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Journal de Russie – Bribes estivales et rentrée des classes

Les rayons de l’été s’estompent sur les façades des théâtres… Le ballet russe fait une rentrée fracassante après deux mois estivaux de succès internationaux, au-delà des frontières du pays.

 

Le Bolchoï en tournée (triomphante) à Londres

60 ans après leur première tournée à Londres, en 1956 en plein « Dégel », les danseur.se.s du Ballet du Bolchoï électrisent toujours les foules au Royal Opera House. La troupe était en tournée à Londres cet été. En guise d’introduction, Jonathan Gray (Dancing Times) offre un ancrage historique à la tournée dans un article qui rappelle que la renommée du Ballet du Bolchoï n’est pas un effet de mode. En 1956 à Londres, « the news of the visit caused a stir, and queues for tickets formed three days before they even went on sale« . Le soir de la première de la tournée, le Roméo et Juliette d’ouverture, porté par Galina Oulanova (46 ans à l’époque), se serait clos avec 40 minutes d’applaudissements.

La tournée 2016 du Ballet du Bolchoï à Londres a de nouveau enflammé la presse locale. La Mégère apprivoisée, ballet déjanté créé sur mesure pour le Bolchoï par Jean-Christophe Maillot, a ravi la critique comme le public. La première endiablée de Don Quichotte avait annoncé la couleur : la tournée de trois semaines serait représentative du style inégalé de la compagnie. Spectaculaire, jovial, passionnel. Le Lac des cygnes, Flammes de Paris et Le Corsaire ont également su séduire, avec quelques réserves sur la production.

La Mégère apprivoisée - Anna Tikhomirova

La Mégère apprivoisée – Anna Tikhomirova

Au-delà des émotions qu’elle a suscitées, la tournée 2016 a mis à l’honneur les nouveaux talents du Ballet du Bolchoï. Olga Smirnova et Denis Rodkine, nommé.e.s Étoiles par Sergueï Filine, ont ainsi été confirmé.e.s par Makhar Vaziev, directeur de la compagnie depuis mars dernier. Ekaterina Kryssanova, rouquine incandescente, semble également très appréciée par la nouvelle direction. Parmi les solistes, des noms ont gagné en reconnaissance. En premier lieu, Youlia Stepanova qui a fait ses débuts dans Le Lac des cygnes et dans Le Corsaire et que Makhar Vaziev vient d’adouber en la nommant Étoile. Igor Tsvirko connaîtra à l’évidence un avenir radieux ; le danseur est très distribué depuis le changement de direction. Enfin, une petite nouvelle à la danse vive et enjouée, Margarita Shrainer, semble promise à une jolie carrière dans la compagnie. Son Cupidon est mutin à souhait et sa Kitri a pris des couleurs à Londres. À noter qu’Anna Tikhomirova, soliste pur-sang Bolchoï, a remporté les suffrages à l’applaudimètre.

Le Ballet du Bolchoï reviendra briller sous les feux de Covent Garden à l’été 2019. D’ici là, des rumeurs disent que le Ballet du Mariinsky pourrait se produire en 2017 sur la scène londonienne. Espérons…

 

 Interviews estivales

Les balletomanes cinéphiles l’affectionnent particulièrement. Katerina Novikova, responsable presse du Bolchoï depuis 2001, introduit chaque retransmission de ballet avec un charme ineffable. Mais son parcours demeure encore inconnu du grand public. Qui est-elle ? Elle s’est confiée en russe dans une interview qui balaye ses débuts dans le milieu artistique, du théâtre au ballet. On y apprend qu’elle a étudié les arts de la scène à Saint-Pétersbourg, dont elle est native, et aux Etats-Unis, qu’elle est également diplômée de l’université Paris-Dauphine en gestion de la culture et de l’académie Sibelius d’Helsinki. Trois années d’études ont été consacrées à une thèse sur Sam Shepard. En plus du français et de l’anglais qu’elle parle couramment, elle parle japonais. Avant de prendre ses fonctions au Bolchoï, elle travaillait au Théâtre Mariinsky, lieu auquel elle était attachée par sa famille (Vadim Gulyaev est d’ailleurs son parrain). Dans son esprit, le Bolchoï représentait néanmoins un bastion officiel de l’art soviétique.

En marge de la tournée du Bolchoï, Ekaterina Kryssanova et Semen Tchoudine ont fait l’objet de portraits dans la presse. La volcanique Mégère du Bolchoï, Kitri de renom, s’y octroie le titre de danseuse ayant le plus vaste répertoire au sein de la compagnie. Appréciée des chorégraphes de notre temps, elle est bien distribuée par Makhar Vaziev. Mais son répertoire n’est pas aussi étendu que celui de Svetlana Zakharova… Et Olga Smirnova n’est pas moins polyvalente qu’elle ! Interview à lire sur Standard. Le raffiné Semen Tchoudine, de son côté, livre une jolie facette de sa personnalité. Pour flatter l’ego des Français.ses, soulignons qu’il fait état de son admiration pour Manuel Legris, qu’il aime les cours à la française et qu’il aimerait danser à l’Opéra de Paris. Justement, la reprise du Lac des cygnes approche et ce danseur princier au fini moelleux sublimerait l’Opéra Bastille. Une rencontre à savourer sur Landgraf on Dance.

Ekaterina Kryssanova - La Fille du pharaon

Ekaterina Kryssanova – La Fille du pharaon

Le triomphe retentissant de la tournée du Bolchoï à Covent Garden, a donné la parole à Makhar Vaziev. Et c’est le Kommersant (traduction en anglais de l’article par Ismene Brown) qui obtient les révélations les plus éclairantes. Le directeur du Ballet du Bolchoï porte Anna Tikhomirova aux nues, ainsi que Viatcheslav Lopatine. Nominations en vue ? Il pose également la question de la hiérarchie, rappelant qu’une Etoile est nécessairement au-dessus des autres, avec une renommée et des droits particuliers. À ce jour, dans cet esprit seule Svetlana Zakharova est Etoile au Bolchoï. Makhar Vaziev envisage d’institutionnaliser ce statut et de l’élargir à d’autres artistes méritants de la troupe…

Les balletomanes russophiles ont appris avec une certaine tristesse les adieux d’Ismene Brown à la critique. La spécialiste de la danse se concentre sur sa carrière universitaire, abandonnant ses analyses chorégraphiques éclairées.

Andreï Ermakov, soliste du Mariinsky, a répondu au questionnaire de Gramilano. Son modèle quand il était enfant était Jean-Claude van Damme. C’est assez surprenant pour donner envie de lire le portrait en entier.

La rentrée parisienne prend forme sous le haut patronage d’Alexeï Ratmansky. Sa reconstruction de La Belle au bois dormant a ouvert la saison 2016-2017 de l’Opéra de Paris et son Lac des cygnes restauré (selon la version de 1895) va s’installer au Palais des congrès à l’automne. Paris Match consacre une page à ce chorégraphe polyvalent, conscient du passé mais ancré dans le présent.

 

France-Russie

Héloïse Bourdon et Jérémy-Loup Quer, Sujets de l’Opéra de Paris, ont été invité.e.s à Moscou pour les Saisons d’été de la danse. Ils y ont dansé Casse-Noisette et Don Quichotte dans l’environnement magique de la place Teatralnaïa, où se situe notamment le bâtiment du Bolchoï. A cette occasion, les deux jeunes artistes se sont livré à la presse locale, qui n’a pas été avare en révélations. Jeremy-Loup Quer se sent viscéralement lié à la danse par sa mère, danseuse. Il aimerait interpréter Le Jeune homme et la mort (Roland Petit) et danser aux côtés de Marianela Núñez et Diana Vishneva.

Héloïse Bourdon et Jérémy-Loup Quer dans Don Quichotte

Héloïse Bourdon et Jérémy-Loup Quer dans Don Quichotte

De la Russie, Héloïse Bourdon connaissait déjà l’âme romantique de Saint-Pétersbourg, où elle avait dansé le Lac des cygnes un beau soir d’avril à l’invitation de Youri Fateev. Elle avait aussi expérimenté l’immensité du Bolchoï, en tournée avec l’Opéra de Paris. C’est d’ailleurs là-bas qu’elle s’était rapprochée de Jérémy-Loup Quer. Ses plus grands rôles à l’Opéra de Paris lui ont été offert par les ballets de Rudolf Noureev : Le Lac des cygnes, La Bayadère, La Belle au bois dormant, Casse-Noisette. Le lien qui s’est noué avec la Russie est donc particulièrement fort. Dans diverses interviews réalisées en marge de sa participation aux Saisons d’été de la danse, Héloïse Bourdon expose sa vision de la danse classique, où la liberté vient de la richesse du « monde intérieur », par opposition à la danse contemporaine où l’expression est plus extravertie, la liberté jaillissant du mouvement.

Pendant ce temps, à l’autre bout du pays, Hannah O’Neill interprétait Giselle sur la scène du Mariinsky de Vladivostok. La Première danseuse, propulsée par Benjamin Millepied, faisait ses débuts dans le rôle, après avoir revêtu le costume de Myrtha au printemps dernier.

Du côté de Saint-Pétersbourg, c’est Mathieu Ganio qui a représenté les couleurs de la France sur la scène du Mariinsky. L’Etoile française, fort d’un style noble et romantique, a interprété Albrecht dans Giselle avec Diana Vishneva le 13 juillet dernier.

Mathieu Ganio, Diana Vishneva dans Giselle

Mathieu Ganio, Diana Vishneva dans Giselle

Mariage et naissances

Ils sont jeunes, beaux et talentueux. Artëm Ovcharenko et Anna Tikhomirova se sont dit oui cet été, formant le couple le plus médiatique du Bolchoï de l’année.

Anna Tikhomirova et Artem Ovcharenko

Anna Tikhomirova et Artem Ovcharenko

La soliste du Bolchoï Maria Vinogradova a donné naissance à une petite Anna, dont le père n’est autre qu’Ivan Vassiliev. Une nuée de cigognes a dû survoler le Bolchoï cette année car Evguenia Obraztsova, Étoile aux airs de poupée russe, est également devenue mère… de jumelles. Polina Semionova, la plus européenne des Étoiles russes, et Kristina Shaprane, une soliste en vogue du Mariinsky, ont mis aussi leurs projets de danse entre parenthèses pour cause de grossesse.



Nouvelles stars de la rentrée au Bolchoï

Après des prises de rôle prestigieuses dans les grands ballets du répertoire du Bolchoï et une mise à l’honneur certaine à Londres, Youlia Stepanova, a été nommée Etoile par Makhar Vaziev, seulement un an après son arrivée dans la compagnie. Danses avec la plume avait rencontré la danseuse, alors soliste, à Covent Garden. Interview d’une Etoile racée aux yeux d’émeraude.

Youlia Stepanova

Youlia Stepanova

Alena Kovaleva, diplômée de l’académie Vaganova cette année, vient d’être embauchée au Bolchoï. Elle semble connaître des débuts fulgurants ; la jeune danseuse prépare le rôle principal de Diamants (Balanchine) qu’elle dansera sur la scène moscovite en octobre prochain. Un talent à suivre.

Igor Tsvirko est à l’évidence apprécié par Makhar Vaziev. Copieusement distribué, le soliste vient de faire ses débuts en Basilio dans Don Quichotte. Abonné aux rôles de demi-caractère, ce soliste du cru devrait élargir son répertoire au cours de cette saison.

Un nouveau visage parmi la relève masculine fait merveille : Jacopo Tissi, jeune danseur de La Scala a été recruté par Makhar Vaziev dans les effectifs du Bolchoï. Gramilano dresse un portrait du prometteur artiste qui a assuré la première de La Belle au bois dormant, version Ratmansky, aux côtés de Svetlana Zakharova à Milan l’an dernier. Ses belles lignes et sa danse ample le prédisposent aux rôles nobles.

La Belle au bois dormant - Svetlana Zakharova et Jacopo Tissi

La Belle au bois dormant – Svetlana Zakharova et Jacopo Tissi

Les adieux (américains) à la Reine

Diana Vishneva a annoncé qu’elle ferait ses adieux à la scène de l’American Ballet Theater en juin 2017. Pour l’occasion, elle dansera Tatiana avec Marcelo Gomes, son partenaire de prédilection aux États-Unis. Que les fans soient rassurés, la star du Mariinsky n’abandonne pas la danse classique pour autant. Un article du New-York Times explique qu’elle souhaite privilégier sa carrière en Russie et ses projets chorégraphiques contemporains à ses représentations américaines.

Le 30 septembre, Diana Vishneva est d’ailleurs sur scène à Monaco, pour Le Divertissement du roi. Elle y danse notamment Switch, créé par Jean-Christophe Maillot, décidément friand de ballerines russes, spécialement pour elle.

Diana Vishneva et Jean-Christophe Maillot

Diana Vishneva et Jean-Christophe Maillot

Le point Zakharova

Les mois d’été ont une fois de plus permis à Svetlana Zakharova de briller, du Japon à l’Angleterre sans oublier l’Italie et… Monaco où la Tsarine de la danse a présenté son programme itinérant Amore.  L’après-soirée a montré que la star savait également chanter, en l’occurence une chanson folklorique, Katiousha.

https://www.instagram.com/p/BIR2TrsjPs6/

Excellente nouvelle pour les balletomanes allemands, Svetlana Zakharova sera artiste invitée du Ballet de Munich cette saison. Pour le moment, son agenda public répertorie Giselle et La Bayadère en septembre et octobre 2016.

Les réflexions de l’été

Universitaire spécialiste du ballet russe, Stéphanie Goncalves décrypte pour France Culture « les ballets russes dans la guerre froide« , rappelant la dimension diplomatique des tournées, des programmations et des chorégraphies.

Pavlova et Nijinky ont été élevés au rang de mythe du ballet russe par l’Histoire. Il reste d’eux les images d’antan en noir et blanc. Comme par magie, Olga Shirnina recolorise de vieux clichés et donne une dimension plus humaine à ces artistes  intemporels.

Anna Pavlova

Anna Pavlova

Le Royal Opera House questionne l’identité du Bolchoï à l’aune de l’évolution de son répertoire. Une analyse intéressante à lire en anglais sur le site.

 

Les premières de l’été 

Fruit d’une collaboration étonnante entre Oxfam et le Saint-Petersbourg Ballet Theatre, Her name was Carmen a fait ses débuts à Londres à l’initiative d’Irina Kolesnikova. Inspirée de la vie d’une réfugiée dans un camp, cette création signée Olga Kostel n’a pas fait l’unanimité dans la presse. The Guardian juge le ballet « superbement inapproprié » dans un article critique.

A Moscou, le mois de juillet a été illuminé par la première d’Anna Karénine au Théâtre Stanislavsky, après une création originale à Zurich. Le chorégraphe Christian Spuck a dévoilé son approche du classique littéraire dans une interview donnée à Russian Ballet Insider.

Anna Karenine par Christain Spuck

Anna Karenine par Christian Spuck

Rendez-vous d’octobre

Polina Semionova, Svetlana Zakharova, Mikhail Lobukhin, pour n’en citer que quelques uns, sont de grands noms du ballet russe. Leur point commun, au-delà de leur talent et de leur renommée, est d’avoir remporté le Prix Vaganova, tombé dans l’oubli pendant environ une décennie. Nikolaï Tsiskaridzé, fier directeur de l’académie Vaganova, ressuscite le Prix à Saint-Pétersbourg. Les lauréat.e.s seront certainement les grands espoirs de la danse en Russie.

Dimanche 16 octobre à 17h, on ne rate pas la première retransmission de la saison 2016-2017 Pathé Live du Bolchoï. L’Âge d’or, signé Youri Grigorovitch et Dmitri Chostakovitch devrait séduire tant par son esthétique début XXe siècle que par ses accents déjantés.

L'Âge d'Or, Ballet du Bolchoï

L’Âge d’Or, Ballet du Bolchoï

Parmi les débuts à guetter au Bolchoï le mois prochain : ceux de Ksenia Zhiganshina en Gamzatti, d’Igor Tsvirko en Solor et d’Alena Kovaleva en Diamant.

Le 4 octobre prochain aura enfin lieu la troisième édition du World Ballet Day. Le principe ?  Une journée entière en live dans des compagnies de danse des quatre coins du globe. Cette année encore, le Ballet du Bolchoï participe à l’aventure et retransmettra en direct les cours et les répétitions. Attention, Svetlana Zakharova étant à Milan ce jour-là, il ne sera malheureusement pas possible de la voir faire sa barre avec la grâce qui lui est coutumière.

 

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