il offre une panoplie stimulante de son vocabulaire.

De ses cabines d’essayage placées de part et d’autre de la scène et recouvertes de rideaux en tissus imprimés surgissent les interprètes sans nous laisser le moindre repos. Chaque séquence nous bouscule. Ces jeunes hommes en jupons poussant des caddies de supermarché dans une prescience étonnante de la question du genre qui nourrit le débat aujourd’hui. Ou encore cet exposé foudroyant de l’immobilité, quand les danseuses et danseurs enchainés s’arrêtent net et composent alors un tableau vivant. Ou encore cet étrange détournement du jeu des quatre coins où les artistes se précipitent à un train d’enfer sur trois chaises, alternant les combinaisons et les mouvements. Le Ballet Preljocaj Junior rivalise d’excellence à la hauteur de la virtuosité de la chorégraphie.

 

Paysage après la bataille d’Angelin Preljocaj – Ballet Preljocaj Junior

 

C’est ainsi que, l’air de rien, Angelin Preljocaj pose la question de la place du répertoire. Cette dialectique qu’il initiait en 1997 entre Marcel Duchamp et Joseph Conrad est toujours aussi signifiante et la pièce qu’il a fait naître de ce dialogue virtuel demeure absolument moderne et essentielle.

 

 

Paysage après la bataille d’Angelin Preljocaj par le Ballet Preljocaj Junior. Avec Teresa Abreu, Angie Armand, Nanami Auwerkerken, Audalys Charpentier, Jules Fournier, Sofia Gaspare Morticelli, Afonso Gouveia, Ayla Pidoux, Tiago Reis, Jack Rexhausen, Francesco Simeone et Owen Steutelings. Samedi 16 mars 2024 au Pavillon Noir d’Aix- en-Provence.

 

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