Rencontre avec Shale Wagman, nouvelle recrue du Ballet de l’Opéra de Paris
Ce fut l’une des grosses surprises du Concours de recrutement du Ballet de l’Opéra de Paris en juillet dernier : l’arrivée de Shale Wagman. Il était alors Premier danseur au Ballet de Munich, l’une des grosses compagnies européennes, et avait choisi de repartir à zéro dans la troupe parisienne. Danseur surdoué formé à l’Académie Princesse Grace, Shale Wagman a connu un début de carrière peu commune : vainqueur du Prix de Lausanne en 2018, danseur à l’English National Ballet puis artiste invité du Mariinsky à tout juste 19 ans, il se retrouva blessé et sans compagnie pendant le Covid. Avant de rebondir à Munich, puis de trouver une nouvelle stabilité depuis septembre à Paris. Dans le programme de rentrée, Shale Wagman brille dans Blake Work I de William Forsythe. Rencontre avec ce danseur aussi talentueux qu’attachant à suivre de très près, qui nous explique ce son parcours et son cheminement.
Que représente le Ballet de l’Opéra de Paris pour vous ?
Cela a toujours été mon rêve d’être à l’Opéra de Paris. J’ai toujours aimé le style français dans la danse, la nature élégante, raffinée et intérieure de l’expression française. Je me souviens de toutes ces vidéos d’archive : Sylvie Guillem bien sûr, Isabelle Ciaravola, Manuel Legris, Nicolas Le Riche, Mathias Heyman, Ludmila Pagliero, Agnès Letestu, José Martinez… beaucoup de gens. L’une des raisons aussi qui m’a amené en Europe est qu’il y a ici beaucoup de respect pour le Ballet.
Alors pourquoi ne pas avoir essayé de rentrer à l’Opéra de Paris à la fin de vos études à l’Académie Princesse Grace ?
À l’Académie, il n’y avait pas forcément de liens avec l’Opéra de Paris. Et puis mon ambition en sortant de l’école était de beaucoup danser. Je cherchais donc une compagnie où je pourrais avoir beaucoup d’opportunités, tout de suite, et j’ai été encouragé par ma direction à aller dans ce sens. Au Ballet de l’Opéra de Paris, on sait que l’on doit attendre un peu de temps avant de danser et à l’époque, je n’avais pas la maturité pour cette patience.
Vous êtes donc parti à l’English National Ballet pendant un an, vous avez été danseur invité au Mariinsky, puis blessé et sans compagnie pendant le Covid. Comment êtes-vous arrivé au Ballet de Munich ?
En 2021, je n’avais pas de compagnie, j’avais été blessé, c’était dur. J’ai contacté beaucoup de troupes pour travailler et danser. Igor Zelenski, à cette époque le directeur du Ballet de Munich m’a répondu et m’a fait confiance. Il m’a donné la chance de recommencer ma carrière. Je lui en suis très reconnaissant.
Comment se sont passées vos années à Munich ?
J’ai eu beaucoup d’opportunités et la possibilité de danser de nombreux rôles. J’ai appris beaucoup ici, j’ai grandi en tant qu’artiste. La compagnie a fait venir de très grands chorégraphes, comme Alexeï Ratmansky ou David Dawson et j’ai eu la chance de travailler sur leur création. Et puis la scène est incroyable, le théâtre magnifique, j’ai beaucoup aimé le lieu. Je suis très reconnaissant de mes années à Munich. Quand j’ai commencé mon travail dans cette troupe, Igor Zelenski m’a donné de nombreuses opportunités d’apprendre les premiers rôles, il m’a poussé à danser beaucoup. Ce n’était pas le cas ces derniers temps. J’avais l’impression que je ne pouvais pas montrer tout ce que je pouvais en tant qu’artiste. Quant à Munich, c’est une grande et magnifique ville historique, même si son histoire a parfois été très noire. Mais ce ne fut pas vraiment l’endroit où je me suis senti le mieux, pour plein de raisons.
Quel a été le déclic pour partir, alors que vous étiez tout de même bien placé dans la hiérarchie, au grade de Premier soliste ?
En septembre dernier, il s’est passé quelque chose de sérieux dans ma vie personnelle. C’était un signe clair qu’il était temps de quitter Munich. Mais vers quelle compagnie aller ? Au même moment, nous répétions Alice au pays des merveilles de Christopher Wheeldon, où je dansais le Lapin blanc et le Chapelier fou. Les répétitions étaient éprouvantes et je me suis blessé. J’ai dû annuler des représentations en Chine ainsi que mes débuts professionnels dans mon pays natal, le Canada. Après cela, j’ai pris du recul et je suis parti en retraite, dans la nature. J’ai réfléchi à ce qui s’était passé, à ce que je devais faire. Je ne savais pas si je devais rester à Munich ou même continuer à danser. Le monde de la danse peut parfois être écrasant, avec plus de pression que nécessaire. Ce fut une période très difficile, mais j’y ai aussi beaucoup appris. J’ai fait des erreurs, mais maintenant, je me sens plus libre, vraiment moi-même. Tout cela a fait de moi un meilleur artiste.
Comment petit à petit l’idée d’aller à l’Opéra de Paris est arrivée ?
Après cette retraite, je me suis demandé ce qu’étaient mes valeurs dans ma vie et ma carrière. Je voulais vraiment un environnement professionnel sain, de bons coachs, un magnifique théâtre, un très beau répertoire, un directeur ouvert. Et personnellement, je voulais une communauté, une ville où je pourrais être libre de m’exprimer comme je le souhaite et d’être moi-même. Cela m’a amené vers Paris. J’y suis venu l’été dernier avec ma famille et Inès McIntosh nous a fait visiter le Palais Garnier. J’ai dit à mon frère : « C’est ici que doit être ma place« . Je suis revenu la saison dernière, j’ai pris une classe avec la compagnie et j’ai beaucoup aimé ce travail et les professeurs, l’incroyable niveau des danseurs et danseuses. Et puis ce lieu est vraiment incroyable, on sent la magie de son histoire, une énergie, une beauté inspirante. Puis j’ai travaillé une variation pour un gala avec Gil Isoart. Nous ne nous étions jamais rencontrés mais j’ai pourtant ressenti une connexion immédiate avec lui. Ce type de coaching était ce que je recherchais. J’ai aussi rencontré José Martinez, qui m’a dit qu’il serait ravi de m‘avoir dans la compagnie mais qu’il fallait que je passe le Concours externe et que je commence en bas de l’échelle. J’ai eu l’impression qu’il croyait en moi. Et puis je suis tombé amoureux de la ville tout de suite. Le choix de l’Opéra de Paris m’a paru évident.
Comment avez-vous vécu le Concours de recrutement, vous qui avez été habitué au Concours plus jeune ?
Après le Prix de Lausanne en 2018, qui a été une expérience incroyable, j’en avais un peu assez des concours et de tout ce stress qui les accompagne. C’est si différent que de préparer un spectacle. Je ne savais pas si j’étais prêt pour ça. Ce CDI fut une surprise pour moi. Quand j’ai quitté Munich, je me suis dit qu’il fallait que je prenne une décision sur la compagnie avec laquelle j’allais rester pour le reste de ma carrière. J’avais déjà connu deux compagnies, à chaque fois ce fut un grand changement dans ma vie. J’ai aussi envie d’avoir une stabilité. Un contrat en CDI, c’est quelque chose.
Ne faire que du corps de ballet, devoir attendre pour danser, cela ne vous fait plus peur, même si vous avez déjà connu les premiers rôles ?
Je sais que cela va être difficile au début. Mais je suis prêt mentalement. J’ai appris la patience et à mettre mon ego de côté. Alors que j’avais l‘habitude de beaucoup me comparer aux autres, j’ai réalisé que nous sommes tous uniques. Je suis prêt à repartir du début, j’ai confiance en mes capacités et je me sens bien avec ma décision. C’est normal aussi de recommencer du début, j’ai beaucoup de respect pour les danseurs et danseuses qui sont passées par l’École de Danse. C’est aussi pour cela que le Ballet de l’Opéra de Paris est l’une des meilleures compagnies du monde, qui existe depuis si longtemps. Je respecte cette tradition et j’ai beaucoup à apprendre, il faut que j’adapte mon corps à cette technique. Le corps de ballet sera mon chemin pour aller plus loin. J’ai 18 ans pour grandir dans cette compagnie (sourire).
Vous aviez pu vous familiariser avec la danse française lors de vos années à l’Académie Princesse Grace ?
Nous avions un entraînement très versatile là-bas, avec des professeurs travaillant sur la technique Vaganova, l’école américaine, aussi l’école française. Olivier Lucea, qui fut mon professeur pendant deux ans, travaillait beaucoup sur l’école française. Michel Rahn, qui fut mon dernier professeur, mêlait la technique américaine et française. Après le Concours d’entrée en juin dernier, j’ai pris des cours avec la compagnie. Je voyais déjà comment j’allais pouvoir m’améliorer, je sentais déjà la différence dans ma danse. Cela va être spécial mais je me sens très bien avec cette décision.
J’ai beaucoup à apprendre, il faut que j’adapte mon corps à cette technique. Le corps de ballet sera mon chemin pour aller plus loin
Qu’avez-vous envie de danser pour cette saison 2024-2025 qui démarre ?
Mais tout ! J’adore cette programmation, c’est une très belle saison. Bien sûr, travailler avec William Forsythe est un rêve. Mayerling de Kenneth MacMillan est un ballet fantastique, tout comme Onéguine de John Cranko. Je pense à La Belle au bois dormant de Rudolf Noureev aussi, il y a beaucoup de choses pour tout le monde, même le corps de Ballet. Et j’aimerais beaucoup danser Paquita de Pierre Lacotte. Il est le père de la danse classique française et une part si importante de l’histoire de l’Opéra. J’ai dansé sa variation Célébration pour le Concours externe, j’ai travaillé très dur chaque jour. Les cabrioles droites et gauches, la batterie, ce n’est pas très naturel pour moi. C’était un gros travail mais aussi un vrai plaisir : j’aime les challenges.
Shale Wagman, à voir dans Blake Works I de William Forsythe lors du programme Forsythe/Inger du Ballet de l’Opéra de Paris, jusqu’au 3 novembre au Palais Garnier.
Gabriella Frenzel
Bravo pour ce portrait !
Marie Laure Vivier
Merci pour cet article restituant un bel interview avec ce nouveau danseur de l’Opéra de Paris !
Ramond Marie
Un très grand danseur avec un parcours impressionnant.L Opera Garnier c est pour ce grand danseur.Merci pour ce bel article .