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Magie Balanchine – Ballet du Capitole

En cette fin décembre au Ballet du Capitole, ce n’est pas le Père Noël que l’on attend, mais bien Mister B. Et pour cause : il y avait dix ans que la compagnie n’avait pas dansé d’œuvre de George Balanchine – depuis Le Fils Prodigue en 2014. Pour célébrer leurs retrouvailles, Beate Vollack, directrice de la compagnie depuis un an, a composé une soirée en trois pièces déclinant deux facettes du chorégraphe russo-étasunien : d’un côté, l’admirateur du ballet impérial pétersbourgeois ; de l’autre, le passionné de comédies musicales newyorkaises. Au programme : tutus et technique de pointe virtuose dans Thème et variations et Tchaïkovski Pas de deux, puis romantisme sur les airs jazzy de George Gershwin dans Who Cares?. Un véritable défi que la troupe toulousaine relève haut la main en alignant pour la première fois ses quatre Étoiles.

 

Thème et variations de George Balanchine – Ballet du Capitole

 

Qu’est-ce qui fait la « magie » des ballets de George Balanchine ? C’est la question que pose le Ballet du Capitole pour son programme de fin d’année, dédié au maître de la danse classique du XXe siècle. Lorsque le rideau se lève sur Thème et variations, ce sont d’abord le raffinement et la virtuosité qui enchantent. Dans cette pièce créée en 1947, le chorégraphe d’origine géorgienne aurait souhaité rendre hommage à Marius Petipa, son père spirituel en quelque sorte, et aux grandes heures du ballet impérial de Saint-Pétersbourg. Sans autre ornement que deux lustres de cristal et un fond bleuté, la danse s’y déploie en douze tableaux à géométries multiples, où le corps de ballet accompagne les variations d’un couple de solistes. Et quitte à mettre à l’honneur la technique classique, le chorégraphe glisse quelques références à des ballets du répertoire : une ligne de quatre danseuses se tenant par la taille évoque furtivement la Danse des petits cygnes dans Le Lac des cygnes, tandis que le premier pas de deux des solistes rappelle celui du Mariage d’Aurore dans La Belle au bois dormant. Ce dernier ballet est d’ailleurs cité à plusieurs reprises dans Thème et variation, jusque dans les tutus aux couleurs azurées et pastels tissés de dorures étincelantes. Si ces clins d’œil font les délices des ballettomanes qui se plaisent à les décrypter, la chorégraphie marque aussi l’alliance entre un vocabulaire dit classique et les touches de modernité de George Balanchine : pas parallèles, poses jazzy – dégagés appuyés ou ports de bras plongeants de côté – ou encore jeux d’épaulements.

Face au défi que représente ce ballet redoutable, le corps de ballet toulousain garde la tête haute. Malgré quelques fragilités apparentes le soir de la première, danseuses et danseurs entourent avec grâce le couple principal. À commencer par Kleber Rebello. Le demi-soliste s’est élancé avec vivacité dans les tours en l’air, la petite batterie et les pirouettes, dont la netteté a pu faiblir mais non faillir. Mais c’est surtout Natalia de Froberville qui brille dans ce ballet. Outre son travail de bras délicat et précis, son jeu de jambes ciselé et vif – notamment dans les fameux sauts de chat allongés, typiques de l’écriture du chorégraphe (voyez le « Pas De Balanchine » lancé Tomas Karlborg pendant un WorldBalletDay qui a depuis fait le tour des réseaux sociaux) – l’Étoile toulousaine embellit sa danse de lyrisme et de majesté. Le ballet construit en crescendo s’achève par une polonaise triomphante où les danseuses s’entrelacent telles des guirlandes scintillantes, puis quadrillent la scène avec leurs partenaires danseurs à l’unisson et en canon. Mêlant grands sauts, arabesques et pirouettes, ce dernier tableau offre un final somptueux au premier volet de la soirée.

 

Thème et variations de George Balanchine – Ballet du Capitole

 

Après le faste des variations, place à la romance allègre et virevoltante de Tchaïkovski Pas de deux. D’abord pièce rapportée d’une des premières versions du Lac des cygnes, la partition devient une pièce à part entière du répertoire de George Balanchine en 1960, quelques années après avoir été exhumée des archives en Russie. Ainsi en pleine Guerre froide, la chorégraphie dévoilée à New York s’inscrit dans la lignée du ballet impérial, revu et augmenté au prisme des innovations balanchiniennes. À l’instar de Thème et variations, elle ne développe pas d’argument précis, si ce n’est la joie candide qu’éprouvent un jeune homme et une jeune femme à s’accorder une danse. Suivant le schéma du pas de deux classique, le couple fait connaissance dans un grand adage, puis exhibe sa virtuosité dans une variation en solo, avant de se retrouver pour une coda brillante.

Comme souvent chez George Balanchine, la soliste femme est au centre de la chorégraphie, et c’est d’abord Nina Queiroz qui endosse ce premier rôle avec allant. Vêtue d’une légère robe fluide vert clair, la demi-soliste charme dès son entrée en scène par son expression pétillante. Les morceaux de bravoure lui donnent cependant plus de fil à retordre, notamment les déboulés et fouettés qui peuvent gagner en vélocité et en précision. Mais l’interprète ravit par sa qualité de gestes remarquablement gracieuse et aérienne. À ses côtés, l’Étoile Ramiro Gómez Samón se distingue surtout dans ses démonstrations techniques de haut vol, notamment ses tours à l’italienne. Il se révèle aussi un partenaire élégant et solide, soulignant les lignes de fuselées de la danseuse dans les portés poisson au ras du sol, ou son dos cambré dans l’élévation finale qui l’entraîne en coulisses.

 

Tchaïkovski Pas de deux de George Balanchine – Ballet du Capitole – Nina Queiroz et Ramiro Gómez Samón

 

Changement de décor après l’entracte : direction New York City avec Who Cares?. Pour ce ballet sans intrigue créé en 1970 sur dix-sept musiques de George Gershwin, George Balanchine revisite le vocabulaire classique dans le style jazzy des comédies musicales de Broadway – où il a également signé des chorégraphies. Si l’ambiance de ce troisième volet de la soirée est radicalement différente, la production du Ballet du Capitole cultive une certaine unité dans les détails : les danseuses troquent ainsi leurs tutus pour des jupettes fluides dans les mêmes tons pastel, du bleu au mauve, et sequins dorés. En toile de fond, la skyline de Manhattan se découpe non pas sur un bleu nuit, comme dans les productions étasuniennes du ballet (ou celle de l’Opéra de Paris l’année dernière), mais sur un gradient de mauve, rosé et orangé, qui oscille davantage entre le crépuscule et l’aurore. Si ce choix surprend, il évoque les couleurs du Casse-Noisette du chorégraphe russo-américain, traditionnellement donné à l’approche des fêtes de fin d’année.

Du ballet impérial au swing de Ginger Rogers, les danseuses de la troupe toulousaine font des débuts un peu timide. Mais les tableaux décollent lorsque les danseurs arrivent en bande joyeusement organisée, pleins d’entrain dans leurs gilets gris à rayures dorées. Les cinq duos suivants distillent sur scène un air de nonchalance malicieuse, tandis que leurs pas chassés, glissés, chaloupés et enlevés s’accordent aux rythmes entraînants de Gershwin. Dans la seconde moitié du ballet, resserrée autour de trois danseuses et un danseur, les jeux de séduction prennent des accents mélancoliques et font le jeu des deux autres Étoiles de la compagnie, Marlen Fuerte Castro et Jacopo Bellussi. Elle déploie des gestes sensuels sublimés par une musicalité véloce ; lui joue de charmes plus désinvoltes, à la hauteur de ses grands sauts. Leur maîtrise technique offre ainsi une splendide mise en relief de la partition jazz. Kayo Nakazato et Tiphaine Prévost, respectivement soliste et demi-soliste, complètent chacune harmonieusement le quatuor dans cette suite de soli et pas de deux. Finalement, c’est peut-être là le grand tour de magie de ce triptyque : en traversant plus d’un siècle d’histoire du ballet avec George Balanchine, le Ballet du Capitole révèle avec éclat ses ambitions d’excellence.

 

Who Cares? de George Balanchine – Ballet du Capitole

 

Magie Balanchine par le Ballet du Capitole. Thème et variations de George Balanchine, avec Natalia de Froberville et Kleber Rebello ; Tchaïkovski Pas de deux de George Balanchine, avec Nina Queiroz et Ramiro Gómez Samón ; Who Cares? de George Balanchine avec Haruka Tonooka et Eneko Amorós Zaragoza (‘S Wonderful), Sofia Caminiti et Jérémy Leydier (That Certain Feeling I), Solène Monnereau et Minoru Kaneko (That Certain Feeling II), Georgina Giovannoni et Aleksa Žikić (Do, Do, Do), Juliette Itou et Simon Catonnet (Lady Be Good), Marlen Fuerte Castro et Jacopo Bellussi (The Man I Love), Tiphaine Prévost (Stairway To Paradise), Kayo Nakazato et Jacopo Bellussi (Embraceable You), Marlen Fuerte Castro (Fascinatin’ Rhythm), Tiphaine Prévost et Jacopo Bellussi (Who Cares?), Kayo Nakazato (My One And Only) et Jacopo Bellussi (Liza). Vendredi 20 décembre 2024 au Théâtre du Capitole. À voir jusqu’au 31 décembre.

 
 
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