Gala Viva Maïa – Comme une pluie d’Étoiles sur Cannes
Le 2 mai 2015 mourait brutalement à Munich où elle avait élu domicile Maïa Plissetskaïa. Elle allait avoir 90 ans quelques mois plus tard et le Bolchoï où elle fit toute sa carrière préparait déjà un hommage somptueux, à la mesure d’une danseuse hors-norme qui a influencé durablement le ballet classique et sidéré celles et ceux qui ont eu la chance de la rencontrer. Irma Nioradze, Étoile du Mariinsky avait noué des liens d’amitié très fort avec Maïa Plissetskaïa, notamment lorsque cette dernière avait travaillé avec elle durant deux semaines le ballet Carmen Suite créé pour elle par Alberto Alonso : « Ce furent 2 semaines fantastiques où j’ai appris davantage qu’en plusieurs mois de travail« , confie Irma Nioradze, aujourd’hui installée à Cannes où elle enseigne à la prestigieuse école de danse internationale Rosella Hightower. Avec l’accord de Rodion Chtchedrine, le compositeur russe qui partagea la vie de Maïa Plissetskaïa durant près de 60 ans, Irma Nioradze créait l’an dernier le Prix Maïa, initiative qu’elle a voulu prolonger avec un gala international dans le prestigieux Palais des Festivals. Grâce à son énergie, elle a su mobiliser les sponsors et attirer à Cannes parmi les plus grands danseur-se-s du moment. Pour le.la balletomane, c’est toujours un exercice à double tranchant : il y a d’une part le plaisir de voir rassemblés lors d’une soirée des artistes que l’on n’a pas l’occasion de voir régulièrement. Avec le risque de faire une indigestion de Corsaire, Don Quichotte, Pas de deux du Balcon et sempiternels Bourgeois !
Mais ne faisons pas la fine bouche ! Ces galas sont aussi des moments où l’on peut juger de la forme physique des danseur.se.s et de leur engagement. Honneur aux artistes du Bolchoï, la maison de Maïa Plissetskaïa. Anna Nikulina et Denis Rodkin avaient choisi le plus fameux pas de deux du Spartacus de Iouri Grigorovitch sur la non moins fameuse musique d’Aram Khatchatourian. C’est l’archétype absolu du ballet soviétique : grandiose, parfois grandiloquent, avec ces portés multi acrobatiques et destinés à épater le chaland. Pourquoi pas ! Cela nécessite toutefois un partenariat parfait et des qualités techniques infaillibles. Anna Nikulina et Denis Rodkin ont de ce point de vue largement rempli leur contrat. C’est moins vrai de Mikhail Lobukhin qui est apparu fatigué et comme à bout de souffle dans l’extrait de Talisman d’après Marius Petipa dansé aussi avec Anna Nikulina : sauts quelque peu chétifs dans une chorégraphie qui n’est servie ni par la musique de Riccardo Drigo, encore moins par des costumes hors d’âge. Mikhaïl Lobukhin parut plus à son aise dans le solo Rien comme prévu sur la superbe et déchirante chanson de Vladimir Vyssotski. Mais c’est davantage la voix du chanteur star russe qui émeut que la chorégraphie d’Ivata Marikhiro, par trop dénotative et illustrative. À tout le moins, Mikhaïl Lobukhin y montre une danse animale et incarnée.
Ivan Vassiliev a grandi au Bolchoï avant de le quitter mais il y retourne régulièrement. Ses débuts furent fulgurants et avec l’aide d’Alexeï Ratmansky qui dirigeait alors le Bolchoï, il devint très vite une star de la danse mondiale. Trop vite sans doute et aujourd’hui, Ivan Vassiliev n’a plus les moyens physiques de ses performances. Lui qui fut magistral avec sa partenaire de l’époque Natalia Ossipova dans la version Flammes de Paris d’Alexeï Ratmansky gravée en DVD, n’est plus que l’ombre de lui-même, obligé de masquer ses insuffisances techniques par un surcroit de mimiques et de gestes emphatiques. Espérons – car il est encore jeune – qu’Ivan Vassiliev retrouvera l’aplomb physique qui en fit un artiste majeur.
Quel plaisir de revoir Friedmann Vogel et sa partenaire Maria Eichwald ! Les deux artistes du Ballet de Stuttgart conservent intacte leur vitalité et leur danse fait plaisir à voir. Certes, le pas de deux du deuxième acte de l’Histoire de Manon de Kenneth MacMillan a été trop vu et revu en gala. Hors du contexte du ballet, il reste un exercice un peu vain. En revanche, Mono Lisa, pièce chorégraphiée par Itzik Galili est un petit bijou. C’est clairement d’inspiration post-William Forsythe avec hyper extensions à la pelle et déséquilibres acrobatiques. Sur la musique de Thomas Höfs, les deux danseur-se-s de Stuttgart sont prodigieux de précision technique et prennent tous les risques comme si l’âge n’avait pas de prise sur eux. Ce fut l’un des très grands moments de cette soirée.
Mais s’il n’y avait eu qu’une seule raison pour aller à Cannes, c’eut été de prendre des nouvelles de François Alu. Peu présent sur la scène du Palais Garnier ces derniers mois, on finissait par se demander ce que devenait le Premier Danseur préféré du public français. Eh bien il danse, et même très bien ! Belle démonstration technique et artistique dans le pas de deux extrait de Coppélia dansé avec Lydie Vareilhes, Sujet du Ballet de l’Opéra de Paris. L’une et l’autre ont été plus performants et sûrs d’eux dans leurs variations que dans leur duo mais ce fut un joli moment de danse, tout en élégance française.
La belle surprise de la soirée fut aussi La Sylphide revue et corrigée par François Alu sur la musique de Frantz Schubert. La pièce avait été créée il y a trois ans pour un gala et c’est une réussite. Voici l’histoire d’un jeune homme désespéré qui pourrait trouver une deuxième chance, une autre opportunité de vie avec une autre, mais qui semble incapable de la saisir. François Alu sait raconter une histoire avec juste ce qu’il fait de matériau chorégraphique. Il y utilise évidemment sa technique classique mais y ajoute une danse au sol et son goût pour le hip-hop en s’aventurant parfois à l’improvisation.
Pas de gala sans Pas de deux du Balcon, mais par chance, ce fut la version de Jean-Christophe Maillot qui était à l’affiche. Anna Blackwell et Lucien Postlewaite étaient venus en voisins depuis Monaco pour interpréter cet extrait de Roméo et Juliette. Version plus ludique et plus enfantine des amants de Vérone. Il y a beaucoup de théâtre dans les chorégraphies de Jean-Christophe Maillot et un souci constant de raconter une histoire. Anna Blackwell et Lucien Postlewaite avaient ce qu’il faut de sensualité et d’espièglerie amoureuse pour danser ce pas de deu… sans balcon par ailleurs.
Enfin, pas de gala non plus sans danseur cubain. Osiel Gouneo, tout juste arrivé de Paris où il dansait au gala d’ouverture du Ballet de Cuba, a délivré la démonstration magistrale que l’on attendait de lui. Tout d’abord dans l’ineffable Corsaire où il ne faut pas guetter l’émotion mais la virtuosité. Le danseur du Ballet de Munich et sa partenaire Lali Kandelaki du Ballet National de Tbilissi n’en sont guère avares… C’est d’ailleurs Osiel Gouneo qui a l’honneur de conclure ce gala avec le Grand Pas du dernier acte de Don Quichotte. Qu’en dire ? C’est éblouissant, parfait, bluffant. Sa complice d’un soir Maria Yakovleva du Ballet de Vienne était à l’unisson. On saute, on tourne, on fouette, on tient l’équilibre et puis on s’évente. Don Quichotte quoi !
Gala Viva Maïa au Palais des Festivals de Cannes. Avec François Alu, Lydie Vareilhes, Anna Blackwell, Lucien Postlewaite, Friedmann Vogel, Maria Eichwald, Denis Rodkin, Anna Nikulina, Mikhaïl Lobukhin, Ivan Vassiliev, Osiel Gouneo, Maria Yakovleva, Lali Kandelaki, Denys Cherevychko et Maria Daniela Gonzalez Munoz. Samedi 8 juillet 2017.