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Sylvie Guillem – Life in Progress

Il y a des artistes, il semble inimaginable de les voir partir un jour. Sylvie Guillem est de celles-là. Sur scène – tout est si naturel avec elle, tout est si inné, sa place ne semble être que là – que l’idée qu’elle puisse un jour quitter cet endroit ne semblait pas concevable. Mais Sylvie Guillem n’est qu’un être humain, dont le corps subit aussi le temps. Et la danseuse a préféré partir avant que cela ne se voit. Sa tournée d’adieux Life in Progress, lors de son passage à Paris, avait forcément une ambiance particulière. Pas de cris hystérique, pas de bouquets de fleurs (à la demande de l’artiste), mais de nombreux et chaleureux applaudissements, de nombreux rappels, une danseuse souriante et émue. Quelque chose de simple finalement. Comme peut être le rapport entre Sylvie Guillem et la danse.

Here & After - Sylvie Guillem et Emanuela Montanari

Here & After – Sylvie Guillem et Emanuela Montanari

Il aurait été facile d’organiser un programme best-of. Sylvie Guillem a préféré faire ce qu’elle a toujours fait : être l’instigatrice de créations. Si elle n’a pas été chorégraphe, c’est elle qui a initié de nombreuses pièces, finalement aussi créative que si elle avait été aux commandes. Les quatre pièces présentées ne sont pas toutes des chefs-d’oeuvres. Souvent, les chorégraphes semblent avoir déployé leur savoir-faire sans trop forcer, se disant bien que, de toute façon, Sylvie Guillem allait en faire quelque chose de dingue. En soi, le programme était inégal. Mais « qu’importe ce qu’elle danse car elle est le spectacle« , comme dit notre rédacteur Jean-Frédéric Saumont qui l’a suivie pendant 30 ans.

Technê d’Akram Khan en est un bon exemple. La pièce courte est efficace, tout en courbes et en puissance au sol, vite lassante si inhabitée. Sylvie Guillem l’habite complètement. Elle démarre à quatre pattes, cherchant une sorte d’élévation. Elle a des jambes de gazelle, des bras d’araignée, une allure animale. Et toujours cette fascination à voir ce corps si particulier en scène, fascinant non pas pour ce qu’il est, mais par ce qu’elle arrive à en faire.

Technê d'Akram Khan - Sylvie Guillem

Technê d’Akram Khan – Sylvie Guillem

William Forsythe montre ce qu’il sait faire avec Duo2015, dansé par Brigel Gjoka et Riley Watts. Le chorégraphe et Sylvie Guillem ont explosé ensemble avec In the middle, somewhat elevated, ils partent ensemble. Ce duo est un peu le résumé de la danse Forsythe : une danse à la fois instinctive et millimétrée, une écoute incroyable entre deux partenaires, des gestes qui partent du langage classique (tiens, une belle couronne impromptue) pour arriver à un geste très contemporain. C’est d’une grande maîtrise et d’une totale inventivité, c’est aussi froid et assez déconnecté. Here & After de Russel Maliphant joue aussi sur les codes habituels du chorégraphe : une danse assez simple et souple, mise en relief par des jeux de lumières. Le duo Sylvie Guillem-Emanuela Montanari n’apparaît pas comme un duo au sens propre du terme, plutôt comme une danseuse et son ombre (ce qui, après tout, est le thème de la pièce). L’ensemble a une esthétique pas déplaisante, sans vraiment surprendre.

Le meilleur est resté pour la fin : Bye de Mats Ek, qui occupe toute la deuxième partie. Ce solo a été créé pour le spectacle 6.000 miles away, il y a trois ans, dans un tout autre contexte. Pourtant, la pièce semble un écrin idéal pour des adieux. Bye, c’est un temps de transition. Une femme qui danse, qui se remémore les choses, qui prend des décisions et qui s’en va. Ce n’est pas nostalgique, ce n’est pas triste. Cette femme change, décide. C’est la vie et c’est comme ça.

Bye de Mats Ek - Sylvie Guillem

Bye de Mats Ek – Sylvie Guillem

Le jeu de caméras est judicieux et permet une étonnante mise en abyme. Un écran en forme de porte fait apparaître la silhouette de Sylvie Guillem, avant qu’elle n’apparaisse en chair et en os en scène. C’est un gros plan sur son regard, un regard d’une femme de 50 ans. Puis c’est une danseuse qui apparaît, qui ne semble pas avoir d’âge. Ou plutôt qui semble rajeunir. Sur scène, l’interprète semble comme se remémorer sa carrière. Elle saute, elle bondit, sa tresse rousse virevolte. Elle a l’allure et l’énergie juvénile de la gamine de 11 ans qu’elle devait être en découvrant la scène avec l’École de Danse de l’Opéra de Paris. Elle a l’instinct du plateau et de la lumière. Les gestes semblent résumer tout ce qu’elle a dansé. Un grand jeté large et puissant aux pointes bien tendues ; un twist sinieux ; un magnifique développé seconde ; un grand plié ancré dans le sol. Des gestes qui vont du plus académique aux plus contemporains.

Le temps se suspend ainsi pendant une vingtaine de minutes, avant qu’un petit groupe de gens se dessine sur l’écran de sa porte. La danseuse les regarde, hésite. Puis finalement elle franchit le seuil pour les retrouver. Elle quitte la scène pour le monde des gens normaux.

Sylvie Guillem - Bye de Mats Ek

Sylvie Guillem – Bye de Mats Ek

 

Life in Progress de Sylvie Guillem au Théâtre des Champs-Élysées. Technê d’Akram Khan avec Sylvie Guillem ; Duo2015 de William Forsythe avec Brigel Gjoka et Riley Watts ; Here & After de Russel Maliphant avec Sylvie Guillem et Emanuela Montanari ; Bye de Mats Ek avec Sylvie Guillem. Jeudi 17 septembre 2015.

 

Commentaires (7)

  • Quel merveilleux spectacle ! Pour la dernière, Guillaume Gallienne et Nicolas le Riche avaient préparé une belle surprise à Sylvie Guillem !

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  • alena

    Merci Amélie, pour ce joli billet (je n’ose dire compte-rendu) qui raconte bien comment elle s’en va.

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  • Parmi le groupe de gens « normaux » apparaissant dans l’encadrement de la porte/video à la fin, il y a tout de même un certain Mats Ek… 😉

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  • En vous lisant, Leatitia, Je regrette de n’avoir assisté à la dernière… pour la surprise de Nicolas Le Riche et de Guillaume Gallienne. Racontez-nous, s’il vous plaît? Mais j’ai eu l’immense bonheur d’y être samedi soir, tellement, tellement d’émotion. Je n’aurais manqué cela pour rien au monde. Inégalable, irremplaçable Sylvie!

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  • @Agnès : Oui c’était très émouvant ! Alors que Sylvie Guillem était déjà revenue saluer plusieurs fois et que le public s’apprêtait à partir, une femme (du TCE?) est venue dire à Sylvie Guillem de s’installer à l’avant-scène, et alors Guillaume Gallienne et Nicolas Le Riche, dans d’élégants costumes noirs, lui ont dansé et récité un très beau poème, en avançant au milieu d’arbres que Nicolas le Riche venait déposer un à un (ils ressemblaient à des orangers en pot). Un poème sur la vie et l’engagement, le courage de choisir et de se battre pour un monde meilleur, quand tout est sans cesse à recommencer et que chaque victoire sonne de nouvelles tâches. Et puis ils ont parlé de leur rencontre avec la danseuse, Guillaume Gallienne pour Nicolas le Riche (dans Don Quichotte), et inversement. Et ils ont fini sobrement :
    GG « en fait c’est grâce à Sylvie qu’on s’est rencontrés? »
    NlR « oui »
    et la lumière s’est éteinte.
    C’était un très beau moment, et la complicité des trois artistes lors des saluts était aussi émouvante !

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  • Merci mille fois Laetitia d’avoir pris le temps de me donner une description aussi vivante de ce bel hommage que je regrette d’avoir manqué. Mais j’ai regardé les ovations du 20 septembre sur YouTube qui se termine par un joli et très simple « merci Sylvie ». Si la prestation surprise de Nicolas Le Riche et de Guillaume Gallienne est coupée, j’ai été en revanche très touchée par l’apparition de Claude Bessy… et l’émotion partagée par ces deux immenses danseuses. Toute une époque, Claude Bessy, « Rudolf », Maurice Béjart, Patrick Dupont… Je me demandais qui avait été la petite mère de Sylvie Guillem quand elle était petit rat. Et si la tradition perdurait. Amélie le saura peut-être.
    Elle va tant nous manquer. Mais elle a de beaux combats à poursuivre.

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