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Casse-Noisette de Kaloyan Boyadjiev – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

2024 est une année faste pour le ballet Casse-Noisette en France : s’il est indissociable des Fêtes de fin d’année dans le monde anglo-saxon, il est rare de le voir doublement à l’affiche, cette année à l’Opéra national du Rhin et à l’Opéra de Bordeaux, chacun avec une production inédite. Côté aquitain, l’événement était d’autant plus attendu que la compagnie bordelaise n’avait pas dansé ce ballet depuis plus de dix ans. Un défi de taille que le directeur de la troupe Éric Quilleré a confié à Kaloyan Boyadjiev. Le chorégraphe bulgare, lauréat du Grand Prix de Biarritz en 2022, reprend donc son Casse-Noisette créé en 2016 pour le Ballet national norvégien. Coproduite avec le Leipziger Ballett, cette version ravive l’esprit de Noël du conte traditionnel tout en le modernisant, avec une simplicité féérique qui sied admirablement aux artistes de la troupe bordelaise.

 

Casse-Noisette de Kaloyan Boyadjiev – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

 

Dès les premières notes de la partition de Tchaïkovski, Casse-Noisette de Kaloyan Boyadjiev pour le Ballet de l’Opéra de Bordeaux plonge littéralement dans le conte d’E.T.A. Hoffmann. Sur un fond type carte de vœux projeté en XXL sur le décor, un livre pourpre fait scintiller le titre du ballet en lettres d’or. Puis l’image s’anime et traverse des rues enneigées, toutes illuminées pour Noël, jusqu’à la demeure de la jeune Clara. Sur scène, l’héroïne du ballet prend d’abord les traits de Mélissa Patriarche, accueillant les convives du Réveillon, dont le fameux horloger-marionnettiste Drosselmeyer mais aussi des soldats revenus du front. Si le conte original se déroule en 1816, Éric Quilleré a tenu à ce que l’action soit transposée à Bordeaux en 1871, au lendemain de la guerre franco-prussienne. Mais le contexte historique reste un lointain arrière-plan dans ce Casse-Noisette. L’acte 1, où est exposé l’essentiel de la narration, met plutôt l’accent sur la tension entre deux mondes perçus par Clara : celui du cortège d’enfants- incarné par les élèves du Conservatoire de Bordeaux – sautillant main dans la main en rang d’oignon avant de déballer les cadeaux ; et celui des grandes personnes, dont la valse mondaine semble moins entraînante qu’inquiétante aux yeux de la jeune fille.

Entre deux âges, Clara ne sait sur quel pied danser. Plus tout à fait une enfant, elle boude d’abord le casse-noisettes que lui offre Drosselmeyer. Mais lorsque son frère Fritz le casse, elle se met à chérir son jouet et s’endort à ses côtés dans le grand salon vidé de ses invités. La scène bascule alors du côté du rêve. Le sapin et la cheminée triplent de volume et c’est tout un monde miniature qui prend vie : tandis que les Rats et les petits soldats se livrent bataille à coup de sabre, de serpentins et de dés de fromage, Mathilde Froustey se glisse à la place de Mélissa Patriarche pour incarner une Clara telle que la jeune adolescente s’imagine en songe.

 

Casse-Noisette de Kaloyan Boyadjiev – Ballet de l’Opéra de Bordeaux – Mathilde Froustey et Riku Ota

 

Si sa robe bleu azur lui donne un air candide, il ne faut pas s’y tromper. Sous les traits de Mathilde Froustey, Clara devient une jeune femme de caractère qui s’interpose face au Roi des Rats et à son armée pour défendre son casse-noisettes, avant que celui-ci ne se transforme en Prince. La Danseuse Étoile est tout simplement rayonnante dans ce rôle de princesse téméraire. Il est vrai qu’elle n’en est pas à son premier Casse-Noisette : d’abord à l’Opéra de Paris dans la version de Rudolf Noureev, puis dans celle d’Helgi Tomasson au San Francisco Ballet, elle avait déjà exploré plusieurs facettes de Clara au cours de sa carrière. Pour cette troisième prise de rôle, Mathilde Froustey joue à la fois des charmes et de l’espièglerie du personnage, avec une grâce et une finesse qui ne manquent pas de naturel. Associée à une maîtrise technique sans faille, sa danse aérienne et musicale enchante. À ses côtés, Riku Ota endosse le rôle du Prince avec autant d’éclat. Un peu moins expressif que sa partenaire, il brille sur les morceaux de bravoure, par l’amplitude de ses grands sauts, ses pirouettes et ses tours à l’italienne véloces et nets. Il se révèle surtout un excellent partenaire, accompagnant avec élégance et assurance les arabesques plongeantes de la danseuse.

L’équilibre harmonieux de ce couple d’Étoiles est mis en valeur dès le grand pas de deux de l’acte 1. Dans les bras du Prince, Clara se découvre à la fois sensuelle et audacieuse, prête à s’envoler avec lui sur un lustre. Sans complications superflues, la chorégraphie de Kaloyan Boyadjiev met pourtant les artistes au défi. Mais grâce à leur confiance mutuelle, le duo survole les portés quelque peu acrobatiques proposés par le chorégraphe bulgare, dont une figure pour le moins renversante où Mathilde Froustey, jambes tendues vers le ciel, aligne sa tête sur les omoplates de Riku Ota, qui la tient à bout de bras par la taille.

 

Casse-Noisette de Kaloyan Boyadjiev – Ballet de l’Opéra de Bordeaux – Mathilde Froustey et Riku Ota

 

Tradition modernisée ou modernité traditionnelle ? Kaloyan Boyadjiev creuse la question jusque dans le détail. Parmi ses points d’attention, il y a notamment les cadeaux distribués par Drosselmeyer à l’acte 1, ici judicieusement dégenrés : au placard les poupées et les chevaux, garçons et filles se partagent désormais un bateau à voile et une locomotive en bois. Le chorégraphe bulgare accorde également la Valse des flocons au masculin, mêlant un quatuor de danseurs aux danseuses en tutus façon étoiles des neiges. Au deuxième acte, les choix sont encore plus marqués. Exit les danses nationales exotisantes héritées du XIXe siècle : le chorégraphe place l’univers féérique sous le signe de la couleur et de la gourmandise. Il fait ainsi danser biscuits, bonbons et cadeaux, à l’instar de la version new-yorkaise de George Balanchine – moins son extravagance. Conçus à partir d’éléments recyclés d’un précédent Casse-Noisette et de matériaux variés, les costumes, décors et accessoires imaginés par Jon Bausor rivalisent de fantaisie. Pastels ou flashy, figuratifs ou géométriques, ils restent toutefois assez mesurés pour ne pas tomber dans l’excès de kitsch. Ainsi les trois Cadeaux (Riccardo Zuddas, Julien Fargeon et Alexandre Gontcharouk) dansent littéralement « en boîte » entourés de ruban doré, le duo de Pain d’épices (Lucia Rios et Diego Lima) a tout des biscuits bruns ornés de glaçage et de billes multicolores. Idem pour les deux sucres d’orges (Marini Da Silva Vianna et José Costa), dont les combinaisons à motif spirales rouges et blanches rappellent vaguement l’univers de Charlie et la Chocolaterie de Tim Burton.

Alors qu’en fond de scène le ciel orangé du petit matin se fait jour, les tableaux s’enchaînent, joyeux et harmonieux, jusqu’à la Valse des fleurs menée avec brio par Ahyun Shin et Tangui Trévinal. Puis ce sont Clara et le Prince qui reviennent pour un ultime pas de deux, où Mathilde Froustey et Riku Ota couronnent de grâce et de virtuosité leur parcours sans faute. Le corps de ballet n’est pas en reste. Alors que certaines et certains se joignent aux solistes dans les divertissements, celles et ceux qui composent les ensembles sont loin d’être cantonné à un rôle de décorum vivant. Au contraire, dans la Valse des flocons puis celle des fleurs, les interprètes se déploient en farandoles tourbillonnaires, vagues ondulante et diagonales croisées autour du couple principal et l’accompagne jusqu’au bout de ses aventures imaginaires. Si bien que lorsque la jeune Clara s’éveille, le charme du Casse-Noisette de Kaloyan Boyadjiev continue d’opérer. Des plus jeunes interprètes aux Étoiles, la chorégraphie met en valeur le talent de l’ensemble de la compagnie bordelaise qui, en retour, semble prend un réel plaisir à la danser. Une joie largement partagée dans le Grand-Théâtre, paré de magie pour les fêtes.

 

Casse-Noisette de Kaloyan Boyadjiev – Ballet de l’Opéra de Bordeaux – Mathilde Froustey et Riku Ota

 

Casse-Noisette de Kaloyan Boyadjiev, d’après E.T.A. Hoffmann par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Avec Mathilde Froustey, Riku Ota, Mélissa Patriarche, Oleg Rogachev, Kohaku Journe, Lucia Rios, Marini Da Silva Vianna, Ahyun Shin, Tangui Trévinal, Diego Lima, Anna Guého, Kylian Tilagone, Emilie Cerruti, Guillaume Debut, Charlotte Meier, Amandine Berthier, Emma Fazzi, Riccardo Zuddas, Perle Vilette de Callenstein, José Costa, Anaëlle Mariat, Simon Asselin, Sarah Leduc, Marc-Emmanuel Zanoli, Alexandre Gontcharouk, Cassandre Leblanc, Hélène Bernardou, Clara Spitz, Charlotte Meier (danseurs et danseuses du Ballet de l’Opéra de Bordeaux), Germano Trovato, Eugen Otero, Carolina Richter, Julien Fargeon, Gautier Lefort, Lola Belloeil, Joji Akutsu, Giordana Roberto, Pierrick Defives, Angelo Sibella, Sanaa Athmani, Pier Abadie, Igor Person, Shino Tsurutani, Kevin Witzenberger, Rebecca Papi, Claire Patoux, Lilou Jacquin, Elisa Blot (danseurs invités), Colin Laffon-Carré, Nina Ravonison-Nguyen, Matéïs Philippon, Daisy Gossene, Daphné Thiodat, Joséphine De Geloes D’Esloo, Manon Moulia, Carmen Ruiz Labadie (élèves du Conservatoire de Bordeaux Jacques Thibaud), Cyril Cosson (artiste de la figuration). Lundi 9 décembre 2024. À voir jusqu’au 31 décembre au Grand-Théâtre de Bordeaux.

 

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