La Belle et la Bête de Julien Guérin – Ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz
Après La Princesse de Clèves en 2022, Julien Guérin a de nouveau créé en mars 2024 pour le Ballet de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz. Sa version de La Belle et la Bête s’appuie sur le conte originel de Gabrielle de Villeneuve repris par la suite par différents écrivains. Guidé par la formule de la romancière du XVIIIe siècle, « Aime qui t’aime, ne te laisse point surprendre aux apparences », ce ballet en deux actes est une production ambitieuse pour laquelle le chorégraphe s’est entouré d’une équipe d’envergure avec Anthony Rouchier pour la création musicale d’après Mendelssohn et Schubert et Agnès Letestu pour les costumes. Un ravissement élégant qui recèle quelques surprises et comble notre appétit de ballets narratifs.
Il faut sans doute aborder ce ballet en gardant à la fois les images que nous avons de La Belle et la Bête issues des différents films (les plus connus restant celui de Cocteau en 1946 et celui des studio Disney en 1991), mais en s’ouvrant à d’autres découvertes. En effet, Julien Guérin a choisi de revenir à la première version du texte écrit par Madame de Villeneuve en 1740, non sans négliger celui de Madame de Beaumont qui suivra. L’idée d’adapter ce conte, qui a déjà inspiré par le passé Kader Belarbi, Thierry Malandain et avant eux, Maurice Béjart, a été suggérée par Paul-Émile Fourny, directeur général de l’Opéra-Théâtre de Metz et Laurence May-Bolsigner, cheffe du ballet. Voilà l’histoire d’un marchant ruiné qui quitte ses enfants pour tenter de faire affaire, leur promettant de leur rapporter un cadeau de son voyage. Ayant dérobé une rose demandée par sa cadette dans un château où vit une Bête, il est forcé de lui céder une de ses filles en compensation de son vol. Belle se sacrifie pour sauver son père. Apprenant à vivre avec la Bête, la jeune fille parvient à découvrir ce qui se cache derrière cet aspect repoussant et délivre un jeune prince du sortilège qui l’emprisonnait.
La difficulté pour Julien Guérin est de relever le défi avec « seulement » 14 danseurs et danseuses, certes de grande qualité (pas chose aisée quand on veut multiplier les personnages), les dimensions de la scène, les possibilités techniques qui n’ont rien à voir avec celles du cinéma. Mais il a plus d’atouts dans sa manche. Sa danse narrative accessible rend lisible l’histoire et ne nous perd jamais. Il évite les mouvements d’ensemble pour resserrer l’intrigue sur de petits groupes ou des individus. Toute l’équipe artistique autour de lui contribue également à la réussite. Le compositeur Anthony Rouchier qui signe là sa 50e création, a imaginé une partition musicale réunissant des symphonies de Mendelssohn et de Schubert et ses propres compositions électro-acoustiques. On navigue ainsi entre deux mondes musicaux, ce qui rajoute au charme de cette production. Décors et lumières plongent aux-aussi dans un univers onirique qui sied au conte.
Dans la construction, la surprise réside dans ce personnage de la Rose imaginé par le chorégraphe, qui joue le guide, faisant le lien entre les scènes et mettant en relief la narration. C’est par une rose que le malheur arrive et que le destin prend un tour inattendu. Intéressante proposition que de lui donner autant de place dans un rôle remarquablement dansé par Élisa Lons, vénéneuse et fascinante tout à la fois. Autour d’elle gravitent d’autres personnages pleins de mystère. L’écrin de l’Opéra-Théâtre de Metz sied tout à fait bien à la mise en scène centrée sur quelques protagonistes autour du couple principal. Le chandelier, la théière, la tasse sont bien là eux-aussi emprisonnés dans le sortilège. Et quelle formidable scène de bal virevoltante où chacun.e assiste à la naissance de cette idylle contrariée !
Autre trouvaille : choisir de faire interpréter les rôles du Prince et de la Bête par deux danseurs différents. C’est là que le travail sur les costumes réalisé par Agnès Letestu se révèle tout simplement fascinant. Complètement réinventée, la Bête semble plus reptilienne que monstre poilu. Elle m’a fait penser au personnage amphibien du film La forme de l’eau jusqu’à ce que je découvre après coup que ce long-métrage réalisé par Guillermo del Toro était lui-aussi librement inspiré de… La Belle et la Bête. Dans ce rôle, Aurélien Magnan aux lignes épurées laisse éclater son son charisme. Dissimulé sous son costume et son maquillage, il parvient malgré tout à nous laisser percevoir la souffrance qui l’étreint. Même pour les saluts, il ne quitte pas cette seconde peau monstrueusement magnifique. Une grande leçon d’humilité. Son partenariat avec Johanne Sauzade, à laquelle Julien Guérin avait précédemment confié le rôle de La Princesse de Clèves fonctionne à merveille. La danseuse se métamorphose au fil du ballet, en héroïne courageuse, sûre d’elle et de ses sentiments. Elle permet à la Bête d’accéder à cette part d’humanité qui lui est refusée.
Les tableaux s’enchaînent comme dans un film. Parmi les passages les plus réussis, ceux entre la Belle et la Bête et ce mystérieux bel inconnu qui s’immisce entre les deux. Entre rêve et réalité, songe et fantasme, un sentiment amoureux naît et grandit. La danse se met à son service avec beaucoup d’émotions. Dans les pas de deux d’un lyrisme touchant, les portés audacieux sont très travaillés. C’est un ballet sur l’amour et son pouvoir de reconstruction. « Aimer c’est exercer sa pleine humanité, son élan capacitaire à réaliser son potentiel affectif dans le don comme dans l’acceptation », note le chorégraphe dans sa note d’intention finement rédigée.
On se plait à rêver que La Belle et la Bête de Julien Guérin puisse être donnée ailleurs qu’en son fief de création. Les propositions de ballets narratifs étant si peu nombreuses en France, et le public plutôt en attente, une reprise serait une bonne nouvelle. L’Opéra-Théâtre de Metz, plus vieil opéra de France encore en activité, va fermer pendant deux ans à compter de l’été 2025 dans le but de travaux censés lui « redonner son lustre d’antan ». Pourquoi pas quelques représentations hors les murs et hors Metz ?
La Belle et la Bête de Julien Guérin par le Ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz. Avec Johanne Sauzade (La Belle), Aurélien Magnan (La Bête), Élisa Lons (la Rose), Clément Malczuck (Le père de la Belle / Le militaire), Graham Erhardt-Kotowich (Le prince), Lore Jehin (Gabrielle, sœur de la Belle/Une invitée), Victoria Pesce (Suzanne, sœur de la Belle/Une invitée), Lucas Schneider (Jean, frère de la Belle/Le laquais), Gabriel Hadi (Avenant, le prétendant/Le chandelier), Lorena Haiyu Rodriguez Fernandez (La Libellule), Anik Román de Miguel (L’elfe), Timothée Bouloy (La théière), Valérian Antoine (Le papillon), Charlotte Cox (La tasse). Vendredi 15 mars 2024 à l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz.
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