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Ils tutoient les étoiles – Portrait de la funambule Tatiana-Mosio Bongonga et du collectif Basinga

Je l’avais découverte à la Biennale des Arts du Cirque de Marseille, dansant dans les airs, solaire, radieuse, comme la cité phocéenne en ce jour de janvier 2017. Toujours accompagnée de ses vibrants musiciens, elle fait ces 25 et 26 mai une grande Traversée à Lannion, dans le cadre du festival Gare au gorille qu’organise le Carré Magique – Pôle national cirque en Bretagne. L’occasion de dessiner le portrait de Tatiana-Mosio Bogonga, une jeune femme qui trace son chemin dans les cieux.

Tatiana-Mosio Bongonga au festival Mad in Sauve

Au fil des rencontres

Tatiana-Mosio Bongonga a sept ans lorsqu’elle découvre au détour d’une fête de quartier une funambule effectuant, à dix mètres du sol, une traversée entre deux immeubles. Coup de foudre immédiat. Elle s’inscrit dès la rentrée suivante aux Artistochats, une école de cirque loisir située non loin de Caen. Elle y reste treize ans. « C’était un ancien funambule traditionnel qui tenait cette école, passionné, très bon pédagogue, désireux de transmettre son art. J’ai eu un très bon professeur« , se souvient-elle. Si elle aime plus que tout pratiquer le fil, elle ne se voit pour autant pas sous les feux de la rampe. Elle poursuit des études de psychologie dans le but de devenir éducatrice spécialisée. Las, des changements importants interviennent dans son école qu’elle quitte faute de pouvoir pratiquer comme elle l’entend. Ceci entraîne un virage à 180 degrés dans son parcours : « À ce moment-là je me suis rendu compte que j’étais funambule, que j’avais besoin d’être sur le fil et que le spectacle était le seul moyen de pouvoir continuer à exercer. » Suit alors une année à l’école Balthazar de Montpellier, avant qu’elle n’intègre la 19e promotion du CNAC dont elle sort diplômée avec mention très bien en 2007.

Commencent dès lors des collaborations avec différentes compagnies, comme Buren Cirque ou Les Colporteurs, et la participation à divers événements tels que le Festival Mondial du Cirque de Demain où, accompagnée par son père à la guitare, elle est couronnée d’une médaille d’or en 2012. Deux ans plus tard, avec Émilie Pécunia à la régie et Jan Naets à la technique, elle cofonde Basinga, collectif rassemblé autour de l’art du funambule auquel participe également la chanteuse Pascale Valenta ou le percussionniste et batteur Antonin Leymarie.

Tatiana-Mosio Bongonga au CNAC

À la même époque, sa rencontre avec la Fondation BNP Paribas qui, à l’occasion de ses 30 ans, la contacte pour une traversée du Marché Saint-Honoré, permet de consolider ce projet. Ils décident en effet de la soutenir pour trois ans, lui offrant un budget de 20.000 euros annuel qui permet de développer la compagnie. « C’est assez hallucinant. D’un coup, nous avons pu embaucher quelqu’un pour la production, pour organiser toutes nos résidences, avancer sur l’achat de cordes qui, mieux que les câbles parce que plus légères, permettent une installation plus facile. Cela nous a également donné une grande visibilité au niveau de la presse, l’occasion de pouvoir nous exprimer et d’être attendus dans les lieux que nous traversons. Travailler avec la Fondation, qui est réellement à l’écoute des artistes, est une énorme chance. » s’enthousiasme-t-elle.

 

L’art du funambule comme métaphore de la vie

Pour le collectif Basinga, le fil n’est rien d’autre qu’une métaphore de la vie. On y recherche l’équilibre, créée des liens pour avancer, ensemble. « Nous avons vraiment envie de couper avec la figure isolée de la funambule. Nous revendiquons même le contraire, insistons sur le fait qu’elle est dépendante. Si elle arrive à traverser, c’est que des personnes sont là pour tenir les cordes, pour éviter que le fil ne bouge. » Ainsi, à Lannion comme le 2 juin prochain devant le Théâtre Aragon de Tremblay en France, plusieurs dizaines de cavalettistes (ndlr : les cavaletti sont des petites plaques fixées sur les câbles des funambules permettant d’accrocher les haubans), recrutés localement en amont, aideront Tatiana-Mosio Bongonga dans sa Traversée à 20 mètre du sol. Elle rêve aussi de mieux partager l’affiche, de ne plus être la seule sous les feux des projecteurs. « Nous avons vraiment envie que par instants, la funambule puisse disparaître. Nous sommes en train de réfléchir à comment, par la mise en scène, les lumières, mettre en valeur à certains moments le groupe de musiciens, les cavalettistes, toutes les personnes qui participent au spectacle. » explique-t-elle.

Tatiana-Mosio Bongonga aux Impromptus Fratellini

Ce ne sera pas cependant chose aisée, tant la grâce et la prise de risques de Tatiana-Mosio Bongonga attirent tout les regards. Tous les regards mais aussi quelques tracas, au point qu’elle pense aujourd’hui son art menacé. Chaque arrivée dans une ville entraîne en effet son lot de commissions de sécurité et de recommandations plus ou moins aberrantes. Le collectif Basinga doit à chaque fois se battre pour imposer son point de vue, rappeler qu’ils sont des professionnels, qu’il est important de leur faire confiance. Parfois même le public s’en mêle, jugeant qu’il est inadmissible de jouer ainsi avec la vie. Selon Tatiana-Mosio Bongonga, si les réactions sont si intenses, c’est que le funambule nous rappelle ce que nous n’avons pas envie de voir, que nous sommes tous mortels, et que la prise de risque est inhérente à la vie. Mais elle trouve ce débat passionnant. « Il est très intéressant de se demander ce que veut dire être en sécurité, ce que signifie cette volonté de vouloir toujours tout contrôler. Les risques que je prends sont conscients, je n’ai aucune envie de mourir. Dans nos spectacles, la sécurité est partout, mais pas où on l’imagine. Une corde à laquelle je serais attachée ne serait pas là pour ma sécurité mais pour rassurer les gens, ce qui n’est pas notre propos. » note-t-elle.

 

Le partage et la médiation culturelle chevillés au corps

Cette Traversée sur laquelle le collectif Basinga travaille depuis sa création, et qui verra son aboutissement au Festival Spring en mars 2018, est différente pour chaque ville. Les points d’accroche, les paysages, ne sont jamais les mêmes, et elle s’inscrit dans chaque endroit de manière adaptée et particulière. À Sauve, par exemple, elle suivait le lit de la rivière, avec un énorme arrondi. À Marseille, le montage était fait à vue, c’est-à-dire que le fil était à terre avant de s’élever dans les airs. « Ce qui est intéressant est que le montage à vue crée une dynamique où la structure devient vivante. De plus, cela provoque un cycle, quelque chose se construit puis se détruit pour mieux aller se reconstruire ailleurs« , fait remarquer la funambule. Pour Viva Cité, le festival des arts de rue de Sotteville Les Rouen, des ateliers organisés en amont vont permettre d’intégrer les élèves du conservatoire local à la partition du spectacle. Ce procédé visant à contacter les structures musicales d’une ville, qu’il s’agisse d’écoles, de groupes professionnels ou amateurs, est d’ailleurs amené à se développer. « Nous avons envie de créer des espaces de surprises, que notre partition qui est volontairement assez intimiste, puisse par exemple être reprise tout à coup par tout un orchestre. Notre musique, elle aussi, à vocation à être une création in situ, à se transformer au gré des rencontres. » ajoute Tatiana-Mosio Bongonga. 

Tatiana-Mosio Bongonga à la Roche Jagu

Ces ateliers musicaux sont aussi une opportunité pour les membres du collectif Basinga d’aller à la rencontre des populations. Ce à quoi Tatiana-Mosio Bongonga tient particulièrement. « Lorsque l’on installe une grande traversée, nous ne sommes pas disponibles. Et une fois le spectacle passé, c’est fini, nous ne sommes plus considérés comme des personnes normales, notre seule façon de rencontrer les gens devient de prendre des photos avec eux, ce qui m’attriste car c’est le contraire d’un vrai partage, de ce dont j’ai envie. » regrette-t-elle. Pour éviter ce travers ils ont étendu le principe des ateliers à toutes les disciplines maîtrisées par la troupe, développant tout un panel de médiation culturelle. Tatiana-Mosio Bongonga dispense des ateliers de funambule, Jan Naets, qui dans une autre vie fut un éducateur spécialisé, organise autour du thème des cavalettistes des jeux collaboratifs où l’on apprend à s’entraider pour gagner. Un écrivain qui a rejoint la compagnie organise même des ateliers d’écriture. « Nous avons vraiment envie de partager avec un public à chaque fois différent, ce peut être des jeunes de la PJJ (ndlr : protection judiciaire de la jeunesse), de collèges difficiles ou non, nous sommes ouverts à toutes les propositions, nous adorons faire ça. Cela nous permet de partager des choses totalement différentes de la scène, d’abolir les barrières. Après ça, lorsque les jeunes voient le spectacle, pour eux je ne suis pas la funambule mais bien Tatiana » se réjouit-elle. Une manière généreuse d’unir sa passion du fil à son amour des échanges.

 

Traversée du collectif Basinga est à voir :
– les 25 et 26 mai à Lannion – Festival Gare aux Gorilles
– le 2 juin à Tremblay en France – Festival Le Chapiteau Bleu
– le 17 juin à Alba La Romaine – Festival Les Préalables
– le 1er juillet à Sotteville les Rouen – festival Viva Cité.

 

 

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