Jérémie Bélingard improvise ses adieux au Palais Garnier
Il règne toujours une atmosphère particulière au Palais Garnier lors d’une soirée d’adieux. Quelque chose d’électrique dans l’atmosphère dès que l’on a monté le grand escalier. La foule semble plus habillée. Et puis l’on s’interpelle près de l’entrée des sièges d’orchestre, on s’embrasse et on devine que sont réunis tous les amis, les camarades, les collègues de Jérémie Bélingard qui veulent une dernière fois applaudir celui qui les a fait rêver ou dont ils ont accompagné la carrière. Il y a des têtes connues, la Directrice de la Danse Aurélie Dupont, l’ancienne Directrice de la Danse Brigitte Lefêvre qui le nomma Danseur Étoile à l’issue d’une représentation de Don Quichotte.
Jérémie Bélingard n’a jamais fait les choses tout à fait comme tout le monde. Plutôt qu’un dernier salut après avoir interprété un pièce du répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris, il a préféré faire cela à sa manière : seul, sans personne autour de lui, sans danseur-se-s, sans chorégraphe si ce n’est lui-même pour un solo qu’il improvise, intitulé Scary Beauty. Peut-être a-t-il choisi ce programme exigeant qui réunit Merce Cunningham et William Forsythe pour sa dernière danse ? L’histoire ne le dit pas, pas plus que le programme. Il faudra se contenter de la feuille de distribution pour en savoir un peu plus.
C’est en tout cas placer la barre très haut que de se présenter sur scène après deux maitres, qui chacun à leur façon et dans des styles très différents, ont révolutionné la danse. Curieuse association qui ne va pas forcément de soi. Walkaround Time est une pièce aride, difficile et qui n’est pas la meilleure porte d’entrée dans l’univers de Merce Cunningham. Œuvre historique à laquelle ont collaboré Marcel Duchamp et Jasper Jones et qui contient des moments de danse où se voit le vocabulaire du chorégraphe, sa manière de jouer avec les arabesques, les sauts, et de faire s’entrelacer les danseur-se-s. Cela reste une pièce expérimentale passionnante pour les historien.ne.s de la dans, mais qui joue avec les nerfs du public. Trio de William Forsythe est pour sa part un interlude drôle qui se moque gentiment la nature exhibitionniste des danseur-se-s. Éléonore Guérineau, Fabien Révillon et Simon Valastro y furent épatants. Même constat pour Herman Schmerman qui se conclut avec le fameux pas de deux interprété par Hannah O’Neill et Hugo Marchand, l’une et l’autre souverain.e.s dans les décalés acrobatique de William Forsythe.
Il fallait bien un entracte pour se préparer à la dernière séquence. Scary Beauty, voilà le titre du solo de Jérémie Bélingard. La musique est de Keiichiro Shibuya qui joue sa partition sur scène au piano. L’entrée est à proprement parler fracassante : habillé de rouge et juché sur un tabouret, Jérémie Bélingard s’élance dans le vide sous les cris effrayés du public… qui n’a pas vu la trappe ouverte sur la scène. Il sort très vite par une autre trappe et entame une danse au sol faite de rouler sur soi. À ce moment précis, je retrouve ce qui a séduit chez Jérémie Bélingard, cette façon unique, féline de se déplacer. Des souvenirs émergent, les rôles qui ont scandé sa carrière et nos mémoires, en particulier Le Jeune homme et la Mort de Roland Petit où il déployait cette danse charnelle, presque animale.
Puis derrière un rideau où se projette en vidéo comme une pluie d’étoiles, Jérémie Bélingard poursuit ce solo très construit où se lisent des évocations furtives de hip-hop et de breakdance. C’est aussi insolite qu’imprévu mais qu’importe : ce que nous donne à voir à ce moment Jérémie Bélingard, c’est sa solitude, celle de l’artiste face à lui-même. Ce n’est pas un hasard s’il a décidé de partir selon ses propres termes, renâclant encore une fois à danser le répertoire de cette maison dans lequel il n’aura jamais trouvé vraiment sa place.
Comme de juste, la salle explose en applaudissements. Ses deux jeunes fils et quelques ami.e.s – très peu – le rejoignent sur scène. Il y a là Eleonora Abbagnato, Marie-Agnès Gillot, Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche qui lui avait offert le rôle de Caligula. Il y a à ce moment là de l’émotion, mais aussi une forme de soulagement chez Jérémie Bélingard en route pour une nouvelle vie.
Soirée d’adieux de Jérémie Bélingard au Palais Garnier. Walkaround Time de Merce Cunningham ; Trio de William Forsythe avec Éléonore Guérineau, Fabien Révillon et Simon Valastro ; Herman Schmerman de William Forsythe avec Hannah O’Neill et Hugo Marchand ; Scary Beauty, solo improvisé par Jérémie Bélingard. Samedi 13 mai 2017.
Iris
C’était vraiment une magnifique prestation, très intense. En fait il a repris le concept – toujours accompagné de Shibuya- de Parade for the End of the World qu’il avait donné à la Maison de la Culture du Japon l’an dernier. On apprendra plus tard dans le discours d’Aurélie Dupont que l’idée de reprendre cette collaboration improvisée venait d’elle et qu’à l’origine il ne souhaitait pas de soirée spéciale d’adieux (j’avais entendu dans une itw pour une radio qu’il n’aimait pas être le centre de l’attention). Et elle a également précisé qu’il disait souvent que l’Opéra n’était pas pour lui (mais que ça resterait sa maison). CQFD. Au final c’était une très belle soirée en crescendo et beaucoup d’émotions.