Illusions perdues par le Ballet du Bolchoï – Evgenia Obraztsova et David Hallberg
La dernière tournée du Bolchoï à Paris, en 2011, avait laissé un souvenir étourdissant. Entre Don Quichotte et Flammes de Paris, la troupe avait fait exulter le public de Garnier par sa fougue et son panache. Le retour de la compagnie russe en 2014 était donc très attendu. C’est pourtant un tout autre répertoire que le Bolchoï a présenté, en choisissant Illusions perdues d’Alexeï Ratmansky.
Alexeï Ratmansky, c’est un peu le wonder boy de la chorégraphie aujourd’hui. Toutes les troupes du monde se l’arrachant pour l’une de ses créations s’appuyant sur le langage classique, revenu à la mode. Il faut dire qu’il sait y faire pour raconter une histoire, mettre les choses en place sur scène et proposer un ensemble d’un parfait bon goût, sûr de plaire au public.
Illusions perdues est parfaitement dans cette lignée, avec de jolis clins d’oeil au théâtre et à l’Opéra de Paris, toujours appelé à Moscou le Grand Opéra. Alexeï Ratmansky a retravaillé un ballet soviétique créé dans les années 1930, inspiré du roman de Balzac du même nom. Il en a gardé le livret, les personnages, la trame, changeant la musique (musique au passage parfaitement oubliable, mais bien moins pénible que ne le laissaient entrevoir les commentaires Twitter. Une sorte de sous-inspiration Tchaikovsky-Ravelo-Stravinskiesque). Lucien devient un musicien en quête de gloire, dans le Paris du XIXe siècle. Il rencontre Coralie dont il devient amoureux, une danseuse de la compagnie, grâce à qui il compose la musique du ballet La Sylphide. Mais la gloire et l’argent lui montent à la tête. Il tombe sous le charme de Florine, la flamboyante danseuse concurrente de Coralie. Piégé, Lucien finit par tout perdre, même son amour pour Coralie.
Illusions perdues retrace les aventures de Lucien de la façon la plus linéaire possible. Tout est bien fait pour suivre l’histoire, tout est bien mis en place. Les costumes sont jolis, les décors réalistes et poétiques, rien ne vient gêner le regard. Les scènes de groupe sous les toits de l’Opéra succèdent à des pas de deux amoureux ou des confrontations. Tous les ingrédients pour une charmante histoire sont là. Manque une chose, pourtant si importante : la surprise. Alexeï Ratmansky semble avoir une recette idéale pour plaire au public, recette dont il ne dévie surtout pas. Tout est ainsi trop attendu et trop propre-sur-soi pour vraiment se passionner à ce que l’on voit (même si l’ensemble se regarde sans déplaisir). Cet esprit sage persiste dans la chorégraphie, qui manque de points culminants, de grands pas de deux ou de variations mémorables.
Pourtant, Illusions perdues garde un certain charme car truffé de références à l’histoire de la danse. Coralie et Florine font ainsi respectivement penser aux deux grandes ballerines du XIXe siècle, respectivement Marie Taglioni la romantique et Fanny Elssler la joyeuse virtuose. Et chacune a droit à son « ballet dans le ballet », la création de La Sylphide pour l’une et une sorte de Paquita pour l’autre. Et c’est dans le premier qu’Alexeï Ratmansky déploie véritablement son talent de conteur. C’est déjà un point de vue, le ballet vu d’un coin qui coulisses, qui surprend. Et c’est petit à petit la réalité qui se fond avec le rêve. La trame purement narrative s’arrête pour arriver à quelque chose de plus poétique, de plus romantique, de plus surprenant. Lucien se retrouve en James dans cette quête de l’amour idéal. Va-t-il lui aussi perdre sa bien-aimée ? La scène est d’autant plus intéressante qu’elle est portée par David Hallberg et Evgenia Obraztsova, deux artistes à la grande force théâtrale.
Ce couple sait décidément tenir une scène. Au-delà de leurs précisions techniques et de leur amplitude, ils vivent tous les deux leur personnage jusqu’au bout, avec un profond engagement. Et toute la troupe est sur la même longueur d’onde. Ekaterina Krysanova joue ainsi une flamboyante Florine, claquant crânement une série de fouettés sur une table (exercice d’autant plus périlleux qu’avec sa robe qui tourne, elle ne voit pas les bords de la table). Sergeï Minakov et Alexandr Fadeechev sont deux parfaits riches et vicieux protecteurs de danseuses. Toute personne sur scène, de façon générale, est intensément présente. La compagnie n’y démontre pas son panache technique, comme il y a trois ans avec Don Quichotte, mais fait preuve comme toujours d’une forte cohésion et d’un investissement de tous les instants.
Ce sont donc surtout ces interprètes qui font la valeur d’Illusions perdues. En soi, le ballet n’a rien d’original (comme l’impression de voir Les Enfants du Paradis dans les décors de La Petite danseuse de Degas, deux ballets pas vraiment novateurs non plus). Mais ces danseurs et danseuses arrivent à lui donner un certain charme. On comprend aussi pourquoi Alexeï Ratmansky est autant demandé. Il sait raconter une histoire, il sait mettre en scène, il aime rendre hommage à la danse classique et à son histoire. Ne manque que la prise de risque.
Illusions perdues d’Alexeï Ratmansky par le Ballet du Bolchoï, au Palais Garnier. Avec David Hallberg (Lucien), Evgenia Obraztsova (Coralie), Ekaterina Krysanova (Florine), Artem Ovcharenko (Premier danseur), Sergeï Minakov (Camusot), Alexandr Fadeechev (le Duc) et Denis Medvedev (le Maître de ballet).
Pink Lady
On devrait lancer un quizz pour savoir qui a reconnu quel ballet dans le 2e pastiche : Paquita pour toi, Marco Spada chez Dansomanie, moi j’avais cru y voir le Corsaire…
Sinon je ne sais pas comme vous faites pour voir du Tchaikovsky, du Ravel et du Stravinsky dans cette partition. Je n’y entends pour ma part qu’un mélange de sons assez discordants, qui plombe vraiment le ballet, et c’est bien dommage…
Joël
À propos du deuxième ballet, j’ai aussi pensé que c’était Le Corsaire (mais j’ai une excuse, n’ayant jamais vu ce ballet !).
De mon côté, j’ai plutôt aimé la musique, mais il y a trop souvent un côté ironique qui s’y insinue de façon pas très fine, malheureusement…
Agathe
Moi j’y ai vu Don Quichotte 🙂
Rousskaia
J’ai vu cette distribution hier et, si ce sont de très bons danseurs, cette chorégraphie les sous-emploie complètement ce qui est plus que frustrant. Il y a presque plus de pantomime que de danse à certains moments. Par exemple, à la scène finale on attend presque désespéré (en tout cas moi c’était le cas) un vrai morceau de bravoure avec des prises de risque, un peu à la Manfred et à la place on n’a… rien.
J’ai été vraiment déçue de ce ballet, je me suis profondément ennuyée, et tout comme Pink Lady j’ai eu l’impression qu’à chaque mouvement il y avait un instrument en trop qui rendait l’ensemble complètement discordant. J’étais déjà sortie de Persée assez énervée par la mièvrerie de ce chorégraphe, je lui laissais là une 2nde chance de me convaincre et bien je ne pense pas qu’il y en aura une troisième… Le fait que Benjamin Millepied apprécie son travail n’a rien pour me rassurer concernant les saisons à venir… J’espère qu’on me fera changer d’avis.
Question subsidiaire, A. Ratmansky a-t-il une obsession avec les animaux? Parce que là le bonnet lapin et le costume de dragounet après celui du mouton dans Persée me laissent perplexe…