Hommage à Nijinski – Philharmonie de Paris
Paris vibre au rythme des Ballets russes et de son icône Vaslav Nijinski en cet automne. La chorégraphe et pédagogue Dominique Brun a ouvert le bal à la Philharmonie de Paris. Notatrice du système Laban, qui sert à noter les chorégraphies, elle se passionne pour la reconstruction d’oeuvres, et notamment celles de Nijinski. Cette soirée, composée de trois « tubes » des Ballets russes – L’Après-midi d’un Faune, Jeux et Le Sacre du printemps – montre trois façons différentes de refaire revivre des ballets datant d’un siècle. Le premier est remonté selon la partition chorégraphique de Nijinski, le deuxième est une démarche de création librement inspirée des dessins de l’époque, le troisième est reconstitué selon des archives (annotations, photos, témoignages) mais sans partition précise. L’idée n’est donc pas de refaire vivre ces ballets tels quels, car la démarche est impossible, mais en tout cas de redessiner leur modernité, leur esprit. Si la salle de la Philharmonie ne se prête pas toujours bien à la danse, le programme montre en tout cas toute l’universalité de ces oeuvres des Ballets russes. Avec le choc du Sacre du Printemps pour finir, choc qui traverse avec fulgurances les années.
L’Après-midi d’un Faune avait été noté avec soin par Nijinski, selon la notation Stepanov (qui a servi à La Belle au bois dormant), avant d’être retranscrite en notation Laban. Il reste donc de véritables traces de cette chorégraphie. Dominique Brun a voulu néanmoins se distancier en choisissant un décor neutre (fond de scène er rocher noir) à l’inverse des décors très marqués de Bakst. Il y a la volonté de mettre en avant le mouvement épuré, qui a l’époque a été un vrai choc. Alors connu pour son immense virtuosité, Nijinski choisit pour ce qui est sa première oeuvre de revenir à la marche, à chercher la sensation plutôt que les sauts et la performance. Un choix esthétique donc, autant que moral par le caractère explicitement sexuel du ballet.
Le choix de François Alu comme interprète du Faune n’est ainsi pas anodin : Dominique Brun a choisi le plus bondissant des danseurs français aujourd’hui pour une chorégraphie de pose, de lenteur, dénué de virtuosité. Le danseur se coule dans cette perspective avec beaucoup d’aisance et de magnétisme. La pièce dans son ensemble apparaît moins stylisée que la façon dont on peut la voir à l’Opéra de Paris. Que ce soit le Faune ou les nymphe, tout semble plus brut, plus sauvage, dans le geste comme dans l’absence de décor. Il y a là comme l’évocation des peuplades anciennes, d’une humanité encore à ses prémisses. Et l’impression de retrouver une oeuvre débarrassée des couches de vernis que le temps lui a apporté. Loin des splendeurs fauves que l’on connaît, cet Après-midi d’un Faune se dote d’une ambiance presque intimiste, qui tranche d’ailleurs avec la grandeur de la salle de la Philharmonie. Chez les Ballets russes, danse et musique étaient créées ensemble, les pièces étaient vues comme un tout (même si, concernant L’Après-midi d’un faune, la partition est antérieure au ballet). L’orchestre est ainsi ici volontairement à la même hauteur de la scène. Ce qui fait que cette dernière semble un peu loin. La danse semble ainsi un peu écrasée par la salle, trop lointaine, d’autant plus qu’elle repose sur une certaine intimité. Le cadre n’est pas celui qui semble le mieux adapté, qui sache le mieux mettre en valeur cette relecture de L’Après-midi d’un faune.
Le problème se pose d’ailleurs pour la pièce suivante, Jeux. Le processus de re-création est ici très différent. Créée en 1913, première commande de Debussy pour les Ballets russes, la pièce mélangeait technique de pointe et pieds parallèles, mouvements académiques et plus modernes inspirés du tennis ou du golf. Accueilli froidement par le public, Jeux n’a pas survécu et n’a pas été noté. Pour la reprendre sur scène, Dominique Brun s’est inspirée de sept pastels de Valentine Gross-Hugo, qui sont pour elle la source d’inspiration de Jeux. Sur scène, plus de pointes, mais des mouvements qui s’inspirent de la danse libre d‘Isadora Duncan. Il s’agit plus d’une évocation de la danse de Nijinski, ses fondements et ses attitudes du corps. La pièce, là encore dénuée de décor, se perd aussi dans la grandeur de la salle, un peu trop écrasée par la musique. Un cadre plus petit lui permettrait sûrement de mieux exploiter la grande poésie qu’elle dégage.
Ce problème de salle ne se pose cependant pas pour Le Sacre du Printemps. Aucune note ou film ne reste de la chorégraphie originale. Mais la pièce ayant eu un tel impact, les archives autour de l’oeuvres – comme des photos, des témoignages, des articles de presse – sont très nombreuses. Il s’agit donc ici d’un travail d’historien.ne, de reconstituer une pièce non pas à travers sa partition, mais par la vision qu’en ont eu les témoins de l’époque. Avec tout ce que cela comprend d’interprétation personnelle – nous ne sommes pas dans le fantasme de revoir ce ballet tel qu’il fut à sa création. Est-ce le nombre important de danseurs et danseuses sur scène ? La toile forte comme décor ? La danse prend ici toute son ampleur, d’autant plus portée par l’orchestre à sa même hauteur. Le geste y est universel, d’une force intacte et brute, emplissant la salle avec la musique. Il n’y a pas le souci de faire beau, mais de revenir à une certaine animalité, un instinct de la danse. La chorégraphie précise du Sacre du printemps n’a pas passé les années. Sa puissance, si.
Hommage à Nijinski de Dominique Brun à la Philharmonie de Paris. L’Après-midi d’un faune de Dominique Brun d’après Vaslav Nijinski, avec François Alu (le Faune), Caroline Baudouin, Clarisse Chanel, Laurie Peschier-Pimont, Mathilde Rance, Enora Rivière, Julie Salgues et Lina Schlageter (les nymphes) ; Jeux de Dominique Brun d’après les dessins de Valentine Gross-Hugo et la chorégraphie de Vaslav Nijinski, avec Sophie Gérard, Johann Nöhls, Enora Rivière, Julie Salgues, Sylvain Prunenec et Vincent Weber ; Sacre #2 de Dominique Brun d’après Vaslav Nijinski, avec Julie Salgues l’Élue), Caroline Baudouin, Marine Beelen, Garance Bréhaudat, Lou Cantor, Clarisse Chanel, Judith Gars, Sophie Gérard, Anne Laurent, Anne Lenglet, Virginie Mirbeau, Marie Orts, Laurie Peschier-Pimont, Maud Pizon, Mathilde Rance, Enora Rivière, Marcela Santander, Lina Schlageter, Roméo Agid, Matthieu Bajolet, Fernando Cabral, Sylvain Cassou, Clement Lecigne, Diego Lloret, Maxime Guillon-Roi,Sans-Sac, Corentin Le Flohic, Johann Nöhls, Édouard Pelleray, Sylvain Prunenec, Jonathan Schatz et Vincent Weber. Orchestre Les Siècles. Samedi 22 octobre 2016.