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Le retour gagnant du Miami City Ballet à New York

Sept ans que le Miami City Ballet n’avait pas floué les planches new-yorkaises ! Pour ce retour tant attendu, sa directrice Lourdes Lopez, ancienne Principal du New York City Ballet, avait concocté deux programmes afin de montrer les créations récentes du MCB (signées Alexeï Ratmansky, Justin Peck et Liam Scarlett), sans renier les fondements de la compagnie construite sur les ballets de George Balanchine. Et il ne pourrait en être autrement pour cette compagnie américaine au parcours fulgurant : 30 ans d’existence – seulement ! – et déjà une réputation mondiale (souvenez-vous de la superbe tournée parisienne en 2011) et une centaine d’œuvres à son répertoire. Le mérite en revient à Edward Villella, fondateur du Miami City Ballet et danseur fétiche de George Balanchine qui créa pour lui de nombreux ballets. Lourdes Lopez lui a succédé en conservant cette tradition, tout en passant commandes d’œuvres nouvelles afin d’enrichir le répertoire.

Heatscape-Justin Peck-Ensemble.

Heatscape de Justin Peck

Et comme chacun.e le sait aujourd’hui, Justin Peck est incontournable dans la galaxie néo-classique post-balanchinienne. Créé l’an dernier à Miami, Heatscape est une des plus belles réussites du jeune chorégraphe américain qui aime jouer avec les mots pour trouver les titres de ses pièces. Heatscape est une sorte de mot-valise, additionnant « Heat » qui signifie chaleur et contractant « escape » (s’échapper).

S’échapper de la chaleur tropicale de la Floride ? C’est bien ce que suggère l’ouverture de ce ballet : 17 danseur.se.s, dos au public, aligné.e.s le long de la belle toile peinte jaune et ocre signée Shepard Fairey et qui pourrait figurer une skyline dans un ciel de feu, courent vers le devant de la scène. Ce goût des courses et des arrêts brutaux est dans le pur  style de Justin Peck qui déploie ici le même talent pour les ensembles à la fois complexes et fluides. Heatscape n’est pas un ballet narratif mais une succession de suggestions exécutées à toute allure, comme toujours chez le chorégraphe américain. Le premier solo interprété par Renan Cerdeiro place la barre très haut avec force fluidité, énergie et brio.

Jeannette Delgado-Heatscape.

Jeanette Delgado – Heatscape de Justin Peck

Toutes ces qualités inondent le Miami City Ballet, et l’œuvre de Justin Peck en est le parfait véhicule. Chorégraphié sur le premier concerto pour piano du tchèque Bohuslav Martinu, Heatscape est une œuvre joyeuse et sensuelle, truffée de références à Balanchine. Le dernier mouvement est concentré autour d’un pas de deux dansé par Jeannette Delgado, Principal emblématique du Miami City Ballet à la grâce toute latine et Andrei Chagas. Glissades sur pointes, diagonales en mouvements, changements de direction perpétuels… On retrouve tout l’art de Justin Peck qui a trouvé pour la compagnie de Floride une nuance plus solaire.

Liam Scarlett est à Londres ce que Justin Peck est à New York : un wonder boy au succès météorique, ayant réussi à faire le buzz dès son premier ballet. La pièce qu’il créa pour le Miami City Ballet en 2012, Viscera, semble suivre la même structure que celle de Justin Peck : seize danseurs et danseuses, encore un concerto pour piano, cette fois du compositeur américain contemporain Lowell Liebermann. Liam Scarlett a une science des ensembles plus conventionnelle mais son art du pas de deux fait ici merveille. On y retrouve évidemment ses influences et sa formation britanniques : le raffinement des gestes hérité de Frederick Ashton, le goût des portés savants et périlleux de Kenneth MacMillan. Jennifer Carlynn Kronenberg et Carlos Miguel Guerrra, tous les deux vétérans de la compagnie, délivrent une poésie infinie dans ce duo amoureux où les corps semblent comme perpétuellement enlacés. Les costumes rouges et mauves dessinés par Liam Scarlett lui-même sont d’une élégance sobre, toute british.

Jeannette Delgado avec Renato Penteado et Kleber Rebello-Viscera (Liam Scarlett)

Jeanette Delgado avec Renato Penteado et Kleber Rebello – Viscera de Liam Scarlett

Mais quels que soient les mérites des œuvres de Justin Peck et Liam Scarlett, la révélation de cette étape new-yorkaise du Miami City Ballet revient sans discussion à Alexeï Ratmansky. Avec Symphonic Dances sur la musique de Sergueï Rachmaninov signe une œuvre majeure de son répertoire déjà fort nourri. Il faudrait plus d’une vision pour prendre toute la mesure de cette pièce étrange, multiple et qui n’éclaircit jamais son propre mystère. Pourquoi cet accoutrement de ville dans le premier tableau ? Qui sont ces femmes et ces hommes sur scène qui semblent se connaître et pourtant se chercher ? Pourquoi les danseuses reviennent-elles dans la longue valse du deuxième tableau, vêtues de robes de tulle vaporeuses comme une évocation furtive de La Valse de George Balanchine ?

Qu’importe les réponses ! Alexeï Ratmansky ne cherche nullement à en donner mais juste à évoquer toutes sortes d’émotions : la solitude, le désir, l’amitié, l’amour ou la trahison. Ce qui compte, c’est la beauté pure des longues phrases choréographiques où Alexeï Ratmansky utilise tous les outils à son répertoire dans une succession de séquences qui empruntent tour à tour à la technique académique, au ballet soviétique ou la danse néo-classique. On pourrait croire qu’il a bâti son ballet en dialogue avec Sergei Rachmaninov tant chaque nuance et inflexion de la musique se dessinent sur scène.

Symphonic Dances-ensemble

Symphonic Dances d’Alexeï Ratmansky

Cette musicalité d’Alexeï Ratmansky parfaitement retranscrite par le Miami City Ballet fut puisée à la meilleure source, celle de George Balanchine. Les deux ballets du maître choisis par Lourdes Lopez pour ce double programme confirment l’excellence de la compagnie dans ce répertoire. Symphonie en trois mouvements qui emprunte son titre à la partition d’Igor Stravinsky fait partie des chefs-d’œuvres de Balanchine. Cette pièce pour 32 danseurs et danseuses diffuse tout l’art de Mister B. : son goût des diagonales parfaites et des symétries sophistiquées, le génie des finals grandioses.

Ces qualités, on les retrouve dans Bourrée Fantasque, œuvre méconnue sur la musique joyeuse et délicate du compositeur français Emmanuel Chabrier. George Balanchine y déploie un humour féroce comme ce premier pas de deux drôlissime interprété par Shimon Ito et Jordan-Elisabeth Long qui, sur pointes, le dépasse d’une tête ! Ces deux œuvres de Balanchine montrent un corps de ballet techniquement impeccable et confirment que le Miami City Ballet est une success-story à l’américaine.

Bourrée Fantasque-George Balanchine.

Bourrée Fantasque de George Balanchine.

 

Le Miami City Ballet au David H.Koch Theater New York. Heatscape de Justin Peck avec Jeannette Delgado et Andrei Chagas, Viscera de Liam Scarlett avec Jennifer Carlynn Kronenberg et Carlos Miguel Guerrra, Bourrée Fantasque de George Balanchine avec Shimon Ito et Jordan-Elisabeth Long. Vendredi 15 avril 2016. Symphonie en 3 mouvements de George Balanchine, Sweet Fields de Twyla Tharp et Symphonic Dances d’Alexeï Ratmansky. Dimanche 17 avril 2016. 

 

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