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Rencontre avec Laurent Liotardo, danseur à l’English National Ballet et photographe

Laurent Liotardo est Junior Soloist (Sujet) à l’English National Ballet. Né et formé à Marseille, il est passé par Bordeaux et Paris avant de partir Outre-Manche. Il arbore aujourd’hui un accent singulier, à mi-chemin entre celui chantant du sud de la France et les intonations rondes de l’anglais qu’il parle tous les jours depuis maintenant quatorze ans. Le danseur est également photographe de danse depuis plusieurs années. Entretien avec un artiste particulièrement overbooké qui jongle au quotidien avec ses deux passions.

Laurent-Liotardo

Laurent Liotardo

 

Comment avez-vous commencé la danse ?

J’ai commencé à Marseille avec Colette Armand chez qui j’ai fait la plupart de mes années d’école, sauf la dernière, que j’ai faite à l’école de Roland Petit jusqu’en 1998. J’ai passé le concours de Lausanne à cette époque-là, puis j’ai obtenu mon premier contrat de danseur à l’Opéra de Paris en 1999 où je suis resté une saison. De là, je suis parti à Bordeaux où je suis également resté le temps d’une saison, puis à Marseille pour deux saisons supplémentaires avec Marie-Claude Pietragalla. J’ai pas mal voyagé quand j’étais jeune, j’étais impatient, j’aimais bien bouger.

A 18 ans, je voulais découvrir le fonctionnement d’une compagnie, partir en tournée, explorer plusieurs manières de travailler. Après, il est parfois difficile de s’adapter. Dans une compagnie classique, il faut rester un certain temps avant de pouvoir monter les échelons et accéder à des opportunités intéressantes. Si l’on ne reste qu’une saison, c’est difficile.

 

Pourquoi être venu à Londres ?

Je suis arrivé à l’English National Ballet en 2003. Lors de ma dernière année à Marseille, j’avais l’impression d’être un peu trop dans le confort en restant dans ma ville d’origine. Je sentais que si je restais un peu plus longtemps, j’allais m’enfoncer dans la facilité et ne jamais repartir. Ça aurait été dommage car j’avais vraiment envie de découvrir autre chose. A l’époque, j’ai pensé à l’ENB car Patrick Armand y était Principal. C’est là que je me suis dit : « Pourquoi pas ? Je vais essayer, on verra bien« . J’ai essayé et ça a marché. C’était difficile au début, il a fallu un temps d’adaptation. C’est une compagnie au rythme largement plus intense que Marseille, avec beaucoup plus de spectacles, beaucoup plus de travail, beaucoup plus de tout. C’est très bien, mais ça a été un choc. Il m’a fallu quelques années pour prendre le pli.

Photo de Laurent Liotardo

Photo de Laurent Liotardo

Comment gérez-vous la charge de travail particulièrement soutenue ?

La plupart du temps, ça va. Mais à mon arrivée, la cadence a été multipliée par quatre ou cinq par rapport à ce que je connaissais. On commence la journée avec un cours assez long d’une heure et demi, donné par d’excellents professeurs. Cela nous prépare au rythme intense des répétitions, et des représentations. La saison de Noël est toujours très chargée. Nous dansons Casse-Noisette deux fois par jour, pendant quatre semaines. À chaque fois, il faut essayer de trouver une nouvelle motivation. Il y a toutefois un gros avantage à ce nombre élevé de représentations : les rôles ne sont pas réservés qu’aux Etoiles. Personnellement, j’ai l’impression d’avoir eu plus d’opportunités ici car la hiérarchie est vraiment plus souple et nous sommes plus libres. Les distributions sont basées sur le talent. A Paris, il y a un plus grand respect de la hiérarchie, l’ouverture aux jeunes danseur.se.s est plus réduite. C’est dommage.

 

Selon vous, quelles sont les principales différences entre la danse en France et en Angleterre ? Vous connaissez bien les deux mondes…

C’est assez différent. L’école française est très réputée comme attachée à la qualité du bas de jambe, de l’en-dehors, de la qualité du port de bras. En Angleterre, on est dans autre chose, le répertoire est plus varié. Ce qui caractérise Londres, c’est cette diversité impressionnante de compagnies qui viennent se produire, aussi bien nationales qu’étrangères. On peut toujours voir de super chorégraphes au Sadler’s Wells, par exemple. Le public a bien plus de choix.

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Quels sont les côtés moins positifs ?

Il n’y en a pas vraiment qui me viennent à l’esprit (rires) Ce qui j’aime ici, c’est l’ouverture d’esprit. La rencontre entre de multiples cultures au sein de l’English National Ballet est à l’image de la ville de Londres. On y croise tellement de nationalités différentes. Chaque danseur.se a une qualité qui lui est propre, un chemin qui lui est propre, et ça apporte quelque chose en plus. C’est la principale divergence avec l’Opéra de Paris qui est plus formaté, avec un style uniforme et des danseur.se.s qui ont globalement suivi la même formation. Récemment, il y a eu un peu plus d’ouverture mais la majorité des danseur.se.s sont tout de même français.ses. Avoir un corps de ballet aussi homogène a malgré tout des avantages dans certains ballets classiques comme La Bayadère.

 

Qu’avez-vous préféré danser à l’English National Ballet ?

Déjà, Giselle, qui à l’origine ne faisait pas forcément pas partie de mes ballets préférés mais sur lequel j’ai aujourd’hui un autre regard. J’avais dansé dans le corps de ballet et le pas de deux des paysans, mais le rôle principal m’a complètement emballé et j’ai senti tout de suite une différence de pression. Danser l’acte II, c’était magique. Giselle restera le ballet qui me marque le plus dans mon expérience personnelle.

Sinon, ma production préférée est Roméo et Juliette, la version de Noureev que l’on danse beaucoup à l’English National Ballet. Peu importe les rôles, il y a énormément de choses à faire, et c’est toujours très intéressant à danser même quand on est dans le corps de ballet. Le rôle de Benvolio, je l’aime tout particulièrement, autant pour le côté dramatique que le travail technique. Nous avons eu des répétiteurs venus de l’Opéra de Paris pour nous préparer à danser ce ballet, c’était l’idéal.

Emerging Dancer, English National Ballet, photo par Laurent Liotardo

Emerging Dancer, English National Ballet, photo par Laurent Liotardo

Avez-vous un mentor ici ?

Irek Mukhamedov a commencé à enseigner à l’English National Ballet et c’est très impressionnant de voir ce danseur qui a eu une carrière fantastique en répétition tous les jours, il a quelque chose de spécial. On a vraiment de la chance d’avoir un maître de ballet comme lui. Il nous donne énormément de conseils et de corrections. Cela m’inspire et j’essaie de retenir un maximum de choses. Mais finalement, c’est drôle, il y a presque aujourd’hui une inversion des rôles : j’apprends tellement des jeunes danseur.se.s de la compagnie, ils sont nombreux à avoir un talent incroyable. On ne peut que s’enrichir à leur contact.

 

La vie londonienne vous plaît-t-elle ?

Londres est une super ville mais parfois, je n’ai pas autant de temps que je le souhaiterais pour en profiter au maximum. Il y a tellement de choses à faire et à voir, en danse, au théâtre, au musée… C’est presque un pays à part en Angleterre, peut-être en raison de la richesse culturelle. Le seul point noir, c’est le climat, surtout quand on vient de Marseille ! (rires). 

 

L’English National Ballet va venir danser Le Corsaire au Palais Garnier du 21 au 25 juin prochain. Dans quel état d’esprit abordez-vous cette série de représentations ?

C’est très excitant. Il y une vraie effervescence dans la compagnie. Nous avons hâte de danser sur une scène dotée d’un statut aussi particulier, c’est un rêve devenu réalité pour beaucoup. Cela fait tout de même 65 ans qu’une compagnie anglaise ne s’y est pas produite ! Nous dansons Le Corsaire depuis 2013, nous nous sommes souvent produits en tournée avec, notamment à Singapour et bientôt à Oman. Le designer, Bob Ringwood, a beaucoup travaillé pour Hollywood. Au niveau des décors et des costumes, c’est donc une très belle production. Je pense que ça va plaire parce que c’est quelque chose qui change pas mal de ce que le public parisien a l’habitude de voir. La seule chose, c’est qu’il va falloir se réhabituer à la pente sur scène, nous n’avons pas l’habitude ici !

 

Comment vous en êtes venu à la photo ?

J’ai commencé en 2004 quand nous étions en tournée à Versailles. A l’époque j’avais déjà un appareil photo, du matériel, j’aimais photographier les paysages, mes amis… Mais au départ, c’était juste un loisir. Je n’étais pas particulièrement intéressé par la danse comme sujet photographique. L’English National Ballet s’était toujours intéressé à ce que je faisais et je pense que finalement, ils se sont assez vite rendu compte que j’avais un talent pour la photo. Ça a été un processus assez naturel et ils m’ont progressivement donné de plus en plus d’opportunités. Je couvre les spectacles produits par la compagnie, tout en essayant de ne pas rester formaté dans un seul style.

Photographier la danse, c’est très difficile au début : il faut pouvoir capturer des positions qui soient belles sans tomber dans le stéréotype des photos figées sur une arabesque. Je voulais éviter de tomber dans le côté purement physique, voire gymnastique. Et pour ça, être danseur moi-même m’est d’une grande aide. Ce que j’essaye de faire, c’est d’être créatif. J’ai envie de voir une photo qui raconte une histoire et donne la possibilité aux gens qui la regardent de l’analyser et de chercher ce qui s’y passe. Je voulais faire réfléchir. Il y a deux ou trois ans, j’ai aussi commencé à faire des films.

James Forbat, photo de Laurent Liotardo

James Forbat, photo de Laurent Liotardo

Comment conciliez-vous votre activité de photographe avec la danse ?

J’ai de la chance de pouvoir faire les deux. Après, il faut trouver un équilibre et ça se révèle d’ailleurs de plus en plus compliqué. Si ce n’était pas quelque chose qui me passionnait, je ne pourrais pas mener les deux de front. C’est énormément de travail et j’ai peu de temps libre. Parfois, j’ai tellement de travail en photo que ça commence presque à me dépasser, mais je pense que c’est logique. J’arrive à un âge où je suis déjà bien avancé dans ma carrière de danseur (ndlr : il a 34 ans) et la photo me permet d’amorcer une transition professionnelle. Les carrières de danseur sont assez courtes. Pour l’instant, je laisse le processus se développer sans forcer l’un ou l’autre.

 

Que peut-on vous souhaiter pour la suite de votre carrière ? Avez-vous des rêves, des espoirs ?

(Il réfléchit longuement) J’ai l’impression qu’en tant que danseur, j’ai été comblé. Je suis extrêmement chanceux de pouvoir faire ce que j’aime tous les jours. Pouvoir danser de nouvelles créations comme le triple bill She Said en avril, cela met en ébullition. Tout le monde ne rêve pas forcément d’être Etoile. Je continue d’apprécier tout ce qui fait le quotidien d’un danseur : les répétitions, les cours, les spectacles et le processus de création. Paradoxalement, je dirais que mes rêves se situent aujourd’hui davantage du côté de la photo. Par exemple j’aimerais publier un livre, ça pourrait être un projet intéressant. Aujourd’hui, j’ai envie d’utiliser ce que je fais en tant que danseur pour nourrir mon travail de photographe.

Lest We Forget, English National Ballet - photo par Laurent Liotardo

Lest We Forget, English National Ballet – photo de Laurent Liotardo

 

Le site professionnel de Laurent Liotardo et son compte Instagram

Programmation à venir de l’English National Ballet : She Said du 13 au 16 avril 2016 au Sadler’s Wells, Le Corsaire au Palais Garnier du 21 au 25 juin 2016 et Swan Lake in-the-round du 1 au 12 juin 2016 au Royal Albert Hall.

 

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