[Festival Cadences 2024] Mysterious Heart de Tania Carvalho par Tanzmainz / Mosaïk de Mourad Merzouki
Le festival Cadences d’Arcachon a eu la primeur de la mini-tournée en France de Tanzmainz. Avant une étape au Théâtre de la Ville, le Ballet de Mayence a présenté la création de la chorégraphe portugaise Taniá Carvalho, Mysterious Heart. Cette pièce pour onze danseuses et danseurs plonge dans un univers baroque fantastique telle une bacchanale fantasmagorique inquiétante. Elle est sublimée par une compagnie remarquable qui sait se plier aux mixtes de techniques sollicitées par cette chorégraphe inventive et décalée.
On connaît l’excellence de la troupe de Mayence et sa versatilité, on se souvient de leur interprétation remarquable de Soul Chain de Sharon Eyal qui avait mis le 104 de Paris en feu. Le public du festival Cadences d’Arcachon n’a pas ménagé ses applaudissements à la compagnie même si une partie du public a pu être surpris par Mysterious Heart de Taniá Carvalho. Une proposition qui plonge dans un univers où l’étrangeté le dispute au grotesque. Danseurs immergés dans un plateau nu, sans décor, résolument sombre, les costumes ébouriffants signés Lucia Vornhein sont ainsi les seuls marqueurs du récit. Et de fait, ils ne passent guère inaperçus : culottes bouffantes, justaucorps à franges, fraises et jabots, Taniá Carvalho nous emmène ailleurs.
Mais que veut-elle nous dire ? La réponse ne vient pas du spectacle mais la chorégraphe distille des indices : le monde qu’elle dépeint n’appartient pas au réel. Les images qu’elle produit sont résolument oniriques. L’usage un peu trop dispendieux des fumigènes est un des signifiants mais d’emblée, on remarque ce jeu appuyé des mains qui paraissent interminables. Et pour cause : chaque doigt est prolongé par un accessoire installant une référence satanique dont Taniá Carvalho ne cesse de jouer.
On ne saura pas pour autant ce qui relie ce groupe. Chacune et chacun interprète sa propre partition et c’est un tour de force. À l’exception d’un bref ensemble – très bref – la pièce se fabrique avec cette somme d’individualités. C’est une des grandes forces de Mysterious Heart. Ce dispositif virtuose offre aux danseuses et aux danseurs un terrain d’expression privilégié où ils peuvent mettre à profit leurs qualités exceptionnelles. Techniciens éprouvés, ils se fondent avec aisance dans le langage de Taniá Carvalho. La chorégraphe aime à bousculer les styles mais sa matrice demeure fondamentalement classique. Arabesques, tours, développés, batteries, extensions extrêmes, grands jetés, elle met en mouvement toute la panoplie académique qu’elle sait combiner avec aisance. À l’instar de Sharon Eyal, Tania Carvalho s’emploie à faire évoluer le groupe sur demi-pointes frôlant avec les déséquilibres, ce qui augmente l’étrangeté. L’univers musical est en phase avec cette atmosphère où l’on se perd entre paradis et enfer; avec ses sons qui dérangent et des plaintes qui affolent quand subitement surgit une partition baroque et un air de clavecin.
Mysterious Heartest divisé en séquences avec changements de costumes express et envoi de fumée sur le plateau. Certaines sont particulièrement réussies, notamment ce long ralenti où les onze interprètes apparaissent côté jardin et traversent la scène, composant une figure unique, un corps organique qui se meut dans une lenteur extrême. Le procédé n’est pas neuf mais il est ici impeccablement réalisé. Coup de chapeau aux interprètes de Tanzmainz, toutes et tous remarquables.
Avant cela, c’est au Théâtre de la Mer que l’on pouvait prendre le pouls du festival. C’est l’un des marqueurs de Cadences : cette scène éphémère bâtie sur la plage offre une vue unique sur le Bassin d’Arcachon. C’est un lieu magique où peuvent se succéder des formes brèves chambristes… si le temps le permet ! La pluie battante qui tombait samedi matin sur Arcachon laissait redouter le pire mais les Dieux de la météo se sont finalement montrés cléments. On a pu ainsi voir une version écourtée de Crocodile, la pièce de Martin Harriague et Emilie Leriche que DALP avait découverte à Bayonne au Temps d’aimer la Danse. Ces 30 minutes mettent l’eau à la bouche et attise le désir d’en voir davantage. Mourad Merzouki, qui avait ouvert Cadences avec sa dernière création Beauséjour, nous a enchanté avec Mosaïk par la compagnie Käfig, comme un best-of de ses pièces habilement agencées pour cinq interprètes virtuoses. À voir ou revoir son travail, on constate l’importance de ce chorégraphe qui a donné une voix essentielle à la danse hip hop dans toutes ses déclinaisons, irradiant sur toute une génération de danseurs et de chorégraphes et émerveillant le public partout dans le monde.
Festival Cadences
Mysterious Heart de Taniá Carvalho par le Tanzmainz, avec Elisabeth Gareis, Daria Hlinkina, Amber Pansters, Maasa Sakano, Milena Wiese, José Garrido, Longo, Matti Tauru, Lin Van Kaam et Thomas Van Praet. Samedi 21 septembre 2024 au Théâtre Olympia d’Arcachon. À voir au Théâtre de la Ville de Paris du 25 au 28 septembre.
Mosaïk de Mourad Merzouki par la compagnie Käfig, avec Alizé Mea Brule, Christophe Gellon, Oussame El Ousfi. Hatïm Laamarti et Charlotte Garbin. Samedi 21 septembre 2024 au Théâtre de la Mer d’Arcachon. À voir au festival Karavel à Oulin-Pierre-Bénite le 5 octobre, au festival Danse au fil d’Avril à Saint Donat l’Herbasse le 17 avril.