La Sylphide entre au répertoire du New York City Ballet – Ashley Bouder et Andrew Veyette
Auguste Bournonville sur les terres de Georges Balanchine ! Le pari peut surprendre mais Peter Martins, directeur du New York City Ballet (la compagnie du chorégraphe américain), fut nourri à l’école du Ballet Royal du Danemark. Avant de prendre les rênes de la troupe new yorkaise, il fut même un grand interprète du rôle de James. Pas étonnant qu’il ait donc voulu remonter pour sa troupe la production qu’il avait créée en 1985 pour la compagnie de Philadelphie, le Pennsylvania Ballet.
« Je n’ai rien changé au ballet d’Auguste Bournonville insiste Peter Martins. « Je suis revenu à La Sylphide originelle. C’est le ballet romantique avec lequel j’ai grandi et virtuellement, il n’y a rien de moi dans cette production… Ah ! Si, j’ai contribué a quelque chose : j’ai éliminé l’entracte… ». Résultat : une heure pile pour cette Sylphide, ce qui permet d’introduire la soirée par la pièce Divertissements Bournonville constitués d’extraits de ses ballets.
Cette mise en bouche rassure d’emblée sur la capacité de la troupe new yorkaise à faire sien le style d’Auguste Bournonville : légèreté, brio, vitesse, les danseur-se-s semblent tout à fait à l’aise dans ce registre du ballet romantique totalement inédit pour la compagnie. C’est le résultat d’un travail acharné, mené depuis le mois de février avec un professeur et ancienne ballerine du Ballet Royal du Danemark, Petrusjka Brohom. Le plus difficile pour les danseur-se-s fut d’apprendre à sauter et à se recevoir sans l’aide des bras.
Certes, l’entrée du corps de ballet pour le premier extrait de Napoli parait un peu brouillon et les alignements approximatifs. Mais le ballet atteint très vite des sommets avec le couple Sara Mearns et Tyler Angle. Leur pas de deux, extrait de Flower Festival in Genzano est un moment de danse pure et joyeuse. Tout est là : la technique infaillible de ce couple star du New York City Ballet et leur musicalité unique sont au service de cette joyeuse pastorale. Mutins, ils se jouent avec une apparente aisance des pièges que recèle la chorégraphie d’Auguste Bournonville, que ce soient les séries de petits pas rapides, si caractéristiques du style du chorégraphe ou dans les successions de sauts et de pirouettes.
Ce sont aussi Sara Mearns et Tyler Angle qui mènent à un train d’enfer la Tarantelle finale extraite de Napoli qui conclut ces Divertissements, pure démonstration de virtuosité. L’excellence de l’orchestre du New York City Ballet n’est pas pour rien dans cette fête de la danse. Dans un souci de perfection, Peter Martins a d’ailleurs invité pour cette série le chef vedette du ballet Danois, Henrik Vagn Christensen.
Tout cela est réjouissant et met en appétit pour La Sylphide, avec Ashley Bouder et Andrew Veyette. Le rideau se lève sur un décor des plus classiques pour le 1er acte : l’intérieur d’un manoir écossais où James, en kilt (violet) comme il se doit, se repose dans un fauteuil alors que la Sylphide est agenouillée à ses côtés. La technique superlative d’Ashley Bouder n’est pas une nouveauté : précise, impeccable sur ses pointes, d’une infinie musicalité, elle impose sans forcer un personnage et raconte son histoire. Le port de bras, si spécifique sans lequel il n’y a pas d’interprétation possible des ballets d’Auguste Bournonville, est ici dominé à la perfection.
Ashley Bouder donne à voir toutes les nuances de son personnage, tour à tour espiègle ou amoureuse, drôle ou plus grave, mais toujours juste. Elle s’appuie pour cela sur une pantomime superbement maitrisée. Alors que certains danseur-ses voudraient aujourd’hui s’en exonérer, Ashley Bouder redonne tout son sens à cet art intimement lié au ballet romantique. Les grands jetés auraient sans doute gagné à être plus amples mais au bout du compte, sa Sylphide frôle l’excellence.
Dans ce registre, son partenaire Andrew Veyette est moins convaincant : sa pantomime est souvent approximative et jamais il ne parvient à construire un personnage crédible. Le ballet s‘achèvera sans que l’on sache qui est réellement James. Mais ces carences artistiques sont sauvées par sa danse techniquement sans faute, un jeu de batterie irréprochable et un partenariat presque parfait avec Ashley Bouder, contrainte de convoyer toutes les émotions du ballet.
La ballerine est toutefois soutenue par de solides rôles secondaires. Joseph Gordon, danseur du corps de ballet, livre une variation très propre au 1er acte dans le rôle de Gurn, le rival de James. Plus contestable est l’interprétation du rôle de Madge, la diseuse de bonne aventure, qui a une place centrale dans la version d’Auguste Bournonville et qui est là excessivement grimée. Marika Anderson frôle le contresens en en faisant une Fée Carabosse.
Très contestable aussi le décor très expressionniste de la forêt du 2ème acte réalisé par Susan Tammany qui semble s’inspirer de l’univers du cinéma d’animation japonais. Il n’est pas déplaisant à regarder, mais reste anachronique et totalement déphasé par rapport au reste de la production qui se veut fidèle à la lettre et à l’esprit du ballet d’Auguste Bournonville.
Tout cela ne gâche en rien une soirée de très grande qualité. Le New York City Ballet démontre avec cette production qu’il sait parfaitement intégrer des styles qui ne sont pas dans son ADN. La reprise annoncée de ce ballet pour le début de la prochaine saison est déjà attendu avec gourmandise.
Soirée Bourbonville du New York City Ballet, au Koch Theater du Lincoln Center. Mardi 12 mai 2015.
La Sylphide, chorégraphie d’Auguste Bournonville, réalisée par Peter Martins pour le New York City Ballet avec Ashley Bouder (la Sylphide), Andrew Veyette ( James), Marika Anderson ( Madge), Megan LeCrone (Effie), Joseph Gordon (Gurn) et Gwyneth Muller (la mère de James).
Divertissements Bournonville, chorégraphie d’Auguste Bournonville réalisée par Nilas Martins avec Sara Mearns et Tyler Angle.
alena
Merci pour ces articles outre-atlantiques. C’est très agréable et intéressant de savoir ce qui se passe ailleurs.