[Festival Flamenco de Nîmes 2025] Ballet Flamenco de Andalucía – Andrés Marín
Le Festival Flamenco de Nîmes est de ces rendez-vous à vous faire aimer la rentrée, par sa programmation excitante et son ambiance propice à la fête. Cette édition 2025 a été ouverte par deux spectacles fort différents, représentatifs quelque part de l’éclectisme du flamenco du XXIe siècle. Le Ballet Flamenco de Andalucía fait ainsi revivre l’icône à la liberté Mariana Pineda, dans une forme codifiée mais au propos profondément universel et à l’énergie contemporaine. Explosant au contraire les formes, Andrés Marín se livre comme jamais dans une performance puissante, au cœur du public.
Le ciel est bas, la nuit tombe bien trop tôt et les agapes des Fêtes commencent déjà à être loin. Face à la petite déprime de rentrée hivernale, le Festival Flamenco de Nîmes arrive toujours à point nommé. Début janvier, place ainsi à dix jours de danse flamenco, aux quatre coins de la ville, avec tous les grands noms de cet art à la fois ancestral et furieusement moderne. Pour ouvrir sa 35e édition, le festival a laissé la main au Ballet Flamenco de Andalucía, institution qui fait vivre depuis 30 ans la danse flamenco, pour sa nouvelle création Pineda – Romance Popular en tres estampas.
L’expression « Ballet flamenco » ne pourrait mieux définir ce spectacle, si l’on doit l’expliquer pour des néophytes de cette danse espagnole mais férus de ballets académiques. La technique flamenco est là pour raconter une histoire et faire vivre des émotions par ses solistes et son corps de ballet. On y retrouve des codes communs avec le ballet classique, comme sa structure autour de son héroïne et du couple principal, le personnage bien plus noir pouvant faire office de sorte de rôle de caractère, ses moments d’ensemble, ses scènes de jeu pour faire avancer l’action. Un-e Balletomane, même sans rien connaître du flamenco, se sentira ainsi en terre inconnue. Surtout que la chorégraphe et directrice de la compagnie Patricia Guerrero a l’art de raconter une histoire et de dessiner des personnages forts. Tout comme le talent de mêler les codes traditionnels du flamenco à une énergie plus contemporaine, plus brute parfois, qui va chercher une nouvelle dimension dans le travail du haut du corps, ou un ancrage au sol plus profond.
Peu connue en France, Mariana Pineda, qui inspire ce ballet, est une icône de la liberté en Espagne. Née au début du XIXe siècle à Grenade, mariée à 15 ans, mère à 16 ans et veuve à 18 ans, elle adhère à la cause libérale – les révolutionnaires espagnols si l’on doit être simpliste (que les historiens et historiennes me pardonnent). Lors d’une perquisition chez elle est retrouvé un drapeau sur lequel est brodé la devise « Égalité, liberté et loi », ce qui suffit à la condamner à mort : Mariana Pineda est exécutée le 26 mai 1831, à l’âge de 26 ans. Et elle devient après sa mort un symbole populaire de la défense des libertés. Presque un siècle plus tard, l’écrivain espagnol Federico García Lorca en fait l’héroïne de sa pièce de théâtre éponyme. Dont s’est inspirée à son tour Patricia Guerrero pour Pineda – Romance Popular en tres estampas, alors qu’elle venait de prendre la tête du Ballet Flamenco de Andalucía.
Bien sûr, les connaisseurs et connaisseuses de l’histoire espagnole, tout comme les lecteurs et lectrices de Federico García Lorca, suivront avec passion le portrait de cette révolutionnaire, passionnée, vibrante, une « femme aux profondes racines espagnoles qui chante à l’amour et à la liberté » selon les mots de la chorégraphe. Mais nul besoin d’être connaisseur pour plonger dans cette œuvre foisonnante et vibrante. L’amour, la peur, la solidarité, la puissance du collectif sont des sentiments universels et les artistes de la compagnie savent à merveille les porter. Leur flamenco prend toutes les couleurs de l’âme humaine, crie sa joie, devient noir et sombre, dessine la colère, la trahison comme l’amour. Tout comme la danseuse principale qui porte haut et fort une figure de femme puissante et profondément rebelle. Patricia Guerrero propose ainsi une pièce puissante, féministe bien sûr, portée par une danse flamenco profondément moderne.
En préambule était proposé tout autre chose – belle image aussi du foisonnement des formes du flamenco aujourd’hui – avec la performance Un aire de signos de Andrés Marín. Rendez-vous dans le hall du Carré des Arts, vaste espace dominé par un imposant escalier de verre, devant lequel nous sommes invités à nous disposer en cercle. De cet escalier descend le musicien Alfonso Padilla, qui entonne avec son saxophone soprano la célèbre Toccata et fugue en ré mineur de Bach. Puis surgit le danseur Andrés Marín, dans un drôle d’accoutrement – chaussures de flamenco sur de grandes chaussettes façon cuissardes, kimono noir sur les épaules, éventail rouge dans la main et masque sur le visage. Le danseur a voulu mêler deux énergies et deux grandes figures de la danse : celle du butō de Kazuo Ohno et le flamenco de La Argentine. L’on serait tenté d’essayer de repérer, au fil de la performance de 30 minutes, dans laquelle Andrés Marín ne cesse de danser, les références et inspirations. Mais qu’importe finalement. Il n’y a qu’à profiter. D’une danse fulgurante au son du saxophoniste qui traverse différentes époques musicales. D’un artiste qui se met à nu, se livre comme une bataille, combat ou se fait plus enjôleur. Du plaisir de voir d’aussi près un si grand artiste à l’œuvre, sentir le sol vibrer sous ses frappes comme l’air en mouvement lorsque lui-même s’amuse de cette proximité et vient frôler le public. Sous son accoutrement, Andrés Marín propose une danse singulière, entière, passionnée. Unique. Un moment à couper le souffle.
Festival Flamenco de Nîmes
Pineda – Romance Popular en tres estampas de Patricia Guerrero par le Ballet Flamenco de Andalucía. Avec Alfonso Losa (artiste invité), Agustín Barajas, Álvaro Aguilera, Ángel Fariña, Araceli Muñoz, Blanca Lorente, Claudia “La Debla”, Cristina Soler, David Vargas, Hugo Aguilar, Jasiel Nahin, Lucía “La Bronce”, María Carrasco et Sofía Suárez, Amparo Lagares et Manuel de Gines (chant), Jesús Rodríguez et José Luis Medina (guitares) et David Chupete (percussions). Jeudi 9 janvier 2025 au Théâtre de Nîmes.
Un aire de signos de Andrés Marín, avec Andrés Marín (danse) et Alfonso Padilla (saxophone). Jeudi 9 janvier 2025 dans le hall du Carré d’Art.