Amala Dianor : « Essayons de composer ensemble et de voir comment nos différences nous rapprochent »
Amala Dianor truste les scènes parisiennes en ce mois de décembre. Au Théâtre de la Ville, il propose du 11 au 14 décembre sa nouvelle création grand format Dub, qui rassemble de fantastiques interprètes tous styles de danse confondus. À la Maison des Métallos, il présente une carte blanche intitulée Playground pendant 15 jours dès le 5 décembre, mêlant petites formes, projections et ateliers. Comme un bilan de plus de dix ans de création pour ce chorégraphe qui n’aime rien tant que de mêler les esthétiques et proposer une danse rassembleuse. Rencontre.
Vous présentez du 5 au 19 décembre une carte blanche à la Maison des Métallos, Playground (« Aire de jeu » en français). Pourquoi ce titre et quel est son contenu ?
Pour le jeu de mots (rires), de l’ère du « je » à l’aire de jeu. L’idée sur cette carte blanche avec la Maison des Métallos était d’essayer, pendant les Fêtes de fin d’année et au milieu d’une actualité pesante, de se retrouver et de vivre un moment positif. Comment, malgré toutes ces tensions et ce qui nous accapare dans notre quotidien, peut-on se retrouver et célébrer ensemble le fait d’être en paix, en bonne santé et de cultiver nos différences. Viens comme tu es, on essaye de composer ensemble et de voir comment nos différences nous rapprochent. C’est ce que je veux amener avec les différentes pièces présentées.
C’est aussi le fondement de Dub, votre grande forme présentée au même moment au Théâtre de la Ville. Cette nouvelle création mêle des interprètes venus du monde entier et de plein d’esthétiques différentes. Comment avez-vous formé ce groupe ?
Grâce au répertoire de la compagnie, je suis amené à voyager à travers le monde. C’est toujours l’occasion pour moi de découvrir de nouvelles danses et de nouveaux danseurs et danseuses. Volontairement, je veux aller à la recherche d’artistes qui déploient une très forte énergie parce qu’ils sont dans un environnement qui, parfois, ne leur laisse pas le choix que de s’exprimer à travers la danse. Je les trouve dans des soirées, des événements de DJs, des fêtes, lors de stages et workshops que je donne. J’ai également mené une audition ouverte à Paris. L’idée pour moi était, non pas d’inviter des artistes hip hop, mais des interprètes qui avaient développé de nouveaux styles de danse dans l’héritage de la culture hip hop : des danseurs et danseuses électro, de krump, de waacking, de coupé-décalé, de pantsula. Je suis allé en Afrique du Sud, au Burkina Faso, aux États-Unis, en Inde, à Londres, en Italie… Cela a été une recherche sur plusieurs années.
Le collectif est très fort dans Dub. En tant que chorégraphe, comment créer un groupe avec des personnalités aussi différentes ?
Ces artistes ne pratiquent pas la même danse et ils n’ont pas du tout la même musicalité. Je les ai fait travailler et réunis autour du rythme. C’est ce qui nous a permis à chacun de dialoguer. Grâce au rythme, chacun et chacune pouvait y accorder ses mouvements. Ensuite, en essayant de créer ce groupe pour Dub, je voulais avant tout trouver des personnes qui avaient l’amour de la danse, mais aussi le goût du partage. J’ai rencontré beaucoup d’excellents danseurs mais qui étaient trop auto-centrés, cela ne pouvait pas fonctionner sur un projet où chaque interprète doit avoir envie de partager et d’aller vers l’autre à travers sa danse.
Dub est marqué par une scénographie imposante, formant un lieu qui peut être aussi bien un club qu’un terrain désaffecté. Pour vous, on est où ?
Je l’ai voulu comme un espace qui n‘est pas accessible au grand public, ces endroits de rendez-vous où les communautés se retrouvent. Des lieux à l’écart du regard des autres, où il n’y a que de la bienveillance : on peut venir comme on veut, s’habiller comme on veut, danser, s’exprimer comme on le veut, en sachant que l’on ne sera pas jugé. Je souhaitais avec Dub ouvrir ces espaces pour donner à voir ces endroits que l’on ne connaît pas spécialement. Cela peut être dans une simple salle, un garage désaffecté, un club, un appartement… Mais le plus important est ce qui s’y passe.
À l’inverse, lors de votre carte blanche Playground à la Maison des Métallos, vous présentez beaucoup de petites formes. Comment avez-vous mené cette programmation ?
Playground est l’occasion d’investir la Maison des Métallos avec les petites formes de la compagnie. Je présente ainsi mon solo Man Rec, que je danse depuis plus de dix ans et qui est un peu la carte de visite de la troupe. C’est aussi grâce à ce solo que j’ai pu mener tout ce travail de recherche que l’on voit dans Dub. C’est lui également qui a amené le solo Wo-Man, sa réécriture sur un corps féminin, celui de Nangaline Gomis. Je présente aussi la première du duo M&M, dansé par Marion Alzieu et Mwendwa Marchand, l’une danseuse contemporaine, l’autre de dancehall. C’était pour moi l’occasion de montrer en scène le dancehall, une pratique peu connue en plateau. On crée aussi le duo Coquilles pour la toute petite enfance que l’on va jouer dans les crèches. Il y a également des projections de films de danse que j’ai tournés pendant les mois du Covid, des objets qui permettaient de continuer à voir de la danse alors que l’on ne pouvait plus aller à la rencontre du public. Enfin avec le DJ set, on voudrait se retrouver pour célébrer et danser ensemble, retrouver l’état d’esprit de la culture électro, qui est celle de la fête, du partage et laisser un peu de côté l’aspect battle.
Est-ce que cette carte blanche est l’occasion d’un bilan de votre part, après plus de dix ans de création ?
Pendant de nombreuses années, j’ai été très productif dans une démarche de recherche chorégraphique. Je suis danseur auto-didact, puis je me suis formé au CDCN d’Angers, j’ai dansé pour différents chorégraphes pendant dix ans. Je voulais comprendre à travers ma démarche d’interprète comment répondre au mieux aux demandes des chorégraphes. Puis je me suis mis en quête de ma proche recherche chorégraphique et de trouver comment être au plus juste dans une œuvre. Ce qui m’intéresse, c’est de faire une pièce qui face date, comme Maguy Marin ou d’autres ont pu le faire. De Man Rec à Dub, j’ai fait énormément de propositions. Cette carte blanche est l’occasion, plus pour le public que pour moi, de voir la palette de propositions que toutes ces recherches m’ont amené à faire.
Vous avez postulé pour la direction d’un Centre Chorégraphique National (CCN) qui n’a pas abouti. C’est toujours dans vos objectifs ?
Je fais partie de la génération de chorégraphes à qui a été promis l’outil CCN dans une forme de continuité du travail. Si vous remplissez toutes les cases, si vous travaillez à élargir vos activités, vous pouvez disposer de cet outil pour continuer à travailler. L’équipe avec laquelle je travaille aujourd’hui est très réduite. Nous ne sommes que trois, ce qui est peu par rapport à la somme de travail effectué, entre les créations, trouver les résidences, les tournées, le fait que je sois artiste associé à trois structures (la Scène nationale de Mâcon, celle du Le Mans et le CDCN Touka Danses de Guyane). L’outil CCN me permettrait de m’installer sur un territoire et de m’y déployer, avec une équipe et une structure au service d’un projet. Pour l’instant, cela n’a pas abouti, mais je garde espoir. Notre métier est à double tranchant: soit ça marche et on a beaucoup d’activités auxquelles il faut répondre, soit ça ne marche pas et on s’use à chercher des partenaires et des co-productions.
Sortir de ma zone de confort, me lancer des défis est ce qui m’intéresse.
Nous sommes en fin d’année : quel est votre bilan de 2024 et qu’est-ce qui vous attend en 2025 ?
J’ai la chance d’avoir un réseau solide de partenaires, le bilan est donc très satisfaisant. Dub a plus de 80 dates de tournées, Man Rec continue de tourner, M&M aussi. On a une présence sur le réseau national et international forte. Pour 2025, j’ai la chance de faire un projet avec les Arts Florissants autour de la partition de la Passion du Christ de Carlo Gesualdo. Sortir de ma zone de confort, me lancer des défis est ce qui m’intéresse. Cela a été le cas avec The Falling Stardust en 2019, ma première pièce de groupe avec des danseurs et danseuses classiques. Ou avec Dub, où j’ose la grande forme avec une scénographie imposante, avec des artistes qui viennent de partout. Cette nouvelle création sera encore un défi, celui de me concentrer sur un répertoire baroque, avec des chanteurs et chanteuses lyriques. Cette partition est uniquement avec des voix, sans instrument. Donner le relai avec le corps à la tension de la partition est ce qui m’intéresse.
Playground à la Maison des Métallos de Paris du 5 au 19 décembre
Dub au Théâtre de la Ville de paris du 11 au 14 décembre