Iolanta/Casse-Noisette – Opéra de Paris
L’opéra Iolanta et le ballet Casse-Noisette, tous deux signés de Tchaïkovski, n’ont été donné ensemble que lors de leur premier en 1892. L’idée de l’Opéra de Paris de reproduire ce diptyque était donc séduisante. D’une part parce que ces deux histoires se ressemblent : que ce soit Iolanta ou Clara/Marie, voilà deux jeunes filles qui doivent affronter leurs peurs pour grandir et devenir adulte. D’autre part parce qu’il s’agissait de réunir deux mondes qui cohabitent sans vraiment se regarder : l’opéra et le ballet. Le tout réuni sous le regard de Dmitri Tcherniakov, metteur en scène bouillonnant. Le résultat donne un vrai moment de théâtre, unique en son genre. Mais où la danse apparaît clairement comme le parent pauvre. Une mise en scène, même inspirée, ne suffit pas à sauver une chorégraphie sans grande valeur.
L’équilibre de Iolanta/Casse-Noisette reste assez curieux. D’un côté, il y a un opéra réunissant des stars du lyrique, mais où l’originalité de la mise en scène de Dmitri Tcherniakov se laisse finalement peu percevoir. Ce dernier laisse beaucoup plus aller son imagination avec le ballet Casse-Noisette. Ballet qui ne réunit que des jeunes talents et des Étoiles oubliées de la direction, ce qui n’est pas en corrélation avec ce qui se passe en scène, mais il faut reconnaître que les stars du Ballet de l’Opéra de Paris n’ont pas été mises sur cette production.
Je laisserais les lyricomanes s’exprimer sur Iolanta. La mise en scène est d’une grande simplicité, mais laisse toute la place aux sentiments humains. Tout se passe dans un salon bourgeois, à l’espace finalement réduit. Les personnages entrent et sortent, dans un certain conformisme finalement, en tout cas pas autrement de ce qu’on attend d’une mise en scène d’opéra classique. Mais les artistes sont justes dans leur personnage. Et le.la balletomane prend plaisir à reconnaître les similitudes entre la musique de Iolanta et de Casse-Noisette.
L’opéra prend fin. Et Dmitri Tcherniakov lâche (enfin) les chevaux. Le décor s’étire, recule, l’espace s’éclaire… Grâce à une superbe scénographie, l’on se rend compte que nous sommes finalement dans un tout autre salon, celui de la famille de Marie, et que l’opéra était donné pour son anniversaire. Place désormais à une ambiance 60′, sur la chorégraphie d’Arthur Pita. Une chorégraphie qui est, à vrai dire, plus une mise en scène. Les danseurs et danseuses s’amusent comme des petits fous, en mode surprise party. Le chorégraphe a la chance d’avoir sous la main d’excellent.e.s acteurs et actrices, qui font naître une ambiance joyeuse et délurée. Quelques personnages de Iolanta sont là, comme Vaudémont (ce qui doit à Stéphane Bullion une perruque rousse), jeune homme un peu gauche mais attrayant, celui qui éveille les sens de la jeune Marie.
Puis le cauchemar commence. Édouard Lock, qui a pris la suite des opérations, propose une chorégraphie très différente, saccadée, inquiétante. Marie (très joliment incarnée par Marion Barbeau) voit ses proches se transformer en sorte de pantins désarticulés, presque des zombies. L’effet est efficace, rendant bien l’atmosphère dérangeante de Casse-Noisette, quand le monde prend des allures angoissantes. Marie voit ses peurs prendre forme. Mais l’efficacité vient bien plus de la mise en scène (quel incroyable effet quand la maison s’écroule !) que par la chorégraphie qui n’a rien de palpitant en soi. Les danseurs et danseuses évoluent dans un gigantesque cube, dont les parois sont des écrans. Les images se mêlent à la lumière pour des effets saisissants. C’est ainsi un vrai moment de théâtre, et l’émotion est finalement là.
Les choses se dégradent avec le divertissement. Les peurs de Marie se matérialisent avec des jouets géants, donc forcément inquiétants, figures emblématiques des cauchemars enfantins. L’ambiance est là, mais la pauvreté de la danse d’Édouard Lock, puis de Sidi Larbi Cherkaoui, plonge l’ambiance. Par où commencer, quand il n’y a rien du tout à commenter ? Le travail des danseurs et danseuses consistent plus en de la mise en espace, de l’atelier corporel, qu’à de la danse, à se demander l’intérêt de faire travailler le Ballet de l’Opéra de Paris. Qui ne s’économise pas toutefois. Alice Renavand est impliquée de bout en bout dans son personnage de mère, ne rendant plus frappante la façon dont elle est sous-employée. Hugo Vigliotti porte beaucoup de choses par son sens du théâtre, mais ne peut pas tout faire non plus. Sidi Larbi Cherkaoui a un sursaut d’inspiration pour le dernier pas de deux, vraiment beau entre Marion Barbeau et Stéphane Bullion.
Le cauchemar se termine. Une météorite (oui, une météorite), envahit l’écran, la lumière éblouit la scène et Marie se retrouve dans son salon intact. « – Bon, les gars, on a un problème. Marie a fini son cauchemar et son ne sait pas comment la faire rentrer chez elle. Faut brainstormer là« . « – Eh les gars, j’ai une super idée. Et si on faisait apparaître une météorite géante ?« . « – Ouai trop, bien ! Et on prendrait les images d’une vieille série des années 80 pour ne pas exploser le budget« . (Si quelqu’un a une autre explication, je suis preneuse).
Bref, Dmitri Tcherniakov part dans un gros délire. Et pourquoi pas ? Le théâtre est avant tout là pour surprendre. Mais quel dommage que le metteur en scène n’ait eu visiblement aucune envie de laisser la moindre place à la danse. L’idée de base de partager l’ensemble à trois chorégraphes partait déjà mal : impossible de fait d’instaurer la moindre continuité, la moindre cohérence dans la danse. Dmitri Tcherniakov aurait-il eu plutôt envie de faire de Casse-Noisette une pièce de théâtre ? Il n’a en tout cas pas réfléchi à ce qu’était une chorégraphie : une oeuvre en soi, qui complète la mise en scène. L’idée de réunir opéra et ballet est ainsi faussée : la danse y apparaît comme le parent pauvre, qui a moins d’importance que la mise en scène, qui ne vaut pas le coup d’être réfléchie (à noter d’ailleurs qu’aucune distribution rôle par rôle, concernant le ballet, n’est indiquée sur le site de l’Opéra). Dommage. Car la mise en scène de Dmitri Tcherniakov associé à un.e vrai.e grand.e chorégraphe aurait vraiment pu donner une oeuvre absolument percutante.
Iolanta/Casse-Noisette de Tchaïkovski, mise en scène de Dmitri Tcherniakov, chorégraphie d’Arthur Pita, Édouard Lock et Sidi Larbi Cherkaoui, par l’Opéra, l’Orchestre et le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Alexander Tsymbalyuk (Roi René), Sonya Yoncheva (Iolanta), Arnold Rutkowski (Vaudémont), Andrei Jilihovschi (Robert), Vito Priante (Ibn Hakia),Roman Shulakov (Alméric), Gennady Bezzubenkov (Bertrand),Elena Zaremba (Martha), Anna Patalong (Brigitta), Paola Gardina (Laura), Marion Barbeau (Marie), Stéphane Bullion (Vaudémont), Nicolas Paul (Drosselmeyer), Aurélien Houette (le père), Alice Renavand (la mère), Takeru Coste (Robert) et Caroline Bance (la soeur). Jeudi 17 mars 2016. À voir jusqu’au 1er avril.
Kleo
Bien qu’étant beaucoup plus fan d’opéra que de ballet (je n’ai pas la prétention de m’y connaître), vous avez parfaitement résumé mon sentiment : une grande incohérence chorégraphique, à la limite du théâtre dansé, et un ennui profond pendant le divertissement…
Anne
J’ai assisté à la représentation d’hier et je suis restée perplexe … Je n’ai personnellement pas aimé le ballet, mais l’Opéra m’a bcp plu et touché.
Je m’attendais à un ballet assez « spécial » mais à ce point là …
Amgar Mireille
Je suis sortie très perplexe de l’Opéra…
Déjà cela avait plutôt mal commencé : 140 € la place pour être située au troisième rang du premier balcon, gloups !
Heureusement qu’un siège mieux placé était disponiblee t qu’un couple, plutôt décontenancé est parti à l’entracte…
Une première partie avec Iolanda, plutôt classique et très bien interprétée (notamment Iolanda et le roi René, belle voix de basse), un salon bourgeois, blanc et une lumière également blanche qui aplanit toute la scène.
Puis (et c’est une excellente idée), l’espace s’agrandit, reléguant le salon en fond de scène, la première partie se révèle être un spectacle donné pour l’anniversaire de Marie et une certains chanteurs participent à la fête.
A partir de là, grosse déception, surprise-partie, Broadway, un petit côté West Side story (en moins bien), puis pour la partie cauchemar et angoisse, des mouvements hachés, désarticulés, cela devient vite lassant.
Puis nous nous retrouvons dans un paysage post-apocalyptique où les danseurs se roulent dans les débrits de la maison de Marie.
Partie amusante des jouets géants (mais chorégraphiquement pauvre) et un joli pas de deux.
Et enfin cette fameuse météorite. Là je me dis « n’importe quoi ? »
Si la mise en scène est souvent superbe, je me demande sincèrement où est la danse?
Si c’est avec e genre de spectacle que l’Opéra de Paris veut attirer un nouveau public de jeunes, ce n’est pas gagné !
Laure
J’y suis allée en 2016 et je n’en ai pas gardé un bon souvenir. Si, quand même, la découverte de l’opéra. Mais côté danse, j’ai trouvé qu’il n’y en avait pas ou peu, à part quelques passages qui m’ont un peu « accrochée ». Je crois que je n’ai pas compris grand-chose et je me souviens avoir pensé que les trois chorégraphes et le metteur en scène n’avaient pas dû beaucoup se concerter ! Absence de cohérence, en effet, voulue peut-être ? Et je suis sûre d’avoir fermé les yeux pour n’écouter que la musique, lors d’un passage où les danseuses répètent un même mouvement (cela doit être le côté « atelier corporel » que vous évoquez !) jusqu’au malaise… le mien ! C’est bien la première fois que je me suis surprise à faire une telle chose !