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[Photos] Giselle de Patrice Bart d’après Jean Coralli et Jules Perrot par le Ballet de l’Opéra de Paris – Printemps 2024

Giselle de Jean Coralli et Jules Perrot adaptée par Patrice Bart fit des merveilles au Ballet de l’Opéra de Paris en ce printemps ! Une série marquée par des adieux, une invitation de luxe, mais aussi plusieurs prises de rôles et des artistes prenant de plus en plus leur place dans ces rôles emblématiques. Retour en images sur les différentes distributions de cette série, et par écrit sur trois d’entre elles : Sae Eun Park et Germain Louvet, Myriam LOuld-Braham et Paul Marque, Marianela Núñez et Hugo Marchand. 

 

Voir les photos des différentes distributions de Giselle par le Ballet de l’Opéra de Paris : 

 

Quelle série de Giselle à l’Opéra de Paris en ce printemps 2024 ! J’ai pu en voir distributions, portées par Sae Eun Park, Myriam Ould-Braham et Marianela Núñez. Elles furent trois Giselle exceptionnelles – et je serai bien incapable de dire laquelle m’a le plus touchée – chacune à leur manière, chacune dans leur interprétation artistique et montrant à chaque fois une facette différente du personnage et du ballet.

Sae Eun Park tout d’abord, vue en début de série. Je suis de plus en plus admirative de cette ballerine, qui prend ballet après ballet une dimension artistique puissante, portée par une brillantissime technique – incontestablement la plus aboutie de la compagnie aujourd’hui. Son premier acte est celui que l’on peut attendre d’une grande ballerine classique : de l’engagement, une technique fine et sûre. Elle est là où on l’attend, dans l’image d’une jeune fille innocente et pure, sans toutefois que l’on soit vraiment surpris ou dans quelque chose de très personnel. Son deuxième acte est tout autre. À vrai dire, il est l’un des plus beaux que j’ai pu voir, avec celui de Natalia Ossipova dans un tout autre genre. Sae Eun Park met toute son immense technique au service d’une chose : se transformer en un fantôme. Dès ses tours attitudes sortis d’un monde irréel, d’une vitesse que l’on ne pensait pas pouvoir être possible, elle devient l’incarnation de l’immatérialité. Elle n’est plus humaine, elle ne porte donc plus en elle des sentiments humains comme la vengeance ou le pardon. Sa Giselle est ainsi dans une dimension plus spirituelle, portant en elle quelque chose de profondément sacré – peut-être ce qui rattache ce ballet à ce qu’il a de chrétien. Si son personnage prend ainsi la défense d’Albrecht, tient tête à Myrtha, c’est avant tout parce qu’elle ne veut pas que de vils sentiments humains – la vengeance, la lâcheté – viennent abîmer tout ce qu’elle porte de sacré en elle.
Ce deuxième acte de Sae Eun Park fut pour moi véritablement une révélation. Que les compagnies du monde entier l’invitent à danser ce ballet ! Elle est l’une des grandes Giselle de sa génération.

Myriam Ould-Braham fut telle qu’on l’a connue et aimée. Il y avait chez elle une sincérité désarmante, un charme fou jamais recherché, une honnêteté qui prenait corps dans chacun de ses gestes. Lors de son deuxième acte, sa Giselle est entre deux mondes : ni tout à fait humaine, ni vraiment fantôme. Son humanité nous va droit au cœur, porté par ce sentiment puissant qu’elle n’est plus tout à fait de notre monde. Elle porte aussi en elle une certaine incarnation de la danseuse française, avec un travail des mains, des bras, de l’inclinaison du buste, de port de tête, véritable chef-d’oeuvre qu’elle a construit tout au long de sa carrière et qu’elle a porté au firmament pour sa dernière. Marianela Núñez fut encore autre chose. Elle porte en elle le Royal Ballet et son sens aigu du théâtre, et toute son interprétation est portée par ce sentiment. Sans cesse, elle interagit avec les autres, lance un regard à l’une ou l’autre du corps de ballet, place son personnage dans une action et non pas dans une certaine recherche stylistique qui parfois peut prendre le dessus dans Giselle. Au premier acte, l’on redécouvre ainsi mille et un détails de la pantomime et du jeu, de toutes ces petites interactions qui font le sel de l’action et en donnent toute la profondeur. Quant à son deuxième acte, Marianela Núñez ne cherche pas l’immatérialité dans sa danse. Elle est avant tout une tragédienne, et chacun de ses gestes est là pour raconter une histoire. La folie encore – son entrée épris de désespoir semble être comme la suite logique de la fin du premier acte – l’amour inconditionnel, le pardon, la rébellion face à Myrtha. Là encore, sa danse est d’une infinie richesse, portée par tous ces détails qui rendent une interprétation plus prégnante. Jusqu’à son dernier geste : ses deux mains s’accrochant une dernière fois à Albrecht, comme si elle ne voulait pas mourir, avant d’être engloutie dans la tombe.

 

Giselle de Jean Coralli et Jules Perrot – Ballet de l’Opéra de Paris – Marianela Núñez

 

Et ces messieurs alors ? Germain Louvet, Hugo Marchand et Paul Marque livrèrent eux aussi des interprétations bien différentes. Personnellement, celle de Paul Marque me toucha infiniment. En scène, son Albrecht et la Giselle de Myriam Ould-Braham sont follement amoureux. Quand ils entrent en scène, ils se connaissent déjà, se sont fixé un rendez-vous et nous délivrent une scène de flirt d’un charme désarmant. L’arrivée de la chasse montre Albrecht face à son inconscience du poids des classes sociales. Même s’il est d’une infinie lâcheté, l’amour envers Giselle ne cesse de l’habiter. Et porte tout le second acte, de son entrée drapé dans son désespoir à ses ultimes entrechats l’âme en miettes. Pragmatiquement, ce n’est pas le choix que je préfère : comment Giselle peut-elle encore aimer et pardonner après autant de trahison ? Mais leur amour fut tellement pur et sincère qu’il m’alla droit au cœur. C’est aussi la version d’Albrecht la plus romantique : il devra toute sa vie vivre avec l’infini regret d’avoir tué le seul véritable amour de sa vie. Mathieu Ganio peut partir tranquille : il a trouvé en Paul Marque un digne successeur du grand danseur français romantique. 

Germain Louvet prit un parti tout autre : celui du jeune homme volage voulant s’amuser avec une petite paysanne. C’est personnellement le parti-pris que je trouve le plus actuel. Et le premier acte a très bien fonctionné. Son Albrecht est insistant, presque agressif, face à la jeune fille pure et innocente qu’interprète Sae Eun Park. Cyril Mitilian en Hilarion est dans la même veine, ce qui ne rend que plus contemporain ce premier acte : Giselle n’est qu’un trophée que se disputent deux hommes, se retrouvant dans leur attitude de mâle alpha malgré leur différence sociale. Mais lorsque l’on prend ce choix d’interprétation, le deuxième acte est plus difficile à négocier. Qu’est-ce qui porte Albrecht s’il n’a pas aimé ? Les remords ne sont pas évidents à négocier au fil du premier acte. Et j’ai personnellement peu compris ce que Germain Louvet racontait. Autant l’on sentait la peur face aux Willis, autant son entrée et la grande coda me parurent désincarnées. Le deuxième acte de cette représentation manqua d’ailleurs de répondant. Contrairement au premier acte, Cyril Mitilian parut un peu en retrait. Tout comme la Myrtha du jour, Silvia Saint-Martin. Si la danseuse peut paraître renfermée sur scène, elle distille toujours une danse magnifique au travail ciselé. Ce ne fut pas le cas ce soir (blessure ?) et ne lui permit pas de vraiment prendre l’autorité en scène. Ce deuxième acte fut en fait celui de Sae Eun Park, dont on ne pouvait détacher les yeux.

Hugo Marchand, enfin, fut un peu entre les deux : jeune homme volage au début puis tombant amoureux petit à petit de sa Giselle. Néanmoins, j’eus parfois un peu de mal à comprendre ce qu’il me racontait au premier acte, à voir dans quelle direction il allait. Peut-être que je n’avais d’yeux que pour Marianela Núñez. Peut-être aussi que je n’arrivais pas à faire abstraction de Paul Marque qui m’a tellement ému quelques jours plus tôt. Le danseur prit toutefois une autre ampleur tout au long du deuxième acte. Porté par les remords absolus, il semblait comme accepter la sentence de la mort, comme unique solution à sa repentance. Ses entrechats n’en prirent qu’une dimension plus poignante. Le danseur se montra aussi au service de la ballerine durant tout le ballet, teintant sa danse d’une humilité rendant son personnage très incarné au deuxième acte. En peu de temps finalement, ces deux artistes ont réussi à créer une véritable complicité en scène, digne des grands.

En Myrtha, Valentine Colasante s’imposa dans deux représentations. Cette danseuse est profondément terrienne, ce qui n’a rien de péjoratif pour moi, mais explique peut-être pourquoi le rôle de Giselle lui échappe. Elle construit en tout cas son personnage de Myrtha avec beaucoup d’autorité et de sens du détail dans sa danse. Sa confrontation avec Marianela Núñez, un peu comme elle, plus dans le jeu que dans l’immatérialité, fonctionna particulièrement bien. Du côté des Hilarion non encore cités, Arthus Raveau et Jérémy-Loup Quer avaient peut-être quelque chose d’un peu trop noble en eux. Mais leur deuxième acte fut toujours dansé avec beaucoup d’engagement. Arthus Raveau, notamment, a toujours en lui quelque chose de profondément romantique qui en fait un interprète à part.

 

Giselle de Jean Coralli et Jules Perrot – Ballet de l’Opéra de Paris – Paul Marque et Myriam Ould-Braham

 

Terminons par le pas de deux des Vendangeurs, où beaucoup de jeunes talents y ont fait leurs armes pour cette série. Aurélien Gay, s’il a des tours en l’air impeccables comme ses réceptions, s’empêtre un peu plus dans le travail de petite batterie. Mais sa générosité en scène et sa façon de danser chacun des rôles comme si c’était le plus important de sa carrière font le reste. Sa partenaire Luna Peigné montra un très joli travail, avec un souci du style évident et une assurance qui donne envie de la suivre dans de plus amples rôles. En fin de série, Nine Seropian et Andrea Sarri accusaient un peu plus la fatigue. Lui notamment n’eut rien à se reprocher mais l’on sentait que danser Albrecht quelques jours plus tôt l’avait un peu émoussé, ce qui est bien normal. Pas de raté non plus pour elle, mais peut-être encore un peu trop de retenue pour être pleinement sous le charme. Marine Ganio et Jack Gasztowtt n’étaient pas contre pas des débutants dans ce pas de deux. Mais lui est toujours en souffrance dans cette variation, montrant un stress bien trop visible. Ce n’est pas forcément pour lui et passons à autre chose. Elle, par contre, montra une danse pleine de charme et de précision digne d’une soliste aguerrie. Hasard des distributions, Marine Ganio fut le même soir l’une des deux Willis au deuxième acte, pleine de douleur, comme si elle aussi avait souffert d’un amant trompeur. Et apparut ainsi, tout au long d’un ballet, comme une sorte de double de Giselle, incarnant l’universalité du propos. Cela n’arrive pas qu’à Giselle. Cela nous arrive à toutes.

Représentations du 17, 18 et 27 mai 2024 au Palais Garnier.

 

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Commentaires (1)

  • Isabelle Gomez Echeverri

    Bonjour
    Pourquoi donnez-moi vous votre avis sur les différents Albrecht (spectacles de Giselle 2024) sauf l’interprétation de Marc Moreau ?
    Il a déjà été déprogrammé de tous les spectacles de Don Quichotte… bizarre non ?
    Merci.
    Merci

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