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Theatre of Dreams de Hofesh Shechter – Hofesh Shechter Company

Commande du Théâtre de la Ville de Paris, la dernière création d’Hofesh Shechter Theatre of Dreams a été présentée en première mondiale dans la grande salle archi-comble Sarah Bernhardt. Star mondiale de la chorégraphie contemporaine, Hofesh Shechter est en effet aujourd’hui l’un des artistes les plus bankables dans un panorama apathique. Le chorégraphe israélo-britannique suscite un enthousiasme d’un public de fidèles de plus en plus nombreux. Cette nouvelle pièce Theatre of Dreams se propose d’explorer nos “imaginaires” collectifs. Malgré des séquences superbes et très réussies portées par les treize interprètes de la compagnie, le spectacle rate toutefois son objectif et manque cruellement d’épine dorsale.

 

Theatre of Dreams de Hofesh Shechter – Hofesh Shechter Company

 

Hofesh Shechter fait partie de ce club très étroit des chorégraphes capables de remplir les salles partout dans le monde. Sa danse sur-vitaminée, gavée d’énergie et fondée sur le sens du collectif est faite pour réjouir. Force est de reconnaître qu’elle atteint le plus souvent son but. Mais au fil des spectacles, on devient plus exigeant sur l’évolution de son esthétique. Theatre of Dreams, sa toute nouvelle création montrée en première mondiale au Théâtre de la Ville de Paris, semblait commencer sous les meilleurs auspices. C’est ainsi une scène d’ouverture troublante, où un danseur, seul à l’avant-scène comme perdu, regarde le rideau avant de s’y engouffrer. Hofesh Shechter nous emmènerait-il vers des territoires inconnus en quittant sa zone de confort ? Las ! Ce n’est en fait que le début d’un jeu permanent et vain avec les rideaux de scène. On perçoit subrepticement une volonté du chorégraphe d’explorer nos imaginaires en présentant un théâtre du monde caché derrière ces rideaux qui s’alignent et mettent en abyme celles et ceux qui y plongent. Mais très vite, trop vite, ce qui semblait une idée intéressante et intrigante se révèle un truc ou un tic scénographique vide de sens. Les rideaux s’ouvrent, se ferment incessamment, créent des fondus au noir qui permettent d’ouvrir sur une autre configuration des danseuses et des danseurs, par groupe le plus souvent.

Le récit nous échappe. On se perd dans ces méandres où les séquences trop brèves insufflent une fausse énergie. Cette première partie du spectacle s’étire sans jamais parvenir à nous séduire. Puis viennent trois musiciens sur scène qui cassent la routine et offrent une respiration bienvenue. Hélas ! Hofesh Shechter brise à nouveau la dynamique déjà fragile en introduisant une longue pause participative où les treize danseuses et danseurs de la compagnie invitent et vont chercher dans la salle le public pour un happening dansé partagé sur scène et dans la salle. Moment fatal où une partie du public se croit autorisé à dégainer le portable pour immortaliser numériquement ce moment d’une pauvreté artistique qui frise la vulgarité. Quoi de plus facile que ces moments imposés de communion avec le public pour s’assurer de se le mettre dans la poche ?

 

Theatre of Dreams de Hofesh Shechter – Hofesh Shechter Company

 

Hofesh Shechter semble nous avoir définitivement perdus. Mais avec sagesse, il revient à ce qu’il fait de mieux : mettre sur scène des ensembles qui bougent à l’unisson de manière charnelle et irrésistible. Et ses interprètes sont, comme d’habitude avec ce chorégraphe, exceptionnels. On retrouve alors le vocabulaire qui lui est propre. Dans une forme de transe ininterrompue, les corps bougent tels des vagues, tremblent, chaloupent. Peu de chorégraphes ont un tel savoir-faire quand il s’agit d’imaginer des danses de groupes. Les ensembles construits par Hofesh Shechter sont nourris de son art revisité du clubbing et du fameux lâcher-prise du style Gaga, appris lors de ses années à la Batsheva auprès d’Ohad Naharin.

Cette seconde partie réveille un spectacle qui s’essoufflait et lui redonne une direction. Certes, elle n’est pas nouvelle et on y repère des figures déjà vues dans les spectacles précédents. Mais le talent formidable de la compagnie nous emporte. Les treize interprètes sont capables de se fondre dans ce mélange de styles et de se vivre comme un groupe organique qui hypnotise. Cela ne suffit cependant pas à cacher la faiblesse de Theatre of Dreams.

 

Theatre of Dreams de Hofesh Shechter – Hofesh Shechter Company

 

Theatre of Dreams d’Hofesh Shechter par la Hofesh Shechter Company, avec Tristan Carter, Robinson Cassarino, Frédéric Despierre, Rachel Fallon, Cristel de Frankrijker, Mickaël Frappat, Natalia Gabrielczyk, Zakarius Harry, Alex Haskins, Yeji Kim, Keanah FaithSimin, Juliette Valerio et Chanel Vyent, Yaron Engler, Sablo Janiak et Alex Paton (musicien). Jeudi 27 juin 2024 au Théâtre de la Ville Sarah Bernardt. À voir jusqu’au 17 juillet, en tournée la saison prochaine

From England with Love de Hofesh Shechter par le Shechter II est au Théâtre des Abbesses du 4 au 13 juillet 2024.

 

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Commentaires (4)

  • MIEGEVILLE

    J’ai vu le spectacle il y a 3 jours et au milieu d’une.salle remplie de “bobo” parisiens je me.sentais la seule avec mon amie a ressentit ce que vous avez parfaitement retranscrit

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  • Martin

    Une création (mondiale) attendue qui s’installe en clôture d’une année de réouverture du théâtre de la ville, elle-même très attendue, et fait du hasard, explose dans une période d’incertitude politique inédite. Des tensions diverses assombrissent les espaces de création, incertitudes de l’avenir….”Théâtre of Dreams” devient alors le réceptacle de cet ensemble d’impressions qui planent dans les esprits sans pouvoir l’exprimer comme tel. Les 13 danseurs et les 3 musiciens cristallisent ainsi par leur énergie, leur excellence, les ruptures séquencées du geste, de l’espace, de la musique, la construction du lien entre les artistes et les spectateurs jusqu’à s’unir un instant comme témoignage de ce qu’est le théâtre, une rencontre. Jamais, Hofesh Shechter, pourtant résolument habitué à ces on/off n’aura autant utilisé les rideaux, quasi personnage à eux seuls comme peut l’être un si bel hommage au Théâtre, Jamais le recours aux fractionnements du collectif n’aura été si belle métaphore de la mémoire des rêves, mémoire partielle toujours, fugace et fulgurante, lumineuse et sombre, aux signifiants tant hermétiques qu’évidents…
    Les spectateurs avaient besoin de faire, de dire, d’exprimer leurs espoirs, leurs rêves, de raviver les énergies enfouies, les danseurs avaient besoin de partager cela. Ce spectacle fût une magnifique illustration du sens de la rencontre entre les êtres humains amenés à partager le même destin. Il y a chez cet immense chorégraphe et musicien une magie qui fonctionne et nous sommes belle et bien passés du réel au rêve et inversement en sublimant ensemble la représentation.

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  • Cha

    J’ai beaucoup aimé ce spectacle qui n’égale pas la puissance de Clown, The art (…) back ou Political Mother. Mais peut-être faut-il admettre que Hofesh Shechter vieillit, s’assagie et s’éloigne de son côté punk et coup de poing. Ça fait 3 spectacles plus doux, moins violents (celui après le COVID, Contemporary Dance et celui ci) en attendant de voir From England with Love.
    Les trois musiciens sont assez incroyables. Concernant le moment Happening, je ne l’ai pas trouvé faciles comme j’avais pas aimé celui de Naharin en toute fin de spectacle ou les Free Hugs qu’il avait proposé (même si je les comprend mieux avec du recul et en repensant à ce qu’on a subit pendant le premier confinement), car ça n’était pas confortable, le maître de la danse nous a imposé un truc et au moment où l’on pensait pouvoir se détendre, se lâcher tout s’arrête brutalement et j ‘ai eu l’impression de m’être fait avoir!

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    • Amélie Bertrand

      @ Miegeville, Martin et Cha : merci pour vos avis détaillés et si divers ! Hofesh Shechter ne laisse pas en tout cas indifférent.

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