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Le Lac des cygnes du Royal Ballet – Mayara Magri et Cesar Corrales

Le Royal Ballet de Londres a proposé au cours de sa saison 2023-2024 une reprise de son très beau Lac des cygnes, monté en 2018. La compagnie anglaise y montre une fois de plus sa certaine suprématie aujourd’hui en Europe, entre une production rutilante, une troupe très investie dans l’action donnant beaucoup de vie à ce ballet, et bien sûr deux Principals à la hauteur de ce ballet emblématique. Mayara Magri et Cesar Corrales étaient les Odette/Odile et Siegfried de ce soir, deux Étoile jeune trentenaire ou pas loin, représentant la brillante relève du Royal Ballet.

 

Le Lac des cygnes de Marius Petipa et Lev Ivanov – Royal Ballet de Londres – Mayara Magri et Cesar Corrales

 

Les soirées au Royal Ballet de Londres ont décidément le goût de l’excellence ! Portée depuis une dizaine d’années par une génération de Principals insolente de talent, mise en place soigneusement par son directeur Kevin O’Hare en poste depuis 12 ans, la compagnie brille, même lors de soirées où tout n’est pas aligné. Prenez ainsi cette soirée de mars. S’il fallait résumer de façon terre à terre, je dirais que nous avions sur scène un Cygne blanc qui se cherchait, un Siegfried prudent car rentrant de blessure et un couple qui n’avait pas grand-chose à se dire. Représentation moyenne ? Absolument pas. Au contraire, la domination technique et musicale des solistes malgré les difficultés, le si haut investissement scénique de chaque artiste en scène, l’immense qualité de la production ont donné une soirée de très haut niveau de danse, empli d’une émotion profonde et soucieuse de porter haut le répertoire académique.

Si l’on parle des Étoiles féminines du Royal Ballet, les noms de Marianela Nuñez ou Natalia Ossipova arrivent spontanément. Mais c’est sans compter une nouvelle génération de danseuses, formées à la Royal Ballet School et arrivées au sommet de la hiérarchie ces cinq dernières années. Mayara Magri en fait partie. Après s’être fait remarquer au Prix de Lausanne en 2011, elle rejoint l’école anglaise, puis la compagnie en 2012. Neuf ans plus tard, en 2021, elle en devient Principal. À 30 ans, elle est aujourd’hui de tous les grands galas internationaux, ce qui fait que l’on connaît déjà son immense virtuosité. Qu’en est-il des rôles un peu plus lyriques ? En Cygne Blanc, au deuxième acte, la danseuse propose un très beau travail de bras et une danse infiniment soignée. Mais son Odette se cherche encore dans ses intentions, dans son rapport à Siegfried. Est-elle amoureuse ? Dans la plainte ? Son personnage manque de contours nets. Son Odile est d’une toute autre ampleur. Peut-être plus dans son terrain de jeu naturel, Mayara Magri met toute son étourdissante technique pour faire vivre ce personnage machiavélique et hypnotique. Chacun de ses fouettés sonne comme un mauvais sort ensorcelant Siegfried (et nous avec !), sa puissance scénique explose pour dessiner une Odile pleinement puissante, comme si c’était d’elle qui avait inventé ce plan diabolique. Prise dans cette lancée, la ballerine livre un tout autre quatrième acte. À l’opposé de la plupart des interprètes de ce double rôle, son Odette ne pardonne pas vraiment à Siegfried, du moins au début. Au contraire, la danseuse marque le reproche, presque la colère, donnant une épaisseur contemporaine à ce rôle qui a traversé le siècle.

 

Le Lac des cygnes de Marius Petipa et Lev Ivanov – Royal Ballet de Londres – Mayara Magri et Cesar Corrales

 

Agé de 27 ans, Principal depuis ses 20 ans, d’abord à l’English National Ballet puis au Royal Ballet depuis 2021, Cesar Corrales représente lui aussi la génération montante du Royal Ballet. Mais ce Lac des cygnes était particulier pour lui, marquant son retour en scène après de longues semaines de blessure. Forcément, Cesar Corrales a pu paraître un peu sur la retenue, surtout connaissant sa danse débordante. Mais la qualité constante du geste, l’investissement permanent du danseur ont fait le reste. Le couple se cherchait un peu au deuxième acte, non pas techniquement (les pas de deux étaient d’une totale fluidité), mais dans l’esprit, même si ce n’est pas la première fois qu’ils dansaient ce ballet ensemble. Peut-être que ce ballet n’est tout simplement pas ce qui convient à ce duo. Lukas B. Brændsrød, formidable Rothbart (un rôle non dansé) a imposé une présence et un jeu scénique d’une grande force, donnant le répondant qu’il fallait et permettant un certain équilibre face à un duo parfois discret. Idem pour le corps de ballet, force vive du deuxième acte. Loin d’être cygnes éthérés, les danseuses renvoient plutôt l’image d’oiseaux prenant leur envol, apeurés ou solidaires, mais dans une dynamique constante. Les tempi, plus respectueux de la partition et plus rapides que ce que l’on a l’habitude d’entendre à Paris, renforcent cet effet de vivacité permanente. Mention spéciale également aux quatre Petits cygnes, d’une précision millimétrique comme j’en ai rarement vue.

Quant à la production en elle-même de ce Lac des cygnes, datant de 2018, je n’ai pas forcément grand-chose à ajouter à mon collègue Jean-Frédéric qui l’a déjà décortiquée, si ce n’est de le rejoindre : voilà l’un des plus beaux Lac des cygnes à voir en ce moment en Europe. Décors, costumes, effet de scène : tout est rutilant et impose son effet (quelle magnifique vision du lac lors du quatrième acte !). Mais bien au-delà d’une pure beauté esthétique, ce Lac des cygnes montre combien il est important pour les compagnies de Ballet de, régulièrement, s’interroger sur ses grands classiques. Cette production ne révolutionne pas l’œuvre, ne donne pas un autre regard (on est même dans une veine traditionnelle assumée), ne nous le fait pas redécouvrir sous un autre angle. Mais elle permet de donner un nouvel élan. Proposer une nouvelle production signifie s’interroger sur tout, sur le sens de tout, de chaque personnage, de ne pas tomber dans la routine des éternelles reprises. C’est ainsi un grand sentiment de vivacité qui étreint durant toute la représentation. Chacun sur scène est conscient de son rôle, de son engagement dramatique. Tout est plus vif, plus clair, plus percutant, comme débarrassé d’un certain nombre de couches d’habitude. Et permet à chaque artiste de briller à sa façon en scène.

 

Le Lac des cygnes de Marius Petipa et Lev Ivanov – Royal Ballet de Londres – Mayara Magri et Cesar Corrales

 

Pour sa fin de saison, le Royal Ballet a annoncé ses différentes nominations. Lukas B. Brændsrød, le percutant Rothbart de cette soirée, a ainsi été nommé First Soloist (dernier garde avant celui de Principal). De même que Sae Maeda qui a brillé dans le pas de trois, par sa virtuosité profondément musicale et si pleine de style. La relève continue d’arriver.

 

 

Le Lac des cygnes de Marius Petipa et Lev Ivanov, chorégraphies additionnelles de Liam Scarlett et Frederick Ashton, par le Royal Ballet de Londres. Avec Mayara Magri (Odette/Odile), Cesar Corrales (Prince Siegfried), Christina Arestis (la Reine), Lukas B. Brændsrød (Von Rothbart), Joonhyuk Jun (Benno), Leticia Dias et Sae Maeda (les petites soeurs du Prince Siegfried), Ashley Dean, Yu Hang, Charlotte Tonkinson et Amelia Townsend (quatre Petits cygnes), Hannah Grennell et Isabel Lubach (deux Grands cygnes), Sumina Sasaki, Leo Dixon, Harrison Lee, Aiden O’Brien et Francisco Serrano (la Danse espagnole), Ashley Dean et Luca Acri (la Danse napolitaine). Samedi 9 mars 2024 au Royal Opera de Londres.

À voir au cinéma (avec une distribution différente ) le 27 février et le 2 mars 2025.

 





 

 

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