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Journal de Russie – L’hiver s’achève

Les rues de Moscou ruissèlent du dégel qui annonce la fin de l’hiver. Après une actualité de février volcanique, le printemps va peut-être ralentir la cadence effrénée du ballet russe. Retour sur les soubresauts d’hiver qui ont fait les gros titres de la presse spécialisée le mois dernier.

 

La nouvelle fracassante du mois

 Elle était l’une des dernières représentantes de la pétulance fière et hardie du Bolchoï. À mille lieues des stéréotypes des icônes du Mariinsky, qui foisonnent à Moscou, Maria Alexandrova, Étoile de 38 ans à la personnalité affirmée en scène, démissionne du Bolchoï. Elle décide de poursuivre des projets chorégraphiques en dehors de la scène qui l’a vue naître (ndlr : contrairement à la majorité des étoiles actuelles, Maria Alexandrova est un pur produit du Bolchoï). Si elle n’a pas donné d’explication officielle, elle a laissé entendre qu’elle n’était pas distribuée comme elle le souhaitait. Il faut dire que le règne écrasant de Svetlana Zakharova, qui dure depuis plus d’une décennie, a fait de l’ombre à certaines ballerines mécaniquement moins mises en valeur.

Depuis peu, de nouvelles danseuses venues de Saint-Pétersbourg connaissent un essor fulgurant. Olga Smirnova ou Youlia Stepanova sont très appréciées du directeur du Ballet du Bolchoï. La nouvelle a fait l’effet d’un mini-séisme auprès des balletomanes qui étaient attachés à la personnalité de feu de « Macha ». Sa danse audacieuse et généreuse avait conquis le public moscovite. Éprise de liberté, Maria Alexandrova va poursuivre ses collaborations avec des chorégraphes contemporains. D’après le forum Balletfriendsrula danseuse aurait néanmoins récemment signé un accord avec le Bolchoï fixant ses participations à venir au cours de la saison actuelle. L’au revoir définitif n’est donc pas pour tout de suite…

 

Le festival du mois

La Russie sait célébrer son patrimoine artistique. Youri Grigorovitch, 90 ans, a eu l’honneur d’un festival long de deux mois qui a présenté tous ses ballets inscrits au répertoire du Bolchoï. Ses grandes fresques soviétiques ont marqué l’identité du Bolchoï au XXe siècle et ses réécritures des ballets de Marius Petipa sont régulièrement données. Le festival a pris fin le 25 février dernier avec Ivan le Terrible, empreint de patriotisme et de mysticisme. Svetlana Zakharova, Denis Rodkine et Mikhail Lobukhine ont été choisis pour la distribution trois étoiles de clôture. Une longue standing ovation a suivi la représentation alors que le maître chorégraphe saluait, humble et grave, sur scène. Dans la salle électrisée par une ferveur toute slave, quelques larmes coulaient sur les joues des vieilles habituées du Bolchoï. À Paris, on attend toujours l’hommage à Pierre Lacotte, gardien le plus sacré de la tradition française…

Ivan le Terrible – Svetlana Zakharova et Mikhail Lobukhin (

 

La création en cours du mois

Le festival international annuel du Théâtre Mariinsky sera inauguré par une nouvelle version de Paquita, signée Youri Smekalov, qui s’inspirera du roman de Cervantes La Petite gitane. Rendez-vous est donné au Mariinsky le 30 mars pour la première.

Victoria Tereshkina – Paquita

 

Les débuts du mois

En février, entre Svetlana Zakharova qui a fait ses débuts dans Ivan le Terrible et Olga Smirnova qui a étreint le rôle de Giselle pour la première fois sur la scène du Bolchoï, l’émulation était soutenue. Les chemins des deux ballerines se suivent et s’entrecroisent, parfois au point de la collusion (épisode malencontreux d’Eugène Onéguine en 2013). Elles ont un commun l’élégance de l’éducation Vaganova, mais l’une a une danse spectaculaire, l’autre est davantage dans la retenue. Petit à petit, Olga Smirnova s’est forgée une identité à part, influencée par ses collaborations avec des chorégraphes étrangers.

Olga Smirnova – Giselle

 

France -Russie – L’ascension de Laurent Hilaire

Laurent Hilaire aime la Russie et elle le lui rend bien. Les interviews se succèdent pour évoquer sa carrière de Danseur Étoile – génération dorée de l’ère Noureev – et son projet artistique au Théâtre Stanislavsky. Il dirige depuis janvier une troupe moscovite au fort potentiel. Le répertoire est varié, présentant des classiques intactes depuis l’URSS, des pièces néoclassiques abstraites, des ballets soviétiques et de grands ballets narratifs néoclassiques que le Bolchoï n’a pas à son répertoire (L’Histoire de Manon, Mayerling, Tatiana). Est-ce un hasard, au passage ? C’est sur Le Lac des cygnes de Bourmeister, que danse le Ballet du « Stasik », que Laurent Hilaire a été sacré étoile. L’intéressé y voit un signe propéthique.

Dans le Kommersant, Laurent Hilaire explique que l’évolution du répertoire doit être selon lui progressive. C’est pourquoi il commencera par faire danser des « classiques modernes » à sa troupe, citant Serge Lifar, Jiří Kylián, William Forsythe, George Balanchine et Jerome Robbins. Claude Bessy se déplacera à Moscou pour faire répéter Suite en blanc aux danseurs. Un chorégraphe sera invité lors de la prochaine saison mais son nom n’a pas encore été dévoilé. Sur un média culturel, Laurent Hilaire est amené à critiquer la méthode Benjamin Millepied, qui ne s’est pas embarrassé avec l’héritage et les usages de l’Opéra de Paris. Le directeur du Stanislavsky assure n’avoir aucune amertume quant à son départ définitif de son Opéra natal. Attaché à la culture russe, il dit avoir hâte de parler couramment la langue de son pays d’accueil et semble pressé de découvrir Moscou, en dehors du théâtre où il passe toutes ses journées depuis son arrivée.

 

Le portrait du mois

C’est une poupée russe aux cheveux d’ébène. Grands yeux bleus, visage de porcelaine, traits d’une grande douceur, danse aimable et gracieuse, présence lumineuse en scène. Olesia Novikova est soliste au Mariinsky mais son talent dépasse celui de bien des étoiles de ce monde. L’émission La Loge du Tsar lui consacre un joli portrait qui donne principalement à voir sa Giselle.

 

L’interview du mois

La prochaine saison du Ballet du Bolchoï n’a pas encore été dévoilée et les rumeurs les plus acerbes circulent déjà sur le toilettage du répertoire par Makhar Vaziev. Des ballets emblématiques de Youri Grigorovitch seraient appelés à disparaître, disent les murmures. Après la célébration de ses 90 ans, voilà qui serait d’un goût douteux. Heureusement, le directeur de la danse dément ces spéculations dans une interview accordée au Moskovskii Komsomolets. Il laisse entendre que le Bolchoï célébrera la bicentenaire de Marius Petipa mais rappelle que l’hommage revient davantage au Mariinsky. Le directeur du Ballet du Bolchoï évoque également son admiration pour Pierre Lacotte, assurant que La Fille du pharaon serait donnée de nouveau. Enfin, il tâcle gentiment l’Opéra de Paris où il y a selon lui trop d’étoiles, ce qui dégrade la qualité du titre. Aurélie Dupont aurait avancé l’argument selon lequel les spectateurs exigeraient de voir des étoiles dans les rôles principaux… Un argument commercial ?

 

Le point Zakharova du mois

Si vous avez toujours rêvé de vivre la vie de Svetlana Zakharova pour une journée, vous serez comblé avec ce documentaire d’une quarantaine de minutes qui la montre dans ses péripéties quotidiennes. Séance chez l’osthéo, échauffement, répétition, dégustation de glace (!), vous saurez tout sur l’envers du décor.

La Tsarine a pu jouer son propre rôle sur scène : celui d’une tsarine, Anastasia, épouse d’Ivan le Terrible. Svetlana Zakharova n’est rarement aussi sublime que quand elle interprète des personnages sacrés, inaccessibles par leur statut. Sa spiritualité dégage une aura d’irréalité stupéfiante, qui a trouvé en Anastasia une juste résonance. Une vidéo du monologue plaintif de la Tsarine a été publiée. Attention, petit bijou !

 

Un Italien à Moscou

C’est peut-être le nouveau Roberto Bolle, en plus ténébreux. Repéré par Makhar Vaziev à La Scala, Jacopo Tissi débarque au Bolchoï pour rejoindre durablement la troupe de danse. Il avait été choisi par Svetlana Zakharova, en remplacement de Sergueï Polounine, pour la première de La Belle au bois dormant dans la version d’Alexeï Ratmansky. Propulsé au sommet alors âgé de moins de 20 ans, Jacopo Tissi était promis à un avenir radieux. Il fut un temps où le ballet à l’italienne était acclamé en Russie : les échanges entre les deux pays étaient nombreux. Mais depuis le XXe siècle, ce sont les Russes qui étaient applaudis à Milan et l’inverse n’était pas vrai. Jacopo Tissi inverse la tendance.

Jacopo Tissi (Russian Ballet Insider)

 

Le rendez-vous de mars

Pathé Live présentera son avant-dernier ballet du Bolchoï de la saison le 19 mars prochain. Sous l’appellation énigmatique « Soirée contemporaine », le programme mixte déclinera en réalité trois oeuvres néoclassiques : Études (Harald Lander), The Cage (Jerome Robbins) et Saisons russes (Alexeï Ratmansky). Une hérésie pour le Bolchoï ? Pas vraiment. Études fait son entrée au répertoire cette année et c’est le ballet le plus académique, classique, de la soirée. La compagnie devrait s’approprier avec aisance le vocabulaire virtuose d’Études, que Lander avait imaginé comme la rencontre des écoles de danse française et danoise. Les tutus blancs et les pointes seront bien au rendez-vous.

Jerome Robbins est un chorégraphe peu familier du Ballet du Bolchoï. Pourtant, ses variations émaillées de références au folklore slave devraient bien aller au Bolchoï. La musicalité et l’esprit dont font montre les danseurs et danseuses de la troupe sauront habiter intelligemment The Cage. L’argument, quant à lui, est loufoque. Avec leurs membres allongés, les ballerines du Bolchoï n’auront aucun mal à figurer des insectes.

Quoi que de plus adéquat, sur papier, que Les Saisons russes d’Alexeï Ratmansky pour colorer l’identité de la troupe d’un motif national ? Il faudra faire preuve d’observation pour saisir le parfum subtil de l’âme slave qui se dégage de ces saisons abstraites.

Études de Harald Lander

 

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