Un Casse Noisette berlinois féerique mais surchargé
Casse Noisette est un ballet féerique où flocons et mirlitons font scintiller la scène de la Deutsche Oper depuis de nombreuses saisons. Mais le Staatsballett de Berlin peut se targuer de compter deux versions du ballet à son répertoire. Remonté en 1999 par Patrice Bart, Casse Noisette (Nussknacker en allemand) a été remanié pour la troupe berlinoise par les Russes Vasily Medvedev et Yuri Burlaka (d’après la chorégraphie originale de Marius Petipa et Lev Ivanov) le 23 octobre 2013, sous l’ère de Vladimir Malakhov. C’est toujours cette version qui est donnée aujourd’hui, féérique mais si parfois un peu surchargée. Des défauts (presque) oubliés lorsque la superbe Iana Salenko danse la Fée dragée.
Au premier acte, lors du réveillon de Noël, les élèves de la Staatliche Ballettschule de Berlin sont fortement mis à contribution ! Alors que Vladimir Malakhov était encore à la tête de l’institution berlinoise, il avait rechigné à reprogrammer le ballet phare des fêtes de fin d’année, évoquant les « cinquièmes désatreuses » des petits rats berlinois. Rien à redire désormais à ce sujet, je soulignerais même que les pieds des apprenti.e.s danseur.se.s sont parfois plus travaillés que ceux de certains membres du corps de ballet… La jeune Frieda Kaden (Clara enfant) est rayonnante de charisme, son coup de pied est particulièrement joli et son port de tête divin ! Son partenaire, Like Ruben Talirz (Fritz), est plus fade. Précis.e.s et techniques, leurs compagnons et compagnes de jeu exécutent avec entrain la célèbre marche, ainsi que les multiples autres danses et rondes du début d’acte. Vasily Medvedev et Yuri Burlaka optent pour des pas simples et clairs qui permettent aux enfants d’interpréter leurs rôles en toute limpidité.
Lors du cauchemar de Clara, le Roi des rats (Arman Grigoryan) s’est imposé avec brio dans sa variation composée de sauts puissants. La bataille entre les rats et les soldats, interprétés par les élèves de la Staatliche Ballettschule, est impressionnante de détails et d’accessoires : des rats s’envoient des morceaux de fromage ou de gâteau, pendant que deux jeunes filles-automates pleurent leurs soldats morts. Les costumes sont chatoyants, juste comme il faut. Mais tout va très vite, trop peut-être. Le public se noie dans un monceau d’éléments scénographiques qui auraient pu être, à mon goût, un peu plus épurés.
Le passage du cauchemar au rêve, jusqu’à l’arrivée des flocons, se traduit par un ingénieux effet signé Andrei Voytenko. Les colonnes cossues, habile trompe-l’œil fait de tissus vaporeux qui ornaient les côtés de scène, se soulèvent pour laisser le décor se faire envahir par une touffue forêt de conifères. Les 24 danseuses, affublées de coiffes et de tutus d’ouate, évoluent minutieusement de lignes en cercle, sans jamais quitter la scène. Interprété avec une grande précision, cet ensemble n’en reste pas moins un brin fouillis. La responsabilité en revient uniquement aux chorégraphes qui auraient dû opter pour plus de sorties afin d’aérer l’espace. Notez que certains pieds, et plus précisément dans les courses, gagneraient à être plus en demi pointes, plus tendus et plus articulés pour éviter l’effet « savate »…
Le second acte s’ouvre sur la Reine des fées (imposante Martina Böckmann) et ses trois filles qui attendent l’arrivée du Prince Coqueluche (Dinu Tamazlacaru), accompagné de Clara/Fée Dragée (Iana Salenko). Les divertissements qui suivent sont les mêmes conçus par Marius Petipa en 1892. La danse espagnole est interprétée par la tonique Sarah Mestrovic, entourée de quatre beaux gaillards. La danse orientale, au cours de laquelle la disposition s’inverse (un danseur au milieu de quatre danseuses), est portée par la splendide Moldave Georgeta Varvarici, jeune recrue qui laisse bouche bée. Le couple Marina Kanno et Alexander Korn est plus à l’aise dans cette danse chinoise que dans le pas de deux du prince et de la princesse automates du premier acte. La danse des bouffons, avec à sa tête l’aérien Olaf Kolmannsperger (qui a perdu une boule de son cerceau !), ne restera pas dans les annales. Quant à la danse des mirlitons, composée de Stephanie Greenwald, Maria Boumpouli, Weronika Frodyma, Aoi Suyama et Lisa Breuker, elle arbore d’étincelants costumes à croquer.
En guise de cerise sur le gâteau, Mère Gigogne (Martin Szymanski) arrive avec six petites chipies cachées dans ses jupes. Parfaitement ensembles, leurs petits pieds chaussés de demi-pointes rouges s’emballent autant que leurs candides minois. La célèbre valse des fleurs, sympathique, est rythmée d’ensembles et de pas de trois (impeccables Julia Golitsina, Anastasia Kurkova et Patricia Zhou – trois noms à se rappeler !) plus ou moins heureux : avait-on besoin de faire évoluer le corps de ballet, affublé d’ores et déjà de toques-diadèmes floraux envahissants, avec des rubans et des cerceaux de fleurs ? Si la valse des fleurs se voulait être un hymne à la flore et à la nature, cette chorégraphie est loin d’être « naturelle » !
Point d’orgue de la soirée : Iana Salenko, en Fée Dragée, fait son entrée aux côtés de Dinu Tamazlacaru, élégant et technique. Comme toujours d’une précision extraordinaire, Iana Salenko est une petite Étoile qui a tout d’une grande. La première soliste de Berlin a des pointes accentuées et contrôlées jusqu’au bout des ongles. Ses équilibres sont presque surnaturels, ses échappés savamment rythmés. Ses pas de cheval se font désirer. S’il fallait trouver à redire, il lui manquerait peut-être des ports de têtes plus énergiques, des poignets plus accentués, un tempérament plus latin. Mais est-ce bien nécessaire pour interpréter le rôle de Fée Dragée ?
La variation de la Fée Dragée, retouchée par les deux chorégraphes russes Vasily Medvedev et Yuri Burlaka, est moins éprouvante techniquement que celle dansée à Paris. Plus simple, la variation est débarrassée de ses difficultés : moins de pirouettes, pas de ronds de jambes ni de manège final, même si le travail de bas de jambes minutieux, entre échappés et menés, demeure de rigueur. Iana Salenko, emportée par son public à la coda, régule ses fouettés en des doubles ou triples. Du panache contrôlé, voilà ce que possède Iana Salenko !
On gardera de ce Casse Noisette berlinois le souvenir d’une production gigantesque : décors féeriques, costumes époustouflants, distribution monumentale comprenant la compagnie du Staatsballett de Berlin presque au complet et un très grand nombre d’élèves de la Staatliche Ballettschule. L’École de formation berlinoise a mis en effet le paquet, même si j’aurais apprécié que les petits rats berlinois se fassent plus discrets par endroit. La pantomime d’angelots en ouverture du second acte, flottant dans des nuages fumigènes, ou encore celle d’autres jeunes danseurs qui prennent leur relais, vêtus de costumes à l’exotisme non identifié, laissent parfois perplexe. L’attendrissement a du bon mais la mesure aussi, et ce même pendant les fêtes de fin d’année !
Casse Noisette de Vasily Medvedev et Yuri Burlaka à la Deutsche Oper de Berlin par le Staatsballett de Berlin. Avec Iana Salenko (Clara/Fée Dragée), Dinu Tamazlacaru (Casse Noisette/Prince Coqueluche), Arman Grigoryan (Rois des rats), Frieda Kaden (Clara enfant), Like Ruben Talirz (Fritz), Michael Banzhaf (Drosselmayer) et le corps de ballet du Staatsballett de Berlin et les élèves de la Staatliche Ballettschule de Berlin. Mercredi 16 décembre 2015. À voir les 25 et 30 décembre 2015 et le 1er janvier 2016.