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Soirée Envols – Ballet de l’Opéra de Lyon

Le Ballet de l’Opéra de Lyon a démarré sa saison – la première signée de son directeur Cédric Andrieux – par un programme de répertoire, mêlant des pièces piliers de la fin du XXe siècle à un solo créé en plein confinement. Trisha Brown, Jiří Kylián et Jan Martens se mêlent ainsi avec bonheur, chacun dans une musicalité propre mais tout aussi passionnante. Et si Set and Reset / Reset et Bella Figuracontinuent d’être admirablement dansées – la troupe est toujours autant vectrice d’excellence, quel programme d’ailleurs pour montrer sa virtuosité et son éclectisme – c’est bien le solo Jan Martens qui reste le clou du programme, pièce réjouissante et jubilatoire.

 

Period Piece de Jan Martens –  Kristina Bentz

 

Après quelques années de turbulence en 2020, entre deux changements de direction aux multiples remous et la crise sanitaire, le Ballet de l’Opéra de Lyon semble avoir trouvé un certain apaisement avec l’arrivée à sa tête, en août 2023, de Cédric Andrieux. Cette saison 2024-2025 est la première qu’il compose pour la compagnie. Et pour l’ouvrir, il est naturellement resté sur les bases de la troupe, entre la post-modern dance de Trisha Brown et la contemporanéité toute en sensation du maître Jiří Kylián. C’est bien dans ce répertoire de la fin du XXe siècle, danse contemporaine aux bases académiques, que le Ballet de l’Opéra de Lyon tire toute sa force, lui permettant ensuite de se déployer dans des créations.

L’ouverture de Set and Reset / Reset de Trisha Brown a toujours quelque chose de fascinant. Il faut voir ces deux immenses tubes composés de cordes, descendant des cintres, s’enroulant et se déroulant dans un temps suspendu. Puis les corps se mettent en mouvement sur les sons étranges de Laurie Anderson, déstabilisants mais doués d’une véritable musicalité. Duo, trio, petit groupe se forment, se mêlent et se dissocient dans une danse d’une incroyable précision comme d’une grande liberté. Chacun et chacune évolue ainsi dans une « improvisation dansée« , selon les propres mots de Trisha Brown, portés par des indications parfois ludiques comme « Agissez d’instinct » ou « Jouez avec la visibilité et l’invisibilité ». Avec à la clé le grand mystère des œuvres de Trisha Brown : le tout donne le sentiment d’être incroyablement écrit et précis. C’est la façon de faire évoluer son corps dans l’espace, de le centrer, de se plonger dans la musicalité de Laurie Anderson comme dans celle des autres interprètes autour. Comme une grande et harmonieuse rencontre. Set and Reset / Reset n’en garde pas moins une certaine aridité, mais n’est-ce pas la signature de la post-modern dance ? La joie d’être le public de Trisha Brown repose plus sur une sorte de plaisir intellectuel, voire philosophique. Qui comme nettoie notre œil de tous les parasites pour nous permettre d’apprécier la danse pure.

 

Set and Reset / Reset de Trisha Brown – Ballet de l’Opéra de Lyon

 

Bella Figura de Jiří Kylián, qui conclut la soirée, est à l’inverse une histoire de sensation, d’émotion profonde, d’une musicalité à fleur de peau sur les partitions de Vivaldi ou Pergolèse. Il y a comme un fil narratif entre cette femme happée par les plis du rideau de scène devenant créature vivante et ce groupe dans ces robes iconiques couleur rouge sang. Mais qu’importe ce qui s’y raconte. Il ne reste qu’une poésie intense, cette sensation étrange d’errer entre fiction et illusion, entre réalité crue et personnages purement oniriques. Chaque saynète sonne comme une nouvelle porte que l’on ouvre sur quelque chose d’inconnu, qui nous saisit par sa beauté. Dans ce registre, le Ballet de l’Opéra Lyon y est exemplaire – qui mieux que cette troupe pour danser Jiří Kylián en France ? Pourtant, il reste comme un tout petit goût – petit, vraiment, mais bien existant – d’inachevé. Une sensation de voir des interprètes, excellents au demeurant, plongés dans une zone de confort si grande que cela empêche l’étincelle de s’allumer pleinement. On ne peut pas pourtant parler d’un manque d’incarnation ou de musicalité. De surprise, peut-être, de renouvellement.

 

Bella Figura de Jiří Kylián – Ballet de l’Opéra de Lyon

 

Le temps fort du programme vient bien plus du solo Period Piece de Jan Martens, posé comme un interlude entre ces deux grandes pièces majeures du répertoire. Cette création fait partie du projet Danser Encore, que Julie Guibert, la directrice précédente de la compagnie, avait lancé pendant le confinement. Pendant 18 mois, les artistes n’ont pu se produire en scène, ou en effectif très réduit. Elle avait ainsi décidé d’amener un solo pour chaque interprète de la troupe, créé avec un ou une chorégraphe. Ces différents solos ont depuis fait leur chemin et il est passionnant de les retrouver dans un contexte normal, les inscrivant à leur tour dans le répertoire de la troupe. Montée pour et avec Kristina Bentz, Period Piece de Jan Martens est d’ailleurs dansé pour cette reprise par deux autres interprètes. C’est pour ma part la danseuse originale qui occupe le plateau. Et d’emblée, avec une puissance, un entrain, une énergie et une présence qui nous prend par la main et ne nous lâche pas.

La musique de Górecki utilisée est nourrie de multiples influences, de Stravinsky au minimaliste en passant par le folklore polonais. La chorégraphie, qui a profondément puisé son inspiration dans cette partition, est à cette image. En trois parties, elle déploie une danse tantôt profondément virtuose et effrénée, tantôt dans la concentration – presque comme un adage – tandis que le dernier mouvement est plus propre à chaque interprète. Et la danse part dans tous les sens sans jamais nous perdre. La danseuse s’amuse, se donne, occupe l’immense espace scénique aussi bien qu’un corps de ballet de 20 personnes. Elle semble être de tous les recoins, de tous les instants. Ces 14 minutes de solo ne laissent pas de répit, pour l’interprète comme le public, saisi par cette pulsion qui rythme toute cette pièce, par son instinct de survie comme par sa folle réjouissance. C’est percutant, surprenant et profondément jubilatoire. Un contrepoint bienvenu dans une soirée peut-être un peu trop sage.

 

Period Piece de Jan Martens –  Kristina Bentz

 

 

Soirée Envols par le Ballet de l’Opéra de Lyon

Set and Reset / Reset de Trisha Brown, avec Paul Grégoire, Livia Gil, Jackson Haywood, Mikio Kato, Albert Nikolli, Giacomo Todeschi, Kaine Ward, Amanda Lana, Elline Larrory, Anna Romanova, Marta Rueda et Emily Slawski ; Period Piece de Jan Martens, en collaboration avec Kristina Bentz, avec Kristina Bentz ; Bella Figura de Jiří Kylián, avec Jacqueline Bâby, Kristina Bentz, Noëllie Conjeaud, Eline Malègue, Almundena Maldonado, Leoannis Pupo-Guillen, Tyler Galster, Jeshua Costa et Alber Nikolli. Mardi 29 octobre à l’Opéra de Lyon. 

 

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