Until the Lions, le Mahabharata selon Akram Khan
Until the Lions, c’est le titre quelque peu énigmatique de la dernière création d’Akram Khan. Le chorégraphe britannique s’est inspiré d’un épisode du Mahabharata revisité par l’écrivaine Karthika Naïr pour livrer un spectacle dansé à toute allure par le maître et deux danseuses d’une virtuosité époustouflante. Cela donne 1h10 de danse magistrale et de théâtre accompagnés par quatre musiciens chanteurs qui enchainent avec une facilité déconcertante percussions, ancien français et mélopées arabes sur une partition originale écrite par Vincenzo Lamagna.
Rien d’étonnant à ce qu’Akram Khan se soit emparé du Mahabharata, ce poème épique indien qui offre un puits sans fond pour qui veut s’en inspirer. Il l’avait déjà effleuré en 2009 dans Gnosis avec le personnage de Gandhari. Mais entre ses ancêtres venant de cette Asie du Sud-Est et son rôle de figurant à 13 ans dans la magistrale adaptation théâtrale de Peter Brook, il y avait comme une prédestination pour le chorégraphe à voir plus large et plus grand.
Akram Khan a toujours privilégié une trame narrative dans ses spectacles, non pas pour restituer à la lettre une histoire mais pour s’en servir et la sublimer. C’est ce qu’il parvient à faire cette fois encore dans Until the Lions. Il y incarne le personnage masculin Bheeshma, qui a enlevé la princesse Amba le jour de ses noces pour l’offrir en mariage à son frère. Bien qu’elle retrouve la liberté, Amba, rejetée par sa famille et son fiancé, ne rêve alors que de vengeance. Elle l’obtiendra en se sacrifiant pour se réincarner sous la forme d’une autre princesse, Shikhandi, à qui un esprit de la forêt a donné l’aspect d’un homme. Matériau simple et complexe à la fois qui permet à Akram Khan « d’explorer l’expression physique des sexes en renouant avec le Kathak, la danse traditionnelle de l’Inde…« , comme l’explique le chorégraphe dans sa note d’intention.
Le résultat est fracassant. Pour raconter cette histoire d’amour et de combat, Akram Khan a choisi une arène. Le spectacle se joue sur un vaste tronc en coupe dont les stries marquent le temps et autour duquel ont pris place les quatre musiciens. Des bambous sont posés tout autour, parfois plantés sur scène comme pour dessiner un passage, tantôt transformés en armes menaçantes dans ce combat à mort. Ching–Ying Chien (Amba) et Christine Joy Ritter (son double Shikhandi) sont l’une et l’autre époustouflantes de virtuosité. La première avec une danse nerveuse, près du sol, parfois à quatre pattes faisant penser à un insecte géant cherchant sa proie. La seconde toute en torsions extrêmes mais toujours signifiantes dans cette lutte à mort avec Basheema. Leurs solos respectifs laissent en état de sidération absolue.
Et puis sur scène, il y a Akram Khan. Il y a de multiples raisons pour aller voir Until the Lions mais s’il n’en fallait qu’une, ce serait de découvrir encore une fois le danseur qu’est le chorégraphe. Après quelques blessures qui l’ont éloigné de la scène, le chorégraphe britannique a décidé d’arrêter de danser en 2018. C’est dire qu’il reste bien peu de temps pour applaudir celui qui a réinventé le khatak, transformant une danse folklorique en art contemporain. Akram Khan est toujours en pleine possession de ses moyens techniques : pirouettes à toute allure qui font se vriller son corps du bas en haut, courses fulgurantes, arrêts au millimètre dans cet espace circulaire qui est compté. S’y ajoute aujourd’hui un raffinement extrême dans le geste.
Il y a chez Akram Khan une volonté constante de délivrer un spectacle total où tous les sens sont sollicités. Rien n’est jamais laissé au hasard. Tim Yip, qui avait déjà collaboré sur son solo DESH, a conçu cet espace en rond, ce tronc en coupe qui à la fin se fissure et laisse deviner les entrailles de la terre. Le génial Michael Hulls a créé comme à son habitude des éclairages au cordeau qui ajoutent une dimension supplémentaire au corps des danseurs.
Les applaudissements sont partis comme une lame de fond libérant la tension que le public accumule durant le spectacle, décuplée par la proximité des artistes. A-t-on appris quelque chose du Mahabharata ? À chacun de décider mais il y a comme une évidence, celle d’avoir assisté au spectacle d’un chorégraphe majuscule.
Until the Lions d’Akram Khan à la Grande Halle de la Villette en collaboration avec le Théâtre de la Ville. Avec Christine Joy Ritter, Ching-Yin Chien et Akram Khan. Vendredi 9 décembre 2016. À voir jusqu’au 17 décembre et en tournée en 2017.