Avec Vader (père), Peeping Tom questionne le mythe du père et la fin de vie
Pour clore à son tour sa saison, le Théâtre de la Ville a choisi l’univers hyperréaliste et néanmoins absurde de Peeping Tom. Fort du succès de sa première trilogie : Le jardin, Le salon et Le sous-sol, le duo composé de Gabriela Carnizo et Franck Chartier récidive avec une nouvelle création, Vader (père), qui sera suivie de Moeder (mère) et Kinderen (enfants). Comme à son habitude, la compagnie de danse-théâtre bruxelloise y sonde le huis clos d’une communauté, ici familiale autant que celle d’une maison de retraite. Et livre un spectacle touchant et poétique, qui n’exclut pas une certaine crudité.
L’action se déroule dans la salle des pas perdus d’une maison de retraite, cadre désuet dont la calme étrangeté n’est pas loin de faire penser à un tableau d’Edward Hopper. Scène inaugurale, une jeune femme, sage manteau camel et petits talons, est accueillie par un employé de l’établissement. L’irrationnel d’un sac à main qui emporte sa propriétaire ou d’un pardessus qui ne se laisse pas enlever viennent vite perturber l’attitude empruntée des protagonistes. Des arrêts sur image renforcent l’aspect pictural de la scène, le décor est planté.
Pour sonder la figure du père, le collectif star de la danse belge a choisi de le montrer en fin de vie, questionnant ainsi la place de la vieillesse dans nos sociétés occidentales. Leo (formidable Leo De Beul déjà présent dans A Louer, aujourd’hui âgé de 76 ans) est amené de force par son fils dans cette drôle de maison où un emploi du temps millimétré n’empêche pas la fantaisie de spectacles délirants pour personnes âgées. Le personnel chante, virevolte, se contorsionne dans des numéros plus extravagants les uns que les autres. Il faut voir Yi-Chun Liu dans son irrésistible danse féline ou Maria Carolina Vieira passer de la fraiche jeunesse à la décrépitude, le temps d’une mélodie brésilienne ! Si la maltraitance, l’enfermement et la perte d’autonomie pointent ça et là, la tendresse et le rire l’emportent, tant et si bien que le sort de Leo paraitrait presque enviable.
Mais peu à peu l’absurde devient plus inquiétant que drôle. La gaité fait place à l’angoisse et la folie comme la mort rodent. La frontière entre fantasmes et réalité étant de plus en plus poreuse, les cauchemars de Leo prennent vie sur le plateau. Le personnel complote-t-il de le tuer ? Toutes ces personnes qui balaient entament-elles une danse macabre ? Et le temps ne manquant pas de poursuivre son inexorable marche, c’est bientôt le fils de Leo qui, à son tour, se retrouve enfermé dans cette maison de retraite, où il finira par subir son ultime toilette.
Malgré quelques longueurs Vader est un spectacle à voir. Parce qu’il s’empare du sujet de la vieillesse avec intelligence et réalisme d’abord. Pour l’univers si particulier de Peeping Tom, qui recèle toujours de réjouissantes surprises, ensuite. Pour son vocabulaire, si proche du contorsionnisme et pourtant toujours plein de sens et d’émotions, enfin, ses interprètes étant tous remarquables.
Vader (père) de Peeping Tom au Théâtre de la Ville. Mise en scène de Franck Chartier. Aide à la mise en scène et dramaturgie, Gabriela Carrizo. Assistance artistique, Seoljin Kim et Camille De Bonhome. Composition sonore et arrangements de Raphaëlle Latini, Ismaël Colombani, Eurudike De Beul et Renaud Crois. Mixage audio de Yannick Willox. Costumes de Peeping Tom et Camille De Bonhome. Conception décors, Peeping Tom et Amber Vandenhoeck. Construcion décors, KVS-atelier. Direction technique, Filip Timmerman. Créé et interprété par Leo De Beul, Marie Gyselbrecht, Tamara Gvozdenovic, Hun-Mok Jung, Simon Versnel, Maria Carolina Vieira, Yi-Chun Liu, Brandon Lagaert, avec l’aide d’Eurudike De Beul. Figurants, Alain Corneloup, Christine Bôle-Richard, Annie Ducol, Chantal Mercier, Marina Petrella, Hervé de Saint Riquier, Maria Ciezar, Anne-Marie Protat, Gladys Cahu et Marc Destailleurs. Mardi 7 juillet 2015.
Vader est en tournée en Europe et en France jusqu’en février 2016.