Notre-Dame de Paris de Roland Petit – Ballet de l’Opéra de Bordeaux – Mathilde Froustey, Riku Ota, Oleg Rogachev et Tangui Trévinal
Cinq ans après son entrée au répertoire, le Ballet de l’Opéra de Bordeaux remet à l’affiche le chef-d’œuvre de Roland Petit, Notre-Dame de Paris. Le Directeur de la danse Éric Quilleré donne ainsi l’opportunité de découvrir de nouvelles distributions, avec deux prises de rôle par les deux Étoiles de la compagnie : Mathilde Froustey (Esméralda) et Riku Ota (Frollo). Oleg Rogachev reprend pour sa part avec brio le rôle de Quasimodo. Un trio enthousiasmant, aussi bien pour ses qualités techniques que pour les nuances de leur interprétation. Venu du Corps de Ballet, Tangui Trévinal s’est fondu admirablement dans le personnage de Phoebus et complète une distribution irréprochable, soutenue par une compagnie très à l’aise dans l’univers stylistique de Roland Petit. Soirée haut de gamme dans le sublime Grand-Théâtre de Bordeaux.
Contrairement à Maurice Béjart, l’autre grand chorégraphe de la seconde moitié du XXe siècle, Roland Petit ne dispose pas d’une compagnie susceptible de défendre son riche répertoire. Le centenaire de sa naissance en 2024 n’a donné lieu à aucune célébration particulière. L’Opéra de Paris a souverainement ignoré cet anniversaire. Notre-Dame de Paris n’y a pas été représentée depuis les adieux de Nicolas Le Riche en 2014, la reprise annoncée il y a quatre ans est passée par pertes et profits en raison du Covid. On sait donc gré à Éric Quilleré, directeur du Ballet de l’Opéra de Bordeaux, d’être le gardien de cet héritage essentiel de l’histoire de la danse et d’avoir remis sur scène un ballet majeur. Tout aussi stimulant sont les prises de rôle en cascade à la faveur de cette reprise.
On guettait évidemment plus que tout autre Mathilde Froustey. Empêchée par une vilaine blessure, l’Étoile de l’Opéra de Bordeaux a dû se plier à une très longue rééducation avant de pouvoir fouler la scène du Grand-Théâtre. Elle était apparue pour un bref pas de deux de Hans van Manen au printemps dernier, mais interpréter un long ballet narratif sur pointes est un challenge d’un autre ordre. Foin du suspense : Mathilde Froustey s’est révélée en pleine possession de ses moyens dans le rôle d’Esmeralda. Lignes splendides lors de sa première apparition où l’on discerne comme un regard de défi, prête à se lancer dans ce rôle et à déjouer ses difficultés. Certes, il n’y a pas de grandes prouesses techniques dans Notre-Dame de Paris mais c’est un ballet très physique, avec de nombreux portés et qui requiert de grandes qualités d’interprétation. Mathilde Froustey est peut-être plus Carmen qu’Esméralda quand elle entre en scène, mais c’est aussi la vision de Roland Petit dont les intentions ont été supervisées par son assistant, Luigi Bonino, venu remonter le ballet. Mathilde Froustey projette une beauté éclatante et sa danse est à son image, à la fois forte et délicate.
Elle est soutenue dans cette entreprise par des partenaires exemplaires. On manquerait de superlatifs pour parler de Riku Ota qui interprétait pour la première fois un ballet de Roland Petit. Bien que cette galaxie littéraire et stylistique soit très éloignée de son univers, il est un Frollo stratosphérique. Il y a évidemment l’ampleur des sauts, l’excellence des tours en l’air, les réceptions impeccables. Mais au-delà de sa virtuosité, il offre une palette très nuancée dans l’incarnation du rôle. Frollo est un personnage trouble, noir à l’image de son costume, mais qui consume dans le crime et la trahison son amour pour Esmeralda. Il y a tout cela dans le jeu de Riku Ota.
Oleg Rogachev est le vétéran de cette distribution. Blessé dès le début de la grande tournée en Chine, le Premier danseur s’est parfaitement rétabli de sa blessure et livre un Quasimodo éblouissant. Pas besoin de bosse comme dans certaines productions pour incarner cet homme contrefait. Parfaitement grimé, on reconnaît à peine les traits de ce superbe danseur, formé à l’Académie du Bolchoï et qui est un pilier de la compagnie bordelaise depuis plus de dix ans. Oleg Rogachev est déchirant dans ce rôle de Quasimodo. Et quel partenaire exceptionnel pour Mathilde Froustey. Le pas de deux du début du deuxième acte émeut aux larmes. Les deux interprètes sont en osmose totale dans ce moment qui est un sommet du ballet. Enfin Tangui Piquenal n’a pas tremblé dans le rôle du capitaine Phoebus et c’est un danseur qu’il faudra suivre les saisons prochaines.
Notre-Dame de Paris n’est pas la pièce la plus gratifiante pour le corps de Ballet. Les ensembles mécaniques et gymniques imaginés par Roland Petit sont superbes et la compagnie bordelaise y est irréprochable mais c’est davantage une performance physique qui laisse peu de place aux qualités dramatiques. Il faut imaginer que ce ballet, créé il y a bientôt 60 ans, est désormais un classique. C’était une époque où il était encore possible de convoquer une multitude de grands talents pour réaliser une longue pièce narrative. Notre-Dame de Paris de Roland Petit est daté, mais dans le meilleur sens du terme. Le décor stylisé de René Allio tourne le dos au réalisme et demeure un modèle du genre. Yves Saint Laurent qui signa les costumes n’avait pas en tête de représenter l’époque de Notre-Dame, mais la sienne, avec des costumes qui donnent à voir un camaïeu des couleurs inspirées des vitraux de la cathédrale parisienne ou évoquent les formes géométriques de Mondrian. La partition expressionniste de Maurice Jarre est idéalement construite pour suivre la narration et c’est un plaisir de la réentendre sous la baguette de David Garforth à la tête de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine et du Chœur de l’Opéra.Dans cette période trouble, on quitte le Grand théâtre de Bordeaux revigoré par cette représentation de Notre-Dame de Paris, la puissance du spectacle vivant, de la création et du répertoire que rien ni personne ne saurait éradiquer.
Notre-Dame de Paris de Roland Petit par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Avec Mathilde Froustey (Esméralda), Riku Ota (Frollo), Oleg Rogachev (Quasimodo) et Tangui Trévinal (Phoebus ). Lundi 1er juillet 2024 au Grand Théâtre de Bordeaux. À voir jusqu’au 12 juillet.
Ines jolivet
Un merveilleux ballet que j’ai souvent vu à l’opera »autrefois ». Avec Jean Guizerix, Mickael Denard….j’aime BEAUCOUP