[Paris l’été 2024] R.OSA de Silvia Gribaudi / The House of Trouble de Patricia Apergi
Paris l’été a repris ses quartiers au Lycée Jacques Decour pour une édition plus courte et anticipée lors de la première quinzaine de juillet, Jeux Olympiques obligent. Mais Stéphane Ricordel et Laurence de Magalhaes, qui signent leur dernière édition, ont comme à l’accoutumée concocté un programme alléchant, fait de reprises incontournables et de découvertes où le mouvement est roi. Parmi la multitude de propositions, R.OSA imaginé par Silvia Gribaudi et interprété par Claudia Marsicano a une nouvelle fois triomphé, tant cette performance explose tous les codes avec humour. Et sur la grande scène, la chorégraphe grecque Patricia Apergi nous a conduits dans saHouse of Trouble, faisant résonner le cœur anarchiste d’Athènes. Le tout sous une lune géante imaginée par Luke Jerram en suspension cosmique dans la superbe cour arborée du Lycée Jacques Decour.
Comment ne pas avoir un petit pincement au cœur ? Le Lycée Jacques Decour est déjà recouvert de filets sur l’avenue Trudaine et ce bâtiment construit en 1876 a de nouveau besoin d’être restauré. Plus question donc d’accueillir Paris l’été, qui devra trouver un autre lieu. C’est pourtant l’épine dorsale, le cœur battant de ce festival. « Lorsque nous avons été candidats pour reprendre la direction, nous voulions trouver un lieu », rappellent Stéphane Ricordel et Laurence de Magalhaes, le duo à la tête de Paris l’été depuis 2017. Ils avaient visité le Lycée Jacques Decour à la faveur d’une Nuit blanche et c’est ainsi qu’ils ont déniché ce trésor : un bâtiment aux sept cours avec un théâtre et même une chapelle ! « Le Proviseur fut tout de suite partant et ce fut une aide précieuse. Jusque-là, le festival qui s’appelait Paris Quartier d’été avait du mal à trouver son public faute de lieu fixe ». Instantanément, le bouche à oreille a fonctionné: il se passait quelque chose au Lycée Jacques Decour.
Populaire, exigeant, transdisciplinaire, international ? Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel adhèrent à cette définition. Il faut ajouter évidemment gratuité car le programme de Paris l’été contient de nombreux événements où il suffit de s’inscrire pour y participer. Et les prix des billets sont parmi les plus bas de l’offre culturelle parisienne. Ainsi le public s’est constitué très vite, fidèle année après année, avec aussi un renouvellement constant : « Nous voulions qu’il y ait beaucoup de spectacles où ça ne parlait pas pour que les touristes puissent venir. Mais on touche aussi un public qui ne vient pas au spectacle durant l’année parce qu’il n’a pas le temps. Là, ils sont plus libres et viennent découvrir. Ce ne sont pas forcément des connaisseurs mais ils sont curieux« , explique Laurence de Magalhaes.
Ce public-là, on le retrouve dans le charmant théâtre du Lycée pour R.OSA de Silvia Gribaudi. Le spectacle est déjà passé par le Théâtre des Abbesses l’hiver dernier pour une poignée de représentations. Et comme à chaque étape de son périple, Claudia Marsicano casse la baraque. Elle n’est pas danseuse mais comédienne. Silvia Gribaudi l’a convaincue de se lancer dans cette aventure singulière, un one woman show dans lequel elle s’expose, sinon à nu, du moins en maillot de bain turquoise laissant voir une obésité assumée. Elle entame de profil en chantant fort bien le tube de Dolly Parton Jolene. Puis elle se jette littéralement une heure durant dans un monologue désopilant, faisant participer la salle avec doigté, drôlerie et dérision. En anglais, en italien et en français, elle donne des consignes très simples pour bouger les bras, puis d’une jambe sur l’autre créant ainsi une vague qui fait onduler le théâtre ! Ces dix exercices exsudent une liberté absolue, une explosion des codes. Nul besoin d’un corps formaté pour danser. La virtuosité peut se décliner de différentes manières et Claudia Marsicano n’en manque pas. Il faut la voir au sol telle une odalisque joliment échouée, glissant allongée sur le plateau pour traverser la scène. C’est irrésistible et c’est aussi un pied de nez magnifique à la tyrannie du corps.
Patricia Apergi a de son côté pris possession de la Grande scène pour présenter sa dernière créationThe House of Trouble. La chorégraphe grecque fut artiste associée à la Maison de la Danse de Lyon et elle revient cette fois avec un spectacle qui s’inspire des danses de rue qu’elle est allée observer à Paris, New-York et Athènes. Les sept interprètes de l’Aerites Dance Company, habillés de tenues grungissimes, entament une marche en solo dans un mouvement robotique qui va s’accélérer. Cette première séquence est fort prometteuse, mais trop vite la chorégraphe se perd et ne parvient pas vraiment à construire ses intentions dans un récit structuré et signifiant. Un trop long défilé de costumes délirants fait sourire sans convaincre. D’autres moments sont plus réussis, comme ce numéro de contorsionniste bien mené. Et malgré ses faiblesses,The House of Troubles séduit par ses interprètes qui évoquent l’esprit rebelle d’Athènes.
On ressort à la nuit tombée et on passe inévitablement par la première cour du Lycée où Luke Jerram a installé Museum of the Moon, une lune géante de sept mètres de diamètre, gonflée d’air et éclairée de l’intérieur. On peut ainsi déambuler le long des coursives pour l’admirer sous plusieurs angles ou la contempler assis dans un transat du jardin. On ressort immanquablement nappé de poésie.
Festival Paris l’été.
R.OSA de Silvia Gribaudi/Zebra, avec Claudia Marsicano. Samedi 6 Juillet 2024 au Théâtre du Lycée Jacques Decour.
The House of Trouble de Patricia Apergi par l’Aerites Dance Company. Samedi 6 Juillet 2024. sur la grande scène du Lycée Jacques Decour.
Paris l’été continue jusqu’au 16 juillet.