Le Rouge et le Noir d’Uwe Scholz – Ballet de l’Opéra du Rhin
Sur le papier, le Ballet de l’Opéra du Rhin n’est pas en bonne position, avec un directeur (Ivan Cavallari) à peine arrivé et déjà sur le point de partir et une saison en transition. C’est pourtant une compagnie pleine de talent et d’énergie collective qui s’est présentée sur la scène de l’Opéra de Strasbourg, pour l’entrée au répertoire de l’oeuvre Le Rouge et le Noir d’Uwe Scholz. Ce ballet néo-classique narratif, genre qui se fait rare en France, transpire l’inspiration de John Cranko – le génie en moins. Si l’ensemble n’est pas déplaisant à voir, c’est bien grâce à la troupe investie qui sait faire vivre des personnages. De bon augure pour la suite, qui se passera sous la direction de Bruno Bouché.
Uwe Scholz ne s’en cache pas : John Cranko est son maître et sa source d’inspiration. Le Rouge et le Noir a d’ailleurs été créé pour les 60 ans du chorégraphe, et rend hommage explicitement dans sa forme au chef-d’oeuvre Onéguine. L’histoire reprend un grand morceau de la littérature ; la musique est un assemblage de pièces d’un même compositeur (Berlioz cette fois-ci) ; Julien Sorel a des allures d’Onéguine dans sa redingote noire, ses cheveux aux vents et son allure romantique ; les deux personnages féminins représentent l’une le drame, l’autre la joie de vivre. Du pas de deux enflammé dans la chambre à la scène de bal aux robes froufroutantes, en passant par la fin forcément dramatique, tous les éléments sont là. Mais sans l’inspiration dans la danse. Celle d’Uwe Scholz est particulièrement plate et répétitive, appréciant beaucoup les piqués arabesques et les assemblées soutenues, et c’est à peu près tout (toute la palette de la petite batterie est complètement absente, et on n’en est pas loin pour les grands sauts). Pour combler, il accentue le drame jusqu’à l’overdose, n’ayant pas peur d’une scène de décapitation interminable et sans grande subtilité.
Néanmoins, Le Rouge et le Noir se regarde sans déplaisir. La trame est là, les personnages aussi (même si la caricature n’est jamais bien loin), peut-être également le plaisir de voir une grande fresque narrative pas facile à trouver en France aujourd’hui. Et à défaut d’être inventif, Uwe Scholz est musicien et propos une danse assez naturelle. La scène du bal chez le Marquis de La Mole se laisse apprécier, le chorégraphe sait faire évoluer un corps de ballet relativement conséquent. Le personnage de la jeune Mathilde est d’ailleurs des plus réussis et donne un pas de deux plutôt bien troussé avec Julien Sorel, où l’amour se transforme bataille et conquête, épée à la main. C’est d’ailleurs surtout le sentiment amoureux qui est travaillé dans cette relecture du Rouge et le Noir, plus que l’ascension sociale et l’ambition de Julien Sorel qui a du mal à transparaître. Entre l’acte 1 chez son père et Madame de Rênal, l’acte II au séminaire et chez le Marquis de La Mole, l’acte III sur les champs de bataille et en prison, l’histoire se laisse en tout cas suivre efficacement.
Et puis il y a la troupe complètement investie pour raconter cette histoire, comme souvent avec ces ballets récents qui tombent vite dans la facilité. Céline Nunigé, délicieuse, piquante et téméraire Mathilde de La Mole, porte le deuxième acte du bout de ses pointes avec charisme. Dongting Xing est une Madame de Rênal passionnément amoureuse et profondément dramatique. Hamilton Nieh cherche au début les contours de Julien Sorel, se laissant porter par les événements et les femmes, avant de prendre sa pleine mesure au cours du deuxième acte, poussé dans son jeu par Céline Nunigé. Surtout, il y a l’énergie du groupe, celle d’une troupe soudée autour d’un projet, pleine d’envie et de faire vivre une histoire sur scène, montrant au fil des seconds rôles de nombreuses personnalités. Une énergie déjà repérée dans La Création de ce même Uwe Scholz en septembre dernier, et qui donne décidément envie de suivre cette compagnie. Que voudrait d’ailleurs faire d’elle son nouveau directeur Bruno Bouché ? « Un ballet du XXIe siècle« . Un programme alléchant.
Le Rouge et le Noir d’Uwe Scholz par le Ballet de l’Opéra du Rhin à l’Opéra de Strasbourg. Avec Hamilton Nieh (Julien Sorel), Dongting Xing (Madame de Rênal), Céline Nunigé (Mathilde de la Mole), Alexandre Van Hoorde (Monsieur de Rênal), Wendy Tadrous (Elise), Thomas Hinterberger et Jean-Philippe Rivière (les frères de Julien), Alain Trividic (Monsieur X/Le Marquis de la Mole), Didier Merle (l’abbé Chélan), Miao Zong (le père de Julien) et Marwik Schmitt (le prêtre Pirard). Mercredi 11 janvier 2017. À voir les 21 et 22 janvier à Colmar et du 28 au 31 janvier à Mulhouse.