Giselle – Roberta Marquez et Steven McRae [Royal Ballet de Londres]
Giselle fait partie de ces ballets intemporels, aux rites à la fois immuables et pourtant si changeant au fil des représentations et des distributions. Giselle, on pense le connaître par coeur. Et puis il suffit de voir ce ballet par une autre troupe, dans une autre salle, et voilà que l’on redécouvre ce chef-d’oeuvre.
La Giselle du Royal Ballet de Londres est d’une facture on ne peut plus classique. Un paysage champêtre au premier acte (et qui accentue la différence sociale entre les deux personnages, la maison de Giselle étant une masure au toit de branches), un joli pas de six, des costumes pittoresques et une vingtaine de Willis parfaitement alignées. C’est dans le jeu théâtral que se démarque la troupe, jeu présent chez chacun des artistes en scène. Le mot « pantomime » prend ici tout son sens, avec une grande force dramatique – et presque tragique.
Roberta Marquez incarne une Giselle très premier degré au premier acte, mais qui ne manque pas de charme. Un peu naïve, très fleur bleue, elle ne peut que tomber sous le charme du prince allumeur pas vraiment habitué au refus. Ce type de Giselle pourrait être assez vite usant, trop terre-à-terre, presque un peu cruche. Mais le personnage prend tout son sens grâce au dialogue qui s’instaure avec Steven McRae (Albrecht). Celui-ci est aux multiples nuances. Jeune homme pourri-gâté, il est clairement là dans l’idée de séduire une jeune paysanne, naïf lui aussi de ne pas penser aux conséquences, mais véritablement pétri de remords lorsque les choses tournent mal. Le partenariat des deux fonctionne, racontant une histoire sans ambivalence, sans surprise non plus pour quelqu’un ayant déjà vu le ballet, mais néanmoins vivante et captivante.
Ce premier acte est ainsi tout en contrastes. Les variations de Roberta Marquez, le pas de six, le corps de ballet, tous ont une danse charmante et expressive. Les petites batteries sont passées un peu en force pour un regard français, mais les sauts ont plus d’ampleur, plus de vivacité. L’Étoile montre un travail de bras particulière soignée, qui sied bien à sa Giselle. Mais l’ambiance champêtre tourne vite à l’orage, notamment avec la saisissante pantomime de Berthe (Kristen McNally). Ce n’est plus une simple mère qui met sa fille en garde, mais véritablement l’Oracle qui menace la jeunesse insouciante. La scène de la folie est l’apogée de cette tension dramatique. En quelques secondes, Roberta Marquez change de visage. Le regard se fait noir, le geste plus sec. Giselle est possédée, avant de s’écrouler.
Le deuxième acte repose sur ces mêmes qualités expressives. Les Willis ne sont pas véritablement aériennes dans leur danse, il y a assez peu de différences dans leur façon de danser par rapport au premier acte. Mais les danseuses font vivre ces êtres de la forêt grâce à leur jeu théâtral. Elles sont ainsi moins éthérées dans le mouvement, mais plus changeante dans leur façon d’être. Soumises face à Myrtha, elles se transforment en véritables personnages démoniaques lors de la mise à mort d’Hilarion, proprement terrifiante.
Claudia Dean ne dépareille pas en Myrtha. Ses sauts ont une superbe ampleur, mais paraissent un peu trop forts pour incarner la reine des Willis. C’est par son jeu qu’elle marque les esprits. Froide, sans pitié, meneuse, elle incarne toutes les femmes blessées. La confrontation avec Giselle n’en est que plus marquée. Roberta Marquez n’a pas choisi d’être une Giselle hors du temps. Elle est dramatique, tragédienne, amoureuse passionnément. Ne sommes-nous pas après tout dans un ballet romantique, où les sentiments sont exacerbés ? La froideur de l’une face à l’emportement de l’autre fonctionne parfaitement. Entre les deux, Steven McRae joue un Albrecht rempli de remords, et véritablement à bout de souffle lors de la scène finale, marquant la fatigue et le désespoir jusqu’au bout (le tout entre de superbes séries d’entrechats, voilà un danseur que j’aimerais bien voir dans Don Quichotte).
Mais l’horloge sonne, le jour se lève, les Willis s’en vont. Ne reste qu’Albrecht sur le sol, se demandant s’il n’a pas rêvé, ramassant une fleur-souvenir. Et dans l’air comme un parfum, celui des ballets intemporels qui ont toujours tant de choses à raconter.
Giselle de Marius Petitpa (d’après Jean Coralli et Jules Perrot), par le Royal Ballet de Londres, au Royal Opera House. Avec Roberta Marquez (Giselle), Steven McRae (Albrecht), Johannes Stephan (Hipparion), Claudia Dean (Myrtha), Kristen McNally (Berthe) et Bennet Gartside (Wilfred). Samedi 18 janvier 2014.
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Tellement hâte d’y être 🙂