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[Sortie ciné] Polina, danser sa vie de Valérie Müller et Angelin Preljocaj

Adapté de la bande dessinée Polina, le premier film du couple Valérie Müller et Angelin Preljocaj donne vie à l’itinéraire décousu d’une jeune danseuse russe qui cherche sa voie artistique au sortir de l’école du Bolchoï. C’est relativement gracieux de gratifier les cinéphiles d’un film sur l’art chorégraphique. Mais c’est un tantinet fâcheux que l’argument initial ait été récupéré par une doctrine aussi ouvertement pro-danse contemporaine, avec les inévitables clichés qui vont avec. Les balletomanes auront matière à jaser.

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Polina, danser sa vie de Valérie Müller et Angelin Preljocaj

Le créateur original du personnage de Polina (prénom rendant hommage à l’Etoile précoce Polina Semionova), Bastien Vivès, ne connait rien à la danse, de son propre aveu. Et c’est là que la bât blesse dans la bande dessinée. Sans la connaissance fine des rouages du monde du ballet, l’auteur a peiné à entourer sa danseuse à la dérive d’une profondeur psychologique vraisemblable. Formée à l’ancienne dans une académie classique, Polina parvient à intégrer le corps de ballet du Bolchoï qu’elle quitte presque instantanément. Parce qu’elle ne s’épanouit pas dans le vocabulaire classique, elle cherche un exutoire, qui se présente sous la forme d’un choc esthétique. Polina découvre un nouveau langage corporel : la danse contemporaine. Commence alors l’errance de petites compagnies en petites compagnies en Europe de l’Ouest, ternie par un passage à vide où elle se résout à être serveuse dans un bar. Biberonnés à l’excellence des grands Opéras nationaux, les balletomanes n’adhéreront pas tous à ce destin fragmenté. Il fallait le regard d’un expert du milieu, le chorégraphe Angelin Preljocaj, pour rendre à Polina ses lettres de noblesse.

L’adaptation cinématographique a pour mérite premier d’étoffer l’environnement intime de Polina. La jeune enfant est issue d’un milieu modeste, qui la contraint à aider ses parents certains jours de classe. Intransigeant, le professeur Bojinski, symbole de l’enseignement à la soviétique, ne veut rien savoir de cette fragilité sociale. Dans sa banlieue blafarde aux allures industrielles (triste image du Moscou périphérique), la petite Polina s’apprête à épouser à contrecoeur le rêve que ses parents ont tissé pour elle : entrer dans le prestigieux théâtre du Bolchoï. Son père flirte d’ailleurs avec le grand banditisme pour payer les cours de sa fille.

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Polina, danser sa vie de Valérie Müller et Angelin Preljocaj

Au-delà de la violence physique à laquelle la jeune danseuse est soumise, le film introduit donc une certaine violence sociale… parfois jusqu’à l’excès. Ainsi de l’intrusion de malfrats peu orthodoxes dans l’appartement familial – mis à sac – qui préfigure les pulsions auto-destructrices qui mineront plus tard les débuts de Polina dans sa vie d’adulte. Polina est dès l’enfance confrontée à la violence sous toutes ses formes, notamment morale dans une salle de cours où elle semble ne pas avoir sa place, elle qui n’est « pas très souple » aux yeux de son imperturbable professeur. On comprend mieux, dès lors, ce qui la pousse à fuir l’univers confiné de la danse classique et à s’échapper de la rudesse de sa Russie natale. Le film fait alterner plans d’usines post-soviétiques, forêt de bouleaux enneigés et lieux de prestige national pour dépeindre un pays encore mû par des dynamiques contradictoires. Mais aucune n’irrigue le coeur de Polina.

Anastasia Shevtsova, ballerine au Théâtre Mariinsky, embrasse le rôle dans la réserve et la nuance. Nul ne soupçonne le tumulte qui bout en elle. Son regard bleu-gris constamment absent donne au film une tonalité mélancolique. Polina est insondable car elle a tout intériorisé. Et elle menace d’imploser. A Moscou, elle est danseuse mais pas encore artiste. Sa soif de vivre la mène à Aix-en-Provence où une compagnie de danse contemporaine (entre les lignes, celle d’Angelin Preljocaj) l’engage avec son amoureux (joli coeur, Niels Scheider).  C’est à partir de là que le film enchaîne les écueils. Polina est « très classique« , des mots de la chorégraphe (Juliette Binoche, très artiste bohème rive gauche), comprendre : trop lisse. Sa vision de la danse ? Le travail, la technique. Car le film oppose, ce n’est pas nouveau, la danse classique « trop jolie » mais vide de sens, au contemporain, qui est dans le « vrai« . La danseuse classique est obsédée par la technique, la danseuse contemporaine par l’interprétation. La danse classique est repliée sur elle-même, la danse contemporaine « voit le monde« . Polina disjoncte, elle n’a pas 20 ans mais en a déjà marre « d’exécuter les chorégraphies des autres« . Elle finit par créer son propre vocabulaire chorégraphique. Le final dansé qui met en scène Anastasia Shevtsova et Jérémie Bélingard est peut-être un peu convenu et d’un point de vue artistique, on a connu Angelin Preljocaj plus inspiré. Mais la danse devient alors cet art déduit de la vie même, que Paul Valéry portait aux nues.

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Polina, danser sa vie de Valérie Müller et Angelin Preljocaj

Si la bande dessinée était noyautée par la relation presque oedipienne que Polina entretenait avec son premier professeur de danse, Polina – Danser sa Vie élude ce lien aussi ambivalent que solide. Malgré la force ténébreuse d’Alexeï Gouskov, qui prend ici les traits de l’imperturbable Bojinski (un nom de famille qui semble vaguement dérivé du mot Dieu en russe), le film passe à côté de l’essentiel. Polina – Danser sa vie se laisse regarder sans déplaisir. Saisissant l’occasion de l’adaptation de la bande dessinée, en s’affranchissant néanmoins de ce qui en fait la force, le film se lit comme une ode à la danse contemporaine, libératrice, qui guide la construction personnelle de l’héroïne jusqu’à la réconciliation finale de son identité avec ses origines. En filigrane, on devine à l’ouvrage la main d’Angelin Preljocaj qui fait quelque part sa propre promotion. Ne serait-ce que pour revoir Jérémie Bélingard danser furtivement sur les docks d’Anvers – à défaut de rentrer au port – le film vaut bien le détour des balletomanes. Les néophytes se laisseront peut-être davantage séduire par ce parcours initiatique.

 


 

 

Comments (2)

  • Pascal beauchamp

    Bonjour et merci pour votre critique qui hélas confirme l’impression ressentie en regardant la bande annonce. le film semble reposer sur une vision manichéenne qui oppose la danse classique et la danse contemporaine. Le plus triste est de voir figurer le nom d’un chorégraphe comme A. Prejlocaj dans une telle aventure. C’est pour moi la plus grande déception de ce film.

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    • Geneviève

      Bonjour Pascal, je ne résiste pas au plaisir de vous envoyer une réponse suite à votre commentaire. On est bien d’accord que tous les goûts sont dans la nature, et je le respecte pleinement. Simplement, au travers de votre commentaire, vous semblez lire entre les lignes la critique énoncée, en vous forgeant une opinion – uniquement sur une bande annonce- , que vous interprétez à la lumière de vos propres a priori. Ce que je peux simplement vous dire, pour moi qui ai eu le plaisir de le voir, c’est qu’en aucun cas ce film ne se veut l’argument d’une opposition danse classique versus danse contemporaine, mais plutôt le cheminement d’une jeune femme qui se cherche, et qui ne trouve son espace dans aucune de ces expressions. Au contraire, tout au long du film, la danse classique est magnifiée par des partis pris cinématographiques très forts : plongé du haut de la scène, gros plans serrés au ras du sol sur les pointes de la danseuse…, jusqu’au final qui mêle la créativité de Polina au lexique classique. Polina ne se sent d’ailleurs guère mieux avec la danse contemporaine à Aix, au point de se blesser et littéralement fuir la compagnie contemporaine. Tant qu’elle n’a pas trouvé sa propre voie, elle n’en finit pas de se questionner. Le propos du film est bien celui inscrit dans son titre : « Danser sa vie ». Polina est donc un parcours à travers la danse, une quête personnelle et artistique rigoureuse, qui n’oppose pas les genres, mais qui ouvre à Polina les yeux sur le monde. D’ailleurs, ne voit-on pas à la fin, dans le retour de son maître de danse classique en insert dans le dernier pas de deux, l’indéfectible complicité qui unit Polina à son mentor ?

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