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Soirée Lifar/Petit – Ballet du Capitole

C’est un joli pari qu’a choisi le Ballet du Capitole pour ouvrir sa saison : deux oeuvres un peu oubliées, ballets narratifs qui plus est, un presque gros mot par les temps qui courent. Mais le pari fut relevé avec finesse, entre l’onirique Les Mirages de Serge Lifar et le si touchant Les Forains de Roland Petit, par une troupe en forme.

Les-Mirages - Avetik Karapetyan (le Jeune Homme) et Maria Gutierrez (l'Ombre)

Les Mirages – Avetik Karapetyan (le Jeune Homme) et Maria Gutierrez (l’Ombre)

Ces deux ballets ont été créés à l’après-guerre, sur des musiques de Henri Sauguet. Chacun des chorégraphes voulait raconter une histoire en revendiquant une certaine forme de néo-classique, s’appuyer sur la danse académique qui les a formés pour partir vers un ailleurs. L’un était au fait de sa carrière, l’autre venait à peine de la démarrer.

Les Mirages porte ainsi fortement la marque Serge Lifar, comme un décor fort ou des allusions à la Grèce antique. Surtout, la chorégraphie est empreinte de ce style néo-classique propre au chorégraphe, avec une hanche en avant, des développés décalés et ces bras si particuliers, l’un en couronne l’autre en préparation. Une nuit, un jeune homme entre dans le palais de la Lune, dérobant la clé des songes. Argent, amour, tout semble s’offrir à lui avant de s’évanouir. Seule, son Ombre reste sa compagne de route, véritable Solitude après avoir été sa Cassandre sur ces Mirages.

La Chimère, la Femme, des marchands… Ce sont comme des sortes de numéros qui se succèdent pour éblouir et tromper le jeune homme, sous les yeux de l’Ombre implacable. La gestuelle est on ne peut plus typée lifarienne, mais sans jamais sembler muséale ou vieillotte. Au contraire, un certain onirisme et une ambiance toute mystérieuse émanent de ce ballet, au parfum étrange et séduisant. Si Avetik Karapetyan semble se laisser porter par les événements dans le rôle du jeune homme, Maria Gutierrez apporte toute son autorité à l’Ombre, doigt en l’air prophétique. Beatrice Carbone est la Femme séductrice, Caroline Betancourt une Chimère insaisissable. Le corps de ballet, très bien en place et vivant, finit de compléter ce beau tableau.

Les Mirages - Caroline Betancourt (la Chimère)

Les Mirages – Caroline Betancourt (la Chimère)

Les Forains de Roland Petit est moins typé dans son style. Roland Petit est au début de sa carrière de chorégraphe et Les Forains semble comme une oeuvre de jeunesse. L’on y trouve dispersés les ingrédients du talent de Roland Petit, un peu du parfum du Jeune Homme et la Mort qui sera créé un an plus tard, sans forcément que tout soit arrivé à maturité. La danse y est peut-être intrinsèquement moins intéressante, moins affirmée. Mais Roland Petit avait déjà cet immense génie pour raconter une histoire et faire vivre des personnages, faisant des Forains un ballet plus émouvant qu’on ne le croit au départ.

Les Forains arrivent dans un village et se préparent à leur spectacle. Mais l’ambiance n’est pas vraiment à la fête, la troupe est pauvre, harassée par les voyages. La magie du spectacle leur donne tout de même du baume au coeur. Ils s’échauffent, montent la scène, et ce sont les sourires et l’excitation qui reviennent sur leur visage. Jusqu’au lever du rideau où chacun-e donne son maximum, pris dans la magie de la scène, si petite et désuète soit-elle. Le public rit, en profite. Mais au moment où le chapeau se tend, chacun s’en va sans se délester de ses sous. La troupe repart, plus lasse que jamais. Certain-e-s pourront y voir un message sur ce qu’est la culture aujourd’hui : c’est bien, mais il ne faudrait pas que ça coûte trop cher non plus.

Les Forains

Les Forains

Là encore, le ballet est construit comme une suite de numéros. Clown, acrobates, soeurs siamoises… Chacun se lance dans une danse mi-surannée mi-attendrissante. Car l’on devine les liens qui relient les artistes de cette troupe imaginaire, entre un couple qui s’aime, une tendresse envers un enfant, peut-être une certaine rivalité parfois. Et l’émotion naît des petits détails, une façon de remettre un châle, de cajoler ses colombes, des regards. Ces personnages vivent de multiples façons sur scène et c’est ce qui donne toute l’épaisseur à ce ballet, moins simpliste qu’il n’y paraît.

Chaque danseur-se s’empare de son rôle avec beaucoup d’implication, montrant que la troupe a plus d’une belle personnalité dans ses rangs. Artyom Maksakov est un prestidigitateur bondissant et émouvant, chef de file et chef de famille un peu désemparée, jouant un délicieux duo avec Beatrice Carbone en Belle Endormie. Virginie Baïet-Dartigalongue apporte toute la poésie au rôle de Loïe Fuller, évanescente vision de l’art. Mais c’est bien sûr la puce Louison Catteau, haute comme trois pommes mais Petite Fille avec un certain aplomb, qui rafle tous les applaudissements.

Les Forains - Alexander Akulov (le Clown)

Les Forains – Alexander Akulov (le Clown)

Les deux ballets étaient donc portés par les musiques de Henri Sauguet, des partitions vivantes sachant très bien amener la dramaturgie des deux trames, et jouée avec beaucoup d’enthousiasme par l’orchestre du Capitole. Seule ombre à cette belle soirée : les nombreuses chaises vides. Toulouse est pourtant une ville de culture, qui s’enthousiasme pour son orchestre (l’un des meilleurs de France il faut bien le dire) et remplit son exigeante saison d’opéra. Et la danse alors ? Réveillez-vous les Toulousain-e-s, vous avez à domicile l’une des meilleures troupes de France proposant des spectacles qu’on ne voit pas vraiment ailleurs, profitez-en.

Les Forains - Artyom Maksakov (le prestidigitateur) et Beatrice Carbone (la Belle Endormie)

Les Forains – Artyom Maksakov (le prestidigitateur) et Beatrice Carbone (la Belle Endormie)

 

Soirée Lifar/Petit par le Ballet du Capitole, au Théâtre du Capitole. Les Mirages de Serge Lifar, avec Maria Gutierrez (l’Ombre), Avetik Karapetyan (le Jeune Homme), Beatrice Carbone (la Femme), Caroline Betancourt (la Chimère), Maxim Clefos (le Marchand), Emilia Cadorin (la Lune), Julia Loiria et Virginie Baïet-Dartigalongue (les Courtisanes), Petros Chrkhoyan et Jérémy Leydier (les Bergers), Matthew Astley et Shizen Kazama (les Marchands), Nicolas Rombaut, Maksat Sydykov et Demian Vargas (les Négrillons) ; Les Forains de Roland Petit, avec Artyom Maksakov (le Prestidigitateur), Beatrice Carbone (la Belle Endormie), Alexander Akulov (le Clown), Louison Catteau (la Petite Fille), Virginie Baïet-Dartigalongue (Loïe Fuller), Jérémy Leydier (l’Acrobate), Demian Vargas (le Machiniste) et Kusi Castro (la Femme-tronc). Samedi 25 octobre 2014. 

 

Comments (1)

  • Lauriane

    J’ai assisté à la représentation du 23 octobre et j’ai aussi trouvé dommage que la salle soit si peu remplie. Mais cela m’a permis d’être reclassée et d’assister à la représentation au 5ème rang orchestre !
    J’ai vraiment beaucoup aimé ces 2 pièces, l’onirisme de la première et la sensibilité de la deuxième.
    C’est toujours avec plaisir que j’assiste aux représentations du ballet du Capitole. Oui toulousains, n’hésitez pas à venir les voir !

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