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Letter to a Man de Bob Wilson – Déambulation plastique dans l’imaginaire de Nijinski

Depuis octobre, les théâtres parisiens mettent Vaslav Nijinski à l’honneur. Après les bouleversants Cahiers de Nijinski mis en scène par Brigitte Lefèvre et Daniel San Pedro au Théâtre de Chaillot, c’est au tour de Bob Wilson de s’appuyer sur le Journal écrit par Vaslav Nijinski au moment où il sombre dans la folie, pour proposer Letter to a Man. Entre danse, théâtre et mime, cette courte pièce réunit quatre monstres sacrés : Mikhaïl Baryshnikov interprète Vaslav Nijinski, au son des voix de Bob Wilson et Lucinda Childs. Plastiquement, Letter to a Man déroule des tableaux d’une éblouissante perfection, tous plus beaux et intelligents les uns que les autres, mais qui ne parviennent que trop rarement à émouvoir.

Letter to a Man de Bob Wilson – Mikhail Baryshnikov

Sur scène, Mikhaïl Baryshnikov est seul, séparé du public par une guirlande lumineuse qui évoque la rampe des théâtres d’autrefois. A la fois nostalgiques et dérisoires jusqu’à la parodie, nombreux sont dans Letter to a Man ces détails issus d’une autre époque, celle où vécut Vaslav Nijinski. Vêtu d’une queue-de-pie, ganté de blanc, et le visage blanc lui aussi peint d’un masque expressionniste, Mikhaïl Baryshnikov a des airs de star du muet, mais aussi, étrangement, de Joker cynique et sadique, ou même de vampire.

Sans concordance chronologique avec le Journal de Nijinski, Letter to a Man est une déambulation dans l’imaginaire d’un homme qui a sans doute depuis longtemps basculé dans la folie. Sur fond de décors d’une splendeur plastique hypnotisante, Mikhaïl Baryshnikov déforme son visage de rires et de rictus, esquisse gestes gracieux et grotesques, et parfois fait écho d’une voix rauque ou suraiguë aux phrases obsessionnellement répétées par les voix de Bob Wilson et Lucinda Childs, en anglais, en russe, en français.

Letter to a Man de Bob Wilson – Mikhail Baryshnikov

À chaque phrase extraite du Journal de Nijinski correspond un tableau, toujours plus surprenant, plus intense visuellement. Châteaux scintillants, épée qui s’embrase, théâtres de guignol, et même une gigantesque poule baladée en laisse… oscillant du tragique au burlesque, les scènes évoquent de nombreuses obsessions de Nijinski. Son horreur de la guerre, Dieu, Diaghilev, la sexualité, les femmes, tissent les échos d’un esprit au bord du précipice. Et pourtant, la musique décalée, les décors froids, les mimiques de Baryshnikov empêchent que ne se produise une quelconque empathie. Une scène y fait exception : dans le vide crépusculaire qui pourrait être celui d’une église abandonnée, abîmé par le sublime d’un vitrail translucide, Baryshnikov recule pas à pas sur une planche de bois. Soudain, il s’efface, laissant apparaître Nijinski. Mais à la scène suivante, c’est à nouveau Baryshnikov que l’on retrouve.

Peut-être cette froideur est-elle un choix esthétique. Peut-être cela intéresse-t-il Bob Wilson de montrer le spectacle comme spectacle. Mais cela convient assez mal au Journal de Nijinski. Là où Les Cahiers de Nijinski interprétés par Clément Hervieu-Léger et Jean-Christophe Guerri n’étaient qu’étreinte, Letter to a Man luit de son propre éclat, mais loin du public. 

Letter to a Man de Bob Wilson – Mikhail Baryshnikov

 

Letter to a Man de Robert Wilson à l’Espace Pierre Cardin. Avec Mikhail Baryshnikov. Mercredi 21 décembre 2016.

 

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