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Soirée Roland Petit, ou l’art de raconter des histoires

Soirée Roland Petit par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Vendredi 15 mars 2013.

Trois ballets : Le Rendez-vous, avec Nicolas Le Riche (je Jeune homme), Isabelle Ciaravola (La Plus belle fille du monde), Stéphane Phavorin (le Destin) et Hugo Vigliotti (le Bossu) ; Le Loup, avec Laëtitia Pujol (la Jeune fille), Benjamin Pech (le Loup), Valentine Colansante (la Bohémienne) et Christophe Duquenne (le Jeune homme) ; Carmen, avec Stéphane Bullion (Don José), Ludmila Pagliero (Carmen), Guillaume Charlot (Escamillo), Caroline Bance, Allister Madin et Maxime Thomas (les Chef-fe-s des brigands). 

Carmen - Stéphane Bullion et Ludmila Pagliero

Carmen – Stéphane Bullion et Ludmila Pagliero

Avec cette soirée, le Ballet de l’Opéra de Paris salue la mémoire de Roland Petit, décédé le 10 juillet 2011. Je ne sais pas si ce programme rend vraiment hommage à son génie chorégraphique. À vrai dire, si l’on parle uniquement de danse, il est difficile à l’issue de ces trois ballets de définir vraiment ce qu’est le « style Roland Petit ». Du néo-classique un peu déjà-vu, un peu facile, qui en soit ne marque pas tant que ça. Pourtant, cette soirée est un des plus beaux hommages que l’on pouvait faire à Roland Petit, car au-delà de sa danse, elle salue surtout son immense talent à raconter des histoires.

Les trois ballets présentés sont des contes aux parfums très différents, même si les fins se rejoignent (dans un bain de sang). Ce sont des personnages, des ambiances,  des lieux où flottent un petit air de magie et de tragédie. C’est un livre que l’on ouvre, surprise, que va-t-on y trouver ?

Lorsque l’on voit pour la première fois Le Rendez-vous, l’on est happé. Voici le vieux Paris, celui de de Picasso, Kosma, Prévert et Brassaï. Lorsque l’on voit ce ballet pour la quatrième fois en deux ans, à vrai dire, le manque d’effet de surprise coupe un peu la magie. La chorégraphie est archi-simple, l’on en a vite fait le tour. Alors on se rattrape sur les décors, sur l’ambiance, sur la vingtaines de personnages bien dessinés, sur le sens de la théâtralité des danseurs et danseuses sur scène. Il en faudrait peu pour que l’on soit dans un Paris pour touristes, mais un parfum sombre, inquiétant, nous fait bien rappeler que nous ne sommes pas dans un conte de fées.

Le Rendez-vous - Nicolas Le Riche et Isabelle Ciaravola

Le Rendez-vous – Nicolas Le Riche et Isabelle Ciaravola

Entre deux enfants qui s’aiment, une marchande de fleurs et un bossu enthousiaste (Hugo Vigliotti encore mieux qu’il y a deux ans) il y a un jeune homme rêveur. Il s’agit de Nicolas Le Riche. Il a 41 ans, il a tout dansé. Mais sur scène, il a la juvénilité d’un garçon de 20 ans et la fraîcheur de quelqu’un qui y monte pour la première fois. Sa danse est un morceau de poésie, un moment de grâce et de léger bonheur. L’inquiétante présence de Stéphane Phavorin en Destin n’en rend l’ambiance de ce Rendez-vous que plus étrange. Et dès qu’Isabelle Ciaravola surgit, venimeuse et mystérieuse jusqu’au bout de ses (longues) jambes, on se doute bien que tout cela va mal finir. Le coup de couteau est un moment de désespoir, la vie rattrapera toujours les gens au coeur léger.

Je suis lyrique pour décrire ce ballet. Mais je suis toujours fascinée par sa totale simplicité qui arrive à procurer autant d’émotion. Quand on parlait plus haut du talent à raconter des histoires, on est en plein dedans.

Le Loup souffre un peu de la comparaison. Ce n’est ni une question d’ambiance (une campagne chatoyante), ni de personnages. Le côté Ballet Russe de l’affaire a peut-être un peu ma vieilli, mais c’est surtout un problème d’intensité. Ou de théâtralité.  A vrai dire, les premières scène sont plutôt sympathiques. Sur la place d’un village, une jeune fille s’en va se marier. On fait la fête devant un magicien et une bohémienne, et le fiancé peut même faire rire à courir après la tzigane. Mais la dimension tragique a un peu de mal à s’installer.

Laëtitia Pujol est une Jeune fille au coeur du drame, amoureuse et héroïne. Ses comparses sont un peu plus tiédasses. Valentine Colasante manque de sensualité et de mordant en bohémienne, Christophe Duquenne est dragueur-mais-pas-trop, et surtout Benjamin Pech semble être un loup un peu fatigué, sans grande sauvagerie ou d’intérêt vis-à-vis de la jeune fille. C’est un peu comme si tous les personnages n’étaient qu’esquissés, se contentant d’un coup de crayon pour se définir.

Le Loup - Laëtitia Pujol et Benjamin Pech

Le Loup – Laëtitia Pujol et Benjamin Pech

Alors malgré l’investissement de Laëtitia Pujol, on peine à croire à ce couple, qui a du mal à faire vivre le long pas de deux. Pour le reste, on se raccroche au corps de ballet plutôt incisif et aux effets de mise en scène qui savent tout de même installer une certaine tension dramatique.

Et pour finir, Carmen. Ahh, Carmen. Voilà une impression étrange. Je n’ai jamais vu ce ballet sur scène, mais à force de voir des vidéos et des variations lors des concours de promotion, j’ai tout de même l’impression de le connaître pas coeur.

Ludmila Pagliero campe dès son entrée une très intéressante Carmen. Sa technique affûtée fait merveille dans ce rôle très difficile, virtuose, où il faut en même temps faire preuve d’un certain style. J’ai toujours trouvé cette danseuse un peu fade, sans grand éclat. Mais pour ce soir, elle a le mordant de Carmen, sa force, son envie de jouer. Et la perruque courte lui va plutôt bien. Stéphane Bullion aussi met beaucoup de tempérament dans son Don José. On ne va pas lui demander de faire sa variation avec la précision de Baryshnikov, mais il apporte à son personnage une certaine noirceur intéressante. Il est un Don José un peu désabusé, gentil sur le fond, pas provocateur, qui tombe sans même s’en apercevoir dans la folie meurtrière.

Carmen - Stéphane Bullion

Carmen – Stéphane Bullion

Alors voilà, on a deux personnages principaux pas mal du tout, mais l’alchimie entre eux pourtant ne prend pas. Et je ne saurais trop dire pourquoi. Mais il manquait à cette histoire de Carmen un goût de passion et de sensualité. Seule la fin l’apportera, mais bien plus grâce à la mise en scène implacable de Roland Petit (cette façon de raconter les histoires décidément), cette corrida entre les deux protagonistes, leurs ombres dansant sur les murs aux sons de percussions.

Il est difficile de porter un jugement sur une oeuvre avec juste un regard. À chaud, j’aurais dit que j’ai passé un bon moment, sans avoir non plus assisté à une révélation et vibré d’émotion. Il s’en est pourtant fallu de peu. Est-ce la faute du ballet qui n’a pas si bien vieilli que ça (ou de son arrangement musical sans sens) ? Est-ce les danseurs et danseuses du soir qui sont finalement passé-e-s un peu à côté ? J’attends une deuxième représentation pour me faire une véritable idée.

Soirée Roland Petit, jusqu’au 29 mars au Palais Garnier.

Comments (7)

  • Delphine

    Merci pour cet article.
    Je me permets juste une rectification : la mort de Roland Petit, c’était en juillet 2011, et non pas l’an dernier.
    Delphine

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  • superfrenchie

    Roland Petit n’est-il pas mort durant l’été 2011 ?

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  • Après lecture des commentaires suite à la première et après la représentation de ce soir, je crois hélas qu’il va falloir l’envisager plus que sérieusement, cette cellule de soutien psychologique l’année prochaine… (gros soupir…)

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  • Sissi

    J’adore Le Rendez-vous dansé par Isabelle Ciaravola et Nicolas Leriche (je n’ai jamais vu que cette distribution !). En revanche j’ai beaucoup plus de mal avec Le Loup… J’ai découvert pour la première fois Carmen et j’ai beaucoup aimé Ludmila Pagliero par sa présence et sa technique, je n’ai pas trop accroché avec Stéphane Bullion. J’y retourne le 28 mars avec Aurélie Dupont et Karl Paquette, une autre belle découverte en perspective.

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  • Joelle

    Nous avons fait notre première tentative hier soir et avons beaucoup aimé les duos J. Belingard/A. Renavand, suivis de E. Cozette/S. Bullion et clôturant en beauté avec N. Le Riche et E. Abbagnato !!!

    A la fin du spectacle, il nous a cependant semblé que Dame Eleonora souffrait…
    J’espère pour tous les spectateurs qui devaient assister à l’une de ses représentations qu’il n’y aura pas de changement de casting de dernière minute…

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  • Amélie, je ne parlais pas de la différence entre Le Riche et Bélingard dans « Rendez-vous » 😉 (je n’ai vu que le deuxième dans le rôle cette année, et j’ai aimé, aussi), mais de la prestation fabuleuse du premier en Don José le 18 mars, d’ailleurs vous y étiez 🙂 et je suis 100% d’accord avec vous sur le « Si les grandes soirées à l’Opéra de Paris ne peuvent décidément que se passer avec Nicolas Le Riche sur scène, les prochaines années vont être difficiles pour le public. »

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