New York City Ballet – Les Adieux de Jennie Somogyi dans un programme « All Balanchine »
Il y avait quelque chose d’électrique dans l’immense théâtre David H. Koch ce dimanche 11 octobre, archicomble comme toujours lorsqu’il s’agit de dire adieu à une artiste. Après 20 ans de carrière, Jennie Somogyi avait choisi un programme « All Balanchine » pour cette dernière révérence au New York City Ballet. Quoi de plus logique pour une ballerine qui excella dans ce répertoire. Elle brilla une dernière fois dans les Liebeslieder Walzer, cette pièce atypique de George Balanchine, reprise spécialement cette saison pour ses adieux.
Mais le programme débutait avec une pièce luxueuse, Tchaïkovsky Suite No.3 que George Balanchine introduit au répertoire du New York City Ballet en 1970. Ce n’était pas – du moins pas tout à fait – une création. Amoureux de la musique de Tchaïkovski qui était son compositeur favori, George Balanchine décida de chorégraphier pour le New York City Ballet toute la suite No. 3 pour orchestre dont il n’avait utilisé qu’un mouvement pour le fameux Thèmes et Variations de 1947 pour l’American Ballet Theatre.
Le ballet débute toutefois sur une note bien différente de Thèmes et Variations : ni pointes, ni tutus dans ces deux premières parties dont l’esthétique fait écho à celle du chef-d’œuvre de George Balanchine Sérénade. Elégie, le premier tableau est même dansé pieds nus et cheveux défaits. Il met en scène un danseur et sept ballerines. Russel Janzen, soliste du NYCB offre une danse tout en nuances et en phrasé dans ce mouvement lent. Il est le danseur le plus prometteur de la nouvelle génération et fut en début de saison le plus convaincant des Siegfried dans Le Lac des Cygnes. Tout aussi impeccables furent Megan Le Crone et Justin Peck dans le Deuxième tableau Valse Mélancolique dansé cette fois en chaussons. Le tempo s’accélère dans le Scherzo où les danseuses ont enfin chaussé leurs pointes. Il y a dans ces trois parties une progression, aussi une unité de costumes et de couleurs et ces mêmes robes vaporeuses roses qui rappellent tant le style de Sérénade.
Le dernier tableau, Thèmes et Variations reste indiscutablement l’apothéose de ce ballet. Le NYCB a coutume de l’interpréter à un tempo plus rapide que les autres compagnies (et que l’Opéra de Paris en particulier) et les danseur-se-s n’ont aucune difficulté à s’exécuter : Andrew Veyette, technicien hors pair fut impérial mais c’est Tiler Peck qui a illuminé la scène en délivrant une danse à la fois tonique, rapide et néanmoins soucieuse du détail. Ce fut un prélude de rêve pour les adieux de Jennie Somogyi.
À 38 ans, la danseuse a décidé de mettre un terme à sa carrière. Qu’elle ait pu danser de nouveau après sa dernière blessure au tendon d’Achille en 2013 tient du miracle. Grâce à une greffe et une rééducation forcenée, Jennie Somogyi a repris au printemps dernier le chemin des studios et opté pour un répertoire « light » selon ses propres mots avec moins de sauts.
Liebeslieder Walzer convenait à merveille pour ces adieux : ce ballet de 1960 est un joyau de George Balanchine. Chorégraphié sur les lieder de Johannes Brahms, les quatre chanteurs et les deux pianistes partagent la scène avec les quatre couples de danseurs et danseuses. Le décor et les costumes évoquent un salon du XIXe siècle. Les danseuses en robes longues et en chaussures à talon dansent chacune avec leur partenaire dans une tension constante. George Balanchine nous laisse imaginer la complexité des relations humaines et la quête illusoire d’une forme d’harmonie dans ce qu’il y a de plus convenu. La valse comme danse de salon transfigurée par le génie de George Balanchine. Rien de spectaculaire mais une somme d’infinis détails : l’évitement du regard, la tentation de fuir, tout cela exprimé par le regard un geste de la main.
Dans le deuxième tableau, les ballerines reviennent en robes de tulle translucides et sur pointes. « Dans le 1er acte, ce sont des personnes réelles qui dansent, dans le second, ce sont leurs âmes« , expliquait George Balanchine lors de la création pour nos donner les clefs de ce ballet. Liebeslieder Walzer est aussi l’exemple parfait de cette fusion entre musique et danse chère à George Balanchine. Jennie Somogyi, unanimement reconnue pour son extraordinaire musicalité, offre une dernière valse d’anthologie, aussi à l’aise dans les longues phrases musicales du 1er acte que dans les pas de 2 du second. Fluide, élégante, lumineuse.
Fleurs à foison, pluie de confettis, quelques larmes difficiles à retenir pour finir : c’est le lot de tous les adieux. Jennie Somogyi emporte avec elle une partie de l’histoire glorieuse du New York City Ballet.
Soirée « All Balanchine » par le New York City Ballet au theatre David H. Koch New York. Tchaikovsky Suite No.3, avec Rebecca Krohn, Russel Janzen, Megan LeCrone, Justin Peck, Ana Sophia Scheller, Antonio Carmena, Tiler Peck et Andrew Veyette ; Liebeslieder Walzer, avec Sterling HYltin, Ashley Laracey, Sara Mearns, Jennie Somogyi, Jared Angle, Tyler Angle, Ask la Cour et Justin Peck. Dimanche 11 octobre 2015.