La véritable histoire de La Belle au bois dormant
Tout le monde connaît l’histoire du conte La Belle au bois dormant. Mais connaissez-vous bien celle du ballet, et plus particulièrement celle de la version de Rudolf Noureev ? Alors que ce spectacle a été repris à Paris et a gavé de sucreries tous les danse addicts du pays, gros plan sur la véritable trame de ce spectacle, plus subtile qu’il n’y paraît (et surtout remplie de joyeuses incohérences).
Il était une fois… un Roi et une Reine qui avaient quelques oublis concernant l’étiquette et les convenances. Lorsque l’on organise un mariage, un baptême ou tout autre événement familial, il y a des gens que l’on n’a pas forcément envie de voir mais que l’on est bien obligé d’inviter. Parce que c’est comme ça, parce que c’est la famille, parce que quand on a une couronne sur la tête, on ne fait pas complètement ce que l’on veut (demandez à Kate). Dans ce royaume, il y avait huit Fées, dont l’une dont on disait pudiquement « qu’elle avait mal tourné« . Utilisation de magie noire, soutien aux Sans-culottes, l’histoire ne le dit pas. Quoi qu’il en soit, cette Fée, qui s’appelait Carabosse, n’était pas la bienvenue.
Lorsqu’il a fallu organiser le baptême de leur fille Aurore, le Roi et la Reine – en dépit des convenances – ont donc décidé de ne pas l’inviter. Et ont pris l’excuse qu’ils avaient « oublié« . Certes, l’argument de l’invitation qui se perd à la Poste, ça ne marche pas très bien avec une fée. Mais le coup de l’oubli, tout de même, c’est un peu facile. L’ambiance de la fête est assez luxuriante, entre empire russe et cour de Louis XIV, un subtil mélange de dorure, de marbre et de rose bonbon (le tout sponsorisé par Ladurée ?). Je soupçonne ce Roi et cette Reine d’être un tant soit peu tape-à-l’oeil. Mais tout le monde est là, vêtu des plus beaux tutus pour ces dames et des plus bizarres perruques pour ces messieurs.
Les sept Fées qui sont restées dans le droit chemin sont présentes, pour donner des cadeaux à la nouvelle-née. Chacune fait sa petite variation, se fait applaudir par le public et donne son cadeau. Ce qui donne dans l’ordre : la candeur, la beauté, la prospérité, la voix, la générosité et la sagesse (la beauté avait besoin de deux Fées à elle toute-seule, on voit tout de suite où sont les priorités). Personne donc pour donner à Aurore un peu d’intelligence et de jugeote, et c’est bien dommage parce que ça aurait pu lui servir pour la suite.
Tout le monde danse joyeusement ensemble avec des guirlandes de fleurs dans les mains, quand tout à coup la fée « qui a mal tourné« ‘ apparaît. Et légèrement vexée de ne pas avoir été conviée à la plus grande teuf du royaume depuis une bonne vingtaine d’années. Comme c’est une méchante, forcément, dès qu’elle arrive, la musique passe en mineur, les lumières se font sombres et tout le monde a peur. Pour se venger de cet « oubli » d’invitation, Carabosse annonce qu’Aurore, à 16 ans, se piquera le doigt avec un rouet et en mourra. Visiblement, Aurore avait déjà été diagnostiquée hémophile parce que tout le monde panique et se met à pleurer.
Heureusement, la dernière des Fées, la Fée Lilas, a eu du mal à garer son carrosse. Elle est donc arrivée en retard. Lilas, c’est la gentille : elle est habillée comme Carabosse, sauf que quand elle arrive, la musique est majeure et les spots allumés plein pot. Et qu’elle a une perruque blanche et non pas noire comme sa soeur cachée (mais visiblement, elles vont chez le même maquilleur). Se pointant comme une fleur (d’où son nom), Lilas fait oublier son retard en réparant la faute : Aurore se piquera bien mais ne sera endormie que pour 100 ans. Quel soulagement n’est-ce pas ? Le Roi et la Reine sont en tout cas ravis. Aurore s’endort en pleine puberté, elle se réveille une fois adulte et les parents n’ont pas droit à la crise d’ado. Tout le monde est gagnant.
Après ce long prologue (aussi long à écrire qu’à danser, c’est dire), petite avance rapide. Aurore a maintenant 16 ans et c’est son anniversaire. Je passe sur les trois pauvres filles qui ont commis l’horrible crime de se servir d’un rouet, condamnable de décapitation dans ce charmant royaume. Allons directement au fait intéressant de l’acte 1 : l’anniversaire d’Aurore, attendu très impatiemment par la principale intéressée.
La puberté, pour la plupart, ce n’est pas forcément très glorieux. Mais la vie étant injuste, il y a un tout petit pourcentage de gens pour qui tout se passe très bien : pas un bouton et une popularité au top. Aurore fait partie de cette catégorie de jeunes filles enviées. Si elle avait vécu au XXIe siècle, elle serait cheffe des pom-pom girls, aurait été élue reine du bal de promo et serait sortie avec le capitaine de l’équipe de football du lycée. À son époque, elle est juste sublime et est saluée par la foule entière (tous ceux qui sont sur scène et tous ceux qui sont dans la salle) dès qu’elle apparaît pour souffler ses 16 bougies.
Comme toutes les pom-pom girls, Aurore n’a qu’un but dans la vie : plaire à un maximum de garçons (en même temps, vu les cadeaux des Fées, on se doute que ce n’est pas être majore de l’ENA). Ça tombe bien : son père le Roi lui a offert pour son anniversaire quatre beaux jeunes hommes sur un plateau (la façon d’éduquer les enfants dans La Belle au bois dormant, on en parle ?). Aurore entame un long passage « Sois belle et tais-toi » (« Souffre sans descendre de tes pointes pendant 10 minutes tout en ayant l’air rayonnante ») pour faire la connaissance avec les quatre princes, et décider au final qu’aucun n’est assez bien pour elle (les cheffes des pom-pom girls sont en général pourries gâtées, on ne se refait pas).
Mettre un gros vent aux quatre plus beaux partis du monde ne dérange pas Aurore plus que ça, elle continue de virevolter sous les acclamations de la foule (bonjours l’ego) (elle va finir comme Britney Spears si ça continue comme ça). Surtout, elle ne s’aperçoit pas du danger. Une vieille femme moche et mal habillée dans une cour pleine de gens riches et perlés d’or, cela devrait inspirer la méfiance. Mais comme Aurore n’a pas reçu la Jugeote comme cadeau de baptême, elle ne se méfie pas, se jette presque dans les bras de la vieille mal fagotée, prend son bouquet de fleurs et le respire à pleins poumons.
Et là, c’est le drame. Vous l’aurez compris (le public a en général plus de clairvoyance que les personnages du ballet), la vieille était en fait Carabosse qui avait dissimulé une aiguille dans le bouquet. Aurore se pique, Aurore s’effondre (qui a dit « Bon débarras » chez ses copines jalouses ?), tout le monde panique. Les quatre princes se ruent sur Carabosse mais se font tous embrocher. La Belle, c’est comme dans la série 24 : Jack Bauer s’en sort toujours même quand il est poursuivi par dix tueurs à gages, car pour des raisons mystérieuses, lui tire toujours juste et ses assaillants (pourtant sur-entraînés) toujours à côté.
La Fée Lilas, qui décidément arrive toujours après la bataille (mais à quoi sert-elle exactement si elle n’est jamais là au bon moment ?) se ramène avec sa grande robe à crinoline pour chasser Carabosse et endormir tout le monde. Dommage, elle oublie en passant de se débarrasser des cadavres des quatre princes, ça ne va pas sentir la rose durant ces 100 prochaines années. Aurore est portée sur un lit au centre de la pièce (il ne faudrait pas qu’elle soit non plus trop perturbée durant son sommeil en finissant au deuxième rang), tout le monde s’endort… Chut.
100 ans plus tard, le rideau s’ouvre sur une forêt pimpante avec plein de ducs et duchesses qui dansent le menuet dans la clairière. Pas très pratique pour les chaussures à talons, mais tout le monde tape des mains en cadence avec beaucoup d’élégance et sans se soucier de la gadoue (quand on n’a pas à faire tourner les machines à laver, tout de suite, c’est plus simple). Désiré arrive, tout perturbé. Il est en pleine période existentielle. Il ne sait pas ce qu’il veut faire de sa vie et cherche sans savoir quoi. Au XXIe siècle, il aurait fait un burn-out pendant sa prépa en déclarant qu’il veut finalement élever des chèvres dans le Larzac. Pour tenter d’y voir plus clair, Désiré se promène longuement dans la forêt avec le regard perdu dans le vague. Le contact avec la nature est diablement efficace puisqu’il voit apparaître en songe Aurore en mode nymphe des bois insaisissable, entourée de quelques copines dans le même trip. Ahh, les baies inconnues des forêts qui savent vous emmener si loin… C’est le temps du rêve space, sans lequel un ballet ne saurait exister. Désiré part ensuite avec la Fée Lilas dans une barque qui avance sans conducteur dans une mer de fumée pour arriver au palais.
En général, dans les contes, le Prince doit un minimum montrer sa force et son courage. Tuer un dragon, par exemple, pour accéder à sa princesse, ça fait son petit effet. Dans cette version, rien du tout. Désiré n’a même pas à ouvrir les portes du château, c’est Lilas qui s’en occupe (il fallait bien qu’elle serve quelque chose, déjà qu’elle arrive tout le temps en retard) et qui en profite pour chasser Carabosse et ses monstres. Désiré n’a en fait qu’une mission : trouver Aurore. Qui, on le rappelle, trône au milieu de la pièce. Mais il lui faut tout de même cinq bonnes minutes pour la trouver au milieu des courtisan-e-s endormi-e-s (à noter que les cadavres des quatre princes, eux, ont disparu). Désiré doit être un peu myope, il faut l’excuser. Quand enfin (enfin!) il la trouve, c’est le choc. Il se penche, il l’embrasse…. Et ni une ni deux Aurore retrouve toute sa vie, se réveille, n’a même pas la tête qui tourne et demande à son père d’épouser le valeureux (!) Prince Désiré.
Troisième acte, c’est le temps du couple victorieux Aurore et Désiré, enfin adultes. Fini les questions existentielles, fini l’envie de dormir propre à tout ado mou, place à l’amour triomphant. C’est en fait surtout le temps de l’aristocratie victorieuse. Le Roi et la Reine ont voulu en mettre plein la vue pour ce mariage, ils ont sorti l’artillerie lourde : dorures partout, colonnes sculptées dégoulinantes, robes immenses et grosses perruques poudrées. Tendance bling-bling décidément. Les costumes sont un peu différents de ceux du premier acte, évoquant plus Marie-Antoinette à son apogée. Forcément, tout le monde vient de dormir 100 ans, la mode a un peu évolué entre-temps. Un ballet peut avoir toutes les incohérences du monde, mais quand ça parle fashion, ça ne plaisante plus.
Aurore et Désiré aimant se faire attendre (les 100 de sommeil n’ont visiblement pas calmé l’ego encombrant de la Belle), les invités prennent place dans la danse. Ce qui permet de s’interroger sur le choix des convives. La Fée « qui a mal tournée » n’a pas le droit de paraître. Mais deux chats visiblement en chaleur qui vont mettre des poils partout sur les rideaux ont par contre droit au tapis rouge. Et encore, la version de Noureev, c’est soft. Dans la plupart des autres productions, ce sont tous les héros des contes de fées qui se ramènent, le petit chaperon rouge en tête (ohh de la lumière, ohhh de la free-food… Pas mieux que les membres de l’AROP au Prix de la Danse).
Aurore et Désiré arrivent enfin, accueillis comme les stars qu’ils sont. Après un pas de deux on ne peut plus triomphant, tout le monde se rejoint pour une dernière danse sous les ors de ce mélange cour Louis XVI/Tzar de toutes les Russies. Là encore, Noureev l’a joué humilité en supprimant la dernière marche ultra victorieuse-aristocratique qui clôt la partition. Il paraît qu’il avait peur que ça fasse un peu too much. Peut-être aurait-il fallu se poser la question dès les perruques du premier acte.
Rhadamisthe
Personnellement, j’en veux toujours à Noureev d’avoir supprimé la fin de la partition, qui est très belle : c’est un arrangement d’une vieille chanson française, “Vive Henri IV” (une incohérence de plus, d’ailleurs), que Tchaïkovski (après Rossini dans ‘Il viaggio à Reims’) a vraiment magnifié.
Votre billet est très amusant, merci ! J’ai bien ri (« … majore de l’ENA … »).
Fanny
Hahaha j’ai bien ri merci pour ce billet ^^
(et pour le too much du ballet, il suffit d’être allée voir la retransmission du Bolchoï pour trouver la version de Noureev d’une magnifique sobriété 😉 )
Yasmine
Petite question: Qu’est censé représenter l’Oiseau bleu? Est-ce qu’il faut le mettre dans la même « catégorie » que les chats, ou bien il y a une autre signification?
En tout cas merci pour toutes ces infos sur l’actu de la danse, ça nous permet de suivre tout ce qui se passe à Paris depuis notre campagne ^^ Et en plus vous faites cela avec beaucoup d’humour et de franchise! Alors merci encore 🙂
Mabesoone
Tres drôle !… Apres a voir joue moi-meme le roi Florestan XIV pour l’ecole de danse de ma fille, j’ai aussi ressenti le besoin d’ecrire une adaptation de La Belle au XXIe siecle… Cette fois, le bois du chateau (de Chambord) est interdit pour cent ans a la suite d’un accident nucléaire. Ce conte de Perrault, c’est aussi une lecon d’humanite : même un roi n’est plus qu’un papa désespere quand il manque de perdre sa fille…?
Joelle
Très drôle et très bien écrit, comme toujours !!!
Estelle
Délicieux cet article. Il se lit sans faim !
Sissi
Toujours aussi drôle et bien trouvé !